Les partis politiques ont des sueurs froides à chaque fois que l’on évoque la question du droit de la succession. Certains sont pour le maintien de l’inégalité actuelle – directement inspirée du droit musulman – mais craignent en l’affirmant d’hypothéquer leur capacité de rassemblement. D’autres sont pour l’égalité successorale, mais craignent de l’affirmer pour les mêmes raisons.
Je pense que ces craintes sont électoralement justifiées. Je pense aussi que les deux tendances coexistent dans l’électorat potentiel de la plupart des partis. Cette coexistence est probablement due au fait que les Tunisiens sont généralement attachés à la fois à leur racines arabo-musulmanes ET à la modernité caractéristique de la société tunisienne.
Arbitrage entre deux systèmes de valeurs
Ce double attachement – conciliable dans la plupart des situations – ne l’est pas en matière successorale (sauf lecture particulièrement dynamique du droit musulman). Les Tunisiens font, en la matière, un arbitrage entre deux systèmes de valeurs concurrents: certains font prévaloir leur attachement à l’islam et sont pour le maintien du système actuel et d’autres sont plus attachés au modernisme et à l’égalité entre les hommes et les femmes et sont pour la mise en place d’une égalité successorale parfaite.
J’observe au passage qu’il est de plus en plus fréquent de voir des Tunisiens organiser l’égalité successorale entre leurs enfants par le biais de la donation ou des mécaniques de démembrement de la propriété (usufruit/nue-propriété).
Il est très probable que ces mêmes mécaniques seront utilisées pour rétablir une succession conforme (dans ses résultats) au droit musulman, si l’égalité successorale devenait la règle.
J’ai le sentiment qu’en la matière et compte tenu des mentalités actuelles, chacune des solutions (égalité ou inégalité) serait ressentie comme imposée par un part importante de la population. Cette frustration d’une partie de la population sur une question aussi intime et privée que la succession est de mon point de vue dommageable et évitable. La démocratie ne doit pas être «la dictature de la majorité sur la minorité».
La solution pourrait être de donner le choix à chaque tunisien de décider de sa propre succession. En gros, il est possible de prévoir un nouveau régime de la succession construit autour de l’égalité successorale et de donner le choix à chaque tunisien de soumettre sa propre succession à ce système égalitaire ou au système actuel qui serait maintenu.
Le système optionnel
Ce type de solution existe en droit tunisien pour les régimes matrimoniaux. Les futurs époux doivent choisir au moment de l’échange des consentements entre la séparation de biens, conforme au droit musulman, et la communauté de biens d’inspiration moderniste.
Bien sur ce type de système optionnel doit être manié avec beaucoup de précaution et ne pourrait être étendu à toutes les questions de société, il doit, de mon point de vue, être uniquement utilisé pour promouvoir des progrès sociaux au moment où une partie de la société n’est pas (encore) prête à les accepter. En l’occurrence, il me semble particulièrement adapté à la question de la succession et de nature à faire réfléchir la plupart des personnes et à ouvrir le débat dans la plupart des familles.
Compte tenu de la nature particulièrement sensible de la question, je pense que toute modification du système actuel des successions doit être soumise à un référendum populaire pour acquérir une légitimité indiscutable.
Si on accepte l’idée d’un système optionnel, il restera à régler la question de la succession des personnes qui n’ont pas exprimé de choix. La solution est relativement simple. Il suffit de demander aux Tunisiens dans le cadre du même référendum de se prononcer sur le système applicable par défaut en cas d’absence de choix exprimé par le défunt.
* Meziou Knani & associés.