Il y a une trentaine d’années, sous la houlette du super ministre aux quatre portefeuilles Ahmed Ben Salah, la Tunisie décidait d’introduire le système coopératif en complément des secteurs privé et étatique.
Les dérives ont abouti non à une coexistence des trois secteurs mais au phagocytage par le système coopératif des deux autres avec des conséquences désastreuses se traduisant par la faillite de la majorité des petits commerces et des agriculteurs. Depuis, un changement brusque par un revirement à 180% a été opéré, l’aversion des Tunisiens pour le système coopératif étant devenue irrémédiablement consommée, alors que ce même système représente la solution salutaire y compris dans les pays à économie libérale pour fédérer le petit commerce face à la grande distribution et résoudre le problème de collecte en palliant au manque de moyens des petits producteurs agricoles.
Le changement qui consiste à prendre le contraire d’une mauvaise orientation est un raccourci simpliste et dangereux et revient à prendre la direction contraire sur la même voie autoroutière parce qu’on s’aperçoit brusquement qu’on s’est trompé de direction.
La sous-traitance dénaturée en intermédiation mafieuse
La Compagnie des phosphates de Gafsa (Cpg) et d’autres entreprises (dont on peut citer Tunisair) sont en train d’en faire l’amère expérience pour cause d’arrêt brutal de la sous-traitance.
Ainsi, le fait que le clan mafieux de Ben Ali-Trabelsi a tissé une nébuleuse antiéconomique de prédation via l’intermédiation a abouti à dénaturer la sous-traitance dont personne ne conteste l’apport économique par la rationalisation des tâches spécialisées qui ne rentrent pas dans la vocation principale des donneurs d’ordre.
Sous prétexte de sous-traitance, de pans entiers d’activités ont échu – sans aucune transparence et de gré à gré – au clan Ben Ali-Trabelsi, leurs obligés et hommes de main qui avaient le pouvoir d’employer des milliers de personnes en contradiction flagrante du code du travail – payés souvent moins que le Smig, en Cdd renouvelés donc non titularisés, sans déclaration fiscale ou couverture sociale et facturés jusqu’à plus de 3 fois leur coût.
Après le 14-Janvier, sous la pression des syndicats (date à laquelle la direction centrale de l’Ugtt a commencé soudain à être inspirée), des mouvements de grève et des sit-in ont exigé la cessation de toute sous-traitance dans tout le secteur public et la réintégration des employés (notamment dans les spécialités de gardiennage, de nettoyage, de transport et de catering) des sous-traitants dans les entreprises d’origine avec des exigences d’alignement des salaires et avantages somme toute légitimes.
Bonnes ou mauvaises, ces dispositions prises unilatéralement par la Cpg n’ont résolu que la moitié du problème, mettant en quasi faillite des dizaines d’entreprises, qui il est vrai, par leurs dépassements, ont perdu leur légitimité économique en tant que prestataires de services.
Voilà comment la sous-traitance (parler de sous-traitance ou d’intérim est devenu depuis politiquement incorrect), admise universellement comme un des fondements de l’économie, devient honnie et prohibée alors que, par exemple, l’activité de catering et de handling sont sous-traitées par la majorité des compagnies aériennes en tant qu’activité de niche, rien que par le fait qu’il s’agit de services pour soi – même et pour le compte de partenaires.
Cessation de la sous-traitance et blocage de l’activité de la Cpg
Le cas le plus grave est celui de la résiliation des contrats de transport du phosphate après extraction par des entreprises sous-traitantes de la Cpg. Celle-ci, qui a réintégré le personnel de gardiennage et de ménage, a recouru à une indemnisation provisoire pour le personnel de transport en attendant de jours meilleurs. Par ricochet, le Groupe chimique tunisien (Gct) dans sa totalité a eu à surmonter des défis et d’énormes difficultés depuis le 14-Janvier ayant trait à tous les problèmes économiques et sociaux concernant l’emploi, le développement régional, le transport et bien d’autres cristallisant toutes les attentes des populations du bassin minier où les mouvements de contestation cycliques ont connu leur paroxysme en 2008 et ont été réprimés dans le sang en pleine rétention médiatique.
Cette situation a fait que pour faire face à la radicalité du changement réclamé par une jeunesse impatiente et déterminée qui n’accorde plus de crédit aux promesses de l’autorité, des mesures drastiques notamment après l’affectation d’un nouveau Pdg qui connaît la maison (dont la plus importante fut la décision précipitée d’annulation de la sous-traitance) n’ont toujours pas permis jusqu’ à ce jour de débloquer l’activité occasionnant des pertes quotidiennes de 1.5 millions de dinars net (soit 3 millions de DT de chiffre d’affaires journalier).
Il est fort probable que la Compagnie passera l’activité de l’exercice 2011 par pertes et profits, car en plus du recrutement de centaines de personnes, la résolution des problèmes successifs et la réintégration de centaines d’agents de gardiennage et de nettoyage n’ont pu débloquer le problème de transport en usine du phosphate, les entreprises sous-traitantes étant propriétaires des engins dont le transfert de propriété est soumis (simple détail) à autorisation du ministère de tutelle si la date d’acquisition dépasse un an.
Les entreprises sous-traitantes de transport connaissent des difficultés monstres, estiment que la résiliation est abusive (le coût du personnel ne représentant que 18% de leur charge) rien que pour face à leurs frais de leasing et font de la surenchère pour céder au prix fort leurs engins nécessaires au transport en réclamant en sus des dommages et intérêts!
La direction générale de la Cpg et l’Etat ont certes pris la décision de créer des filiales de transport mais, en attendant, la lourdeur des procédures – plaie séculaire de l’administration tunisienne – ne permet guère d’escompter le retour à une activité normale avant la fin de l’année, embourbant davantage la Cpg dans un lourd déficit, cette dernière ne devant son salut qu’au stock ancien disponible en produits finis.
Le transport vers les usines après extraction, qui est le facteur bloquant, n’est pas le seul car s’y ajoutent les problèmes de transport vers l’exportation par ligne ferroviaire (où la fréquence de 16 trains journaliers à chuté de moitié, d’ailleurs au moment où ce billet est rédigé la Sotrafer vient de renter en grève).
Il fut un temps où «La Compagnie », car c’est comme ça qu’on nomme le seul pourvoyeur d’emploi et de revenus significatifs de la région, tenait lieu de Steg, Sonede et prestataire de tout service public (santé, police, etc.) à la fois rien que par la mise à disposition de locaux et d’équipements collectifs et représente une force attractive aux potentialités considérées comme élastiques de tout candidat à un emploi peu importe lequel, la Cpg étant considérée comme une garantie de pérennité d’emploi et de revenu plus solide que ceux d’un statut de fonctionnaire (ce qui provoque des sit-in cycliques de réclamation de réintégration).
Voilà comment, la Tunisie passe à côté de revenus substantiels (jamais le cours du phosphate n’a été, à 145$ la tonne, aussi haut) par la faute d’un changement brusque du à une décision de gestion prise à la hâte sous la pression dont on n’a pas anticipé les graves conséquences!
De ce fait, la Cpg connaît une situation dramatique matérialisée par une production cumulée jusqu’ à nos jours de 700.000 T sur les 3.5 millions de tonnes annuels (et un chiffre d’affaires cumulé de 1 milliard de dinars sur les 7 attendus annuellement et qui sont à portée de nos mains!) à rapporter aux hypothétiques milliards de dollars conditionnés qu'on a quémandés au G8.!).
* Informaticien, chef d’entreprise –Mai 2011