Faik Henablia* écrit - Loin de menacer la religion, une constitution laïque n’aurait pour effet que de supprimer certaines discriminations. La foi redeviendrait l’affaire privée des gens.


Les opposants au principe de laïcité, dans la mesure où ils considèrent que celle-ci menacerait notre caractère arabo-musulman (musulman à la rigueur dans cette logique, mais pourquoi donc arabe?), entretiennent une confusion volontaire avec un autre concept, totalement différent, qui est celui de l’athéisme.

La laïcité n’a rien à voir avec l’athéisme
L’athéisme est le fait de ne pas croire en Dieu, de nier son existence. Les ex-pays communistes en sont un parfait exemple. Partant d’une idéologie matérialiste, ainsi que du célèbre principe marxiste disant que «la religion est l’opium du peuple», ces Etats étaient officiellement non croyants.
Bien que les constitutions communistes aient toléré la liberté du culte, elles se sont cependant réservé le droit de faire de la propagande antireligieuse. La liberté de culte était d’ailleurs toute relative, dans la mesure où se rendre à l’église entrainait brimades et harcèlements divers et constituait un frein à toute promotion sociale. La tenue des lieux de culte était non seulement de la responsabilité privée des fidèles, mais elle était en plus sérieusement restreinte par toute une série de mesures pratiques qui la rendaient impossible. C’est ce qui expliquait le grand état de délabrement de la plupart de ces lieux.
L’athéisme était donc la doctrine officielle de l’Etat avec, on le voit, une tolérance toute relative concernant la pratique religieuse. Il constituait de ce fait une forme incontestable d’intégrisme. La laïcité n’a rien à voir. Elle signifie reconnaissance et respect de toutes les convictions sans exclusive. S’agissant de la foi, elle part du principe que celle-ci fait partie de la sphère privée. L’Etat et l’administration ne la connaissent pas, ne cherchent pas à la connaître car cela ne les regarde pas. Dans un tel système, nos droits et devoirs ne découlent pas de notre religion ou de nos convictions philosophiques ou politiques, mais de notre qualité de citoyen. L’Etat n’est ainsi pas anti- religieux, mais areligieux, c’est-à-dire qu’il n’a pas de religion en tant que tel, celle-ci étant l’apanage des citoyens.
Il a été demandé un jour à George Clémenceau, ancien président du conseil sous la troisième république française, aux débuts de la séparation de l’église et de l’Etat, si, à sa connaissance, untel, homme politique connu, était ou non pratiquant. Il répondit qu’à la messe le dimanche, il ne se retournait pas pour voir qui était présent. Autrement dit, il était laïc en tant que président du conseil et, cependant, catholique pratiquant en tant que simple citoyen.
Laïcité signifie donc, on le voit, séparation de l’Etat et de la religion.
Nous pouvons très bien avoir un président musulman, mais qui n’assiste pas, en tant que tel, à la prière de la Nuit du Destin par exemple, simplement en tant qu’individu et en privé.

Une constitution laïque ne menace pas la religion
Selon notre constitution, ce même président de la république doit d’ailleurs être musulman. C’est le type même de disposition inconcevable dans une constitution laïque car cela implique qu’un Tunisien non musulman, il y en a, ne peut, de ce fait, accéder à cette fonction. Même si ce cas de figure est fortement hypothétique et improbable, le caractère discriminatoire n’en est pas mois réel.
Diverses autres dispositions, plus légales et règlementaires d’ailleurs, mais procédant de la même logique, n’auraient pas leur place dans un cadre laïc. Citons pêle-mêle l’inégalité homme-femme en matière d’héritage, l’obligation pour la musulmane d’épouser un musulman ou converti, l’aménagement des horaires officiels de travail pendant Ramadan (curieusement cet aménagement favorise des attitudes festives alors que ce mois est censé être un mois de sacrifice et de recueillement!), et la liste est longue.
Loin de menacer notre religion, une constitution laïque n’aurait, au contraire, pour effet que de supprimer certaines discriminations. La foi redeviendrait  l’affaire privée des gens. Ce qui ne veut nullement dire qu’elle serait menacée, sauf à douter de ceux qui la partagent.

* Gérant de portefeuille associé.