Ali Ben Mabrouk écrit - A quoi servent les grèves, mis à part déloger les premiers responsables? Leur impact sur l’économie et, même, sur les travailleurs, sont catastrophiques.  


Il ne se passe pas un jour sans que l’on entende parler de grèves ou de sit-in. La dernière astuce trouvée par les grévistes pour attirer vers eux l’attention du plus grand nombre d’observateurs consiste à occuper les grands axes routiers comme le GP1, parfois les autoroutes qui mènent vers les villes à très fortes fréquentations et même des lignes de chemins de fer.
Cet envahissement du réseau de transport est suivi parfois par des actes criminels perpétrés par des délinquants qui profitent du désarroi des conducteurs et leurs accompagnants pour les délester de leurs objets de valeur. Le temps que les militaires et les agents de la garde nationale arrivent sur les lieux plusieurs dizaines de citoyens connaissent les pires moments de leur vie.

Des grèves au timing très opportun
La plupart du temps, les organisateurs de ces attroupements sont secondés par des avocats et des syndicalistes qui, par pure coïncidence, se retrouvent au même endroit et trouvent le temps d’informer, par le biais de leur portable, les médias audio-visuels. C’est un geste honorable à mettre au crédit de ces hommes vêtus de robes noires qui, à aucun moment, ne montrent aucune inquiétude quant à leur propre sécurité, comme s’ils étaient immunisés ou intouchables.
On constate aussi qu’à chaque fois le Premier ministre apparait sur les écrans de la télévision, le lendemain, les éboueurs déclenchent une grève pour des durées indéterminées. Il va falloir demander à M. Caid Essebsi de limiter ses apparitions à la télé pour que la Tunisie reste calme. Il est vrai que M. Caïd Essebsi a montré de l’audace et qu’il n’a pas peur des défis qu’on lui lance. Du moment qu’il ne postule, à l’avenir, à aucun poste politique, il se permet, au risque de déplaire à quelques récalcitrants, de rester intransigeant. C’est un homme qui a un passé qui parle en sa faveur et à chacune de ses interventions, il n’hésite pas à lancer des messages codés à ses interlocuteurs, du genre: «Habib Achour a écopé de dix ans de travaux forcés…». Ils sont plusieurs qui cherchent à le déstabiliser mais il reste implacable car son principal but est de défendre les intérêts du pays sans arrière-pensées ni ambitions personnelles.

Le rôle trouble de l’Ugtt
Par contre, on ne peut pas dire autant de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt), qui ne cesse de revendiquer son droit à l’organisation des grèves, qui entravent la bonne marche du gouvernement provisoire. Son secrétaire général, Abdessalem Jerad, a affirmé, lors d’une rencontre avec des dirigeants syndicaux de l’Espagne, que l’Ugtt a contribué à la chute du premier et du deuxième gouvernement de Mohamed Ghannouchi, un exploit à ajouter aux prouesses des syndicalistes en Tunisie.
D’autre part, et d’après les statistiques fournies, lors d’une table ronde organisée par l’AR2D,  par Mongi Amami, directeur des études et de la communication à l’Ugtt, les statistiques sont alarmantes, rien que pour les trois premiers mois de l’année en cours: 86.797 journées de travail perdues pour l’économie tunisienne! Les principales causes de ces grèves sont essentiellement liées à la sous-traitance et à la titularisation. M. Amami n’a pas cité une autre raison souvent invoquée par les grévistes: l’augmentation des salaires, la préoccupation de la majorité des grévistes. D’après le représentant de la centrale ouvrière, 85% des grèves déclenchées pour ce motif sont considérées comme «sauvages», en ce sens où l’Ugtt n’y est point impliquée, comme si les délégués syndicaux peuvent lancer des avis de grève sans l’accord au préalable de leur organisation.
Les grèves ont augmenté de 150% par rapport à la même période de l’année dernière. Elles ont touché 150 entreprises privées et 20 entreprises publiques. Les secteurs qui ont le plus souffert sont l’industrie textile-habillement, le cuir et chaussures, les industries mécaniques et électriques et le tourisme. Les hôtels n’ont donc pas été épargnés, malgré la basse saison touristique et l’insécurité qui règne dans le pays causant un sentiment de méfiance chez les tours opérateurs eux-mêmes qui sont censés être les promoteurs de ce type d’activité. Les entreprises étatiques ont beaucoup souffert aussi des arrêts intempestifs de travail. Les secteurs les plus touchés sont l’éducation, le transport, la santé, la poste et les municipalités. Mêmes les magistrats, d’habitude très réservés, ont goûté aussi au plaisir de la grève. Les régions les plus affectées par les grèves sont Tunis, Ben Arous, Sfax, Gafsa, Médenine et Nabeul.

Les briseurs de grève molestés par les grévistes
D’après M. Amami les grèves déclenchées sont l’expression du soulagement ressenti par les salariés qui ont été privés pendant 23 ans de  ce droit social. Seulement les grévistes ne sont pas toujours favorables aux grèves qui ne vont rien apporter de concret, comme celles des taxis, des magasins de prêt-à-porter et des aéroports. Les briseurs de grèves sont souvent molestés. On a vu des chauffeurs de taxi tabassés et des vitrines de boutiques brisées parce que leurs propriétaires refusaient de suivre le mot d’ordre de grève.
Les grèves n’atteignent pas souvent l’effet escompté. La situation des grévistes tourne parfois à la catastrophe quand des licenciements sont opérés surtout chez les contractuels ou lorsque des augmentations des heures de travail sont exigées. Dans la plupart des cas, les employeurs trouvent le moyen de se venger de ces fauteurs de trouble, car pour eux une grève est considérée comme un acte criminel qui ne vise qu’à aggraver la situation déjà alarmante des entreprises.
M. Amami n’a pas tout dit sur l’ampleur des grèves mais ce qu’il a révélé est déjà assez inquiétant et suffisant pour comprendre que l’Ugtt n’œuvre pas vraiment au bonheur des Tunisiens et au progrès de la Tunisie. On a vu dans plusieurs cas des employés qui revendiquaient la titularisation. Une fois celle-ci acquise, ils commencent à refuser d’obéir aux ordres de travail car ils savent maintenant qu’ils ne peuvent pas être limogés. Cela se passe dans les hôpitaux et dans les municipalités.
Ce n’est pas avec les grèves que la Tunisie va reprendre son train de vie et ce n’est pas ce climat défavorable qui va ramener les investisseurs et les touristes vers notre beau pays. Ces 86.797 journées de travail perdues au premier trimestre de 2011 ont pesé lourd sur la balance économique. Les fonctionnaires de l’Etat ont reçu leur salaire ce mois-ci, serait-il de même pour le mois de juin, et les mois suivants?