Dr Lilia Bouguira écrit – Le vent de la libération tombe. Les médias frappés de mensonges et d’hystérie, les mémoires d’amnésie. Les volontés se relâchent, le peuple renoue avec son passé...


Lorsque tu étais président, j’ai grandi dans ton ombre. J’y ai aussi vieilli.
Lorsque tu étais président, je ne me souciais point de ma sécurité, tu la gardais tellement bien, t’inquiétant du moindre de mes actes, de mes choix jusqu’à ma respiration.
Lorsque tu étais président, il était bon de vivre dans la méfiance extrême jusqu'à sombrer dans l’insouciance de nos vies car tu avais le droit de décider pour nous le droit à l’agir et au passage à l’acte, le droit de vie et de mort.
Lorsque tu étais président, je gagnais mon pain en partageant comme une brebis sans trop  réflexion.
Lorsque tu étais président, tu m’as appris sans grand effort à faire le mouton, à sauter les rebutades, à ne pas poser de question.
Lorsque tu étais président, je n’avais pas docile à me soucier de menace de salaire qui ne tombera pas, d’eau qui coupera, de finances, de trains en grève, de routes non sécurisées, de braquages, de défilés de ministres et d’autres en instance d’apparition, de flics qui font figure de présents, assistent à nos meurtres et participent à notre viol.
Lorsque tu étais président, je déambulais totalement soumise et non avertie dans une vie plate sans grande ambiguïté.
Lorsque tu étais président, je n’avais le souci que de plus gagner, construire ma maison, élever mes mômes et faire une partie de téléphone arabe ou de commérage sur le dos d’une telle ou telle mégère.
Jamais de soucis de politique ni de champ d’action ou de décision.
Aucune intrusion dans la vie politique, pas d’adhésion à d’autres idées qu’un culte de ta personnalité.
Juste un comportement de mouton et combien passif approbateur égal à lui même ce mouton,  j’étais.
Puis vient cette révolution… j’aimerai dire maudite mais je reste croyante et bien élevée.
Elle m’a ouvert les yeux et m’a appris à chanter et à composer un refrain de liberté, un comportement de révolté.
Elle m’a appris à ne plus dire oui, à refuser, à hurler «dégage» et mon comportement a changé.
Elle m’a insufflé une énergie négative, celle de l’insoumission et du questionnement.
Elle m’a libérée de mes chaînes tant adorées me montrant combien même en or, je devais les casser.
Elle m’a soufflé l’âme du patriote et du poète.
Elle m’a dressée contre mes ravisseurs et mes tortionnaires tant aimés m’expliquant que certains amours tuent et que le mien au temps de Zaba était des plus toxiques voire mortels.
Elle m’a happée, transformée, m’inculquant que dans ma mutinerie, je vivrais.
Je me suis conduite en bon apprenti et je me suis révoltée mais ma désertion est de  brève durée, la mutinerie avortée.
Mes tortionnaires ne sont plus Zaba uniquement mais une panoplie de gens et d’évènements, de parvenus et de nouveaux statuts, de coureurs au pouvoir et de marathons sur le dos d’une sainte révolution et du sang encore chaud de nos martyrs.
Les répliques de Zaba sont encore plus virulentes, le clonage des plus réussis avec à chaque jour un nouveau répondant mais au moins, de son temps, j’avais un seul interlocuteur, un seul vis-à-vis.
La révolution redevient un conte, la liberté un mythe à ne plus aborder.
Les médias frappés de mensonges et d’hystérie, nos mémoires d’amnésie.
Les volontés se relâchent, le peuple renoue avec son passé.
Le vent de la libération tombe, l’épouvantail de la faim, de l’insécurité et du terrorisme redevient une lubie.
Je retombe dans la schizophrénie de mon passé et toi Zaba, tu commences à me manquer!
Puis-je redevenir l’agneau que j’étais?