Tarak Arfaoui écrit – Le terrain de prédilection du «tanbir» (médisance) politique est le réseau social de Facebook, plate-forme par excellence des apprentis politiciens qui y fourbissent leurs armes.


Comme le jasmin, la degla ou la baklawa, labels typiquement tunisiens, le  «tanbir» (médisance) expression typiquement tunisienne aussi, qui caractérise le comportement d’une bonne frange de la population, s’est révélé au grand jour après la levée de la censure qui pesait comme une chape de plomb les esprits du temps de Zaba. Je trouve le terme en lui même extrêmement expressif mais en même temps ambigu, indicible, insaisissable dans une autre langue que la nôtre.

La révolution a fait délier les langues... fourchues

Dans la langue de Voltaire, je n’ai rien trouvé d’équivalent approprié; peut-être radotage serait il adéquat, ou commérage ou médisance, ou le fait de dire des ragots, des potins, ou des bobards, ou même le fait de comploter d’une manière hypocrite, d’argumenter sans preuves et même de mentir sciemment... Toujours est-il que je suis arrivé à la conclusion que le génie tunisien a réussi l’exploit de réunir tous ces qualificatifs sous le terme de «tanbir».

Le Tunisien lambda est parfois un «nabbar» (médisant), un «nabbar» dans l’âme. Dans la vie de tous les jours, c’est un type  modéré, bon vivant, spontané, parfois exubérant, souvent envieux et se délecte beaucoup des problèmes des autres. Le «tanbir» est de mise dans ses discussions familiales concernant le cousin qui va se marier ou la cousine qui a divorcé, au travail concernant le collègue qui a été promu ou le patron qui a changé de bagnole, au café du coin autour d’une chicha, pour commenter le dernier fait divers ou le dernier match truqué…

Tout cela était presque bon enfant tant qu’il ne dépassait pas le cadre social traditionnel. Mais une fois que la révolution a fait délier les langues, le «tanbir» a dépassé ce cadre pour accaparer la scène politique à tous les niveaux, et cela devient une autre paire de manche avec des retombées autrement plus pernicieuses et redoutables.

Facebook, nouvelle plate-forme des «nabbara»

Le terrain de prédilection du «tanbir» politique est sans aucun doute le réseau social de Facebook, plate-forme par excellence des apprentis politiciens qui fourbissent leurs armes en vue des élections, et où tous les coups sont permis. La première victime est le gouvernement provisoire et à sa tête le Premier ministre, qui quoi qu’il fasse est toujours critiqué; de n’importe quel fait divers on fait une affaire nationale, et pour peu qu’un responsable soit nommé, un Pdg viré ou un politicien consulté, c’est un tollé général; on farfouille dans les archives et on ressort toutes sortes de contre-vérités, de bobards, de vieilles vidéos dépoussiérées et parfois truquées, de documents falsifiés. Les actualités sont suivies avec assiduité et on y trouve pêle -mêle des scoops invraisemblables, de fausses nouvelles, des dépêches farfelues.

Pour la noble cause du «tanbir»

Au niveau des médias cela ne plane pas plus haut, et le «tanbir» a envahi les plateaux de télé ainsi que les radios où l’on donne la parole, démocratie oblige, à n’importe qui pour dire n’importe quoi. Le «tanbir» est aussi l’arme fatale pour le politicien à court d’arguments pour régler ses comptes au rival déjà «nabbar», semer le doute chez les électeurs ou même prendre sa revanche sur l’adversité; l’exemple même de cet état d’esprit nous a été donné par la dernière apparition médiatique de l’ex-ministre de l’Intérieur qui nous a servi un véritable morceau d’anthologie du «tanbir» tunisien pur et dur.
Comment est né cet état d’esprit?  Est-ce le résultat des traditions culturelles spécifiquement tunisiennes?  Est-ce le produit naturel d’un demi-siècle de dictature intellectuelle où toute expression était baillonnée, toute vérité étouffée?

Enfin il me semble qu’au train où vont les choses et pour être au diapason de l’actualité, il est impératif de réfléchir sérieusement à la création du Parti des nabbara tunisiens (Pnt), qui risquerait de ratisser large dans l’électorat, où les fumeurs invétérés de chicha, les politicards novices, les rouspéteurs, les éternels mécontents, les empêcheurs de tourner en rond et les révolutionnaires de la 25e heure trouveront largement leur compte et y militeront pour la noble cause du «tanbir».