Si la Révolution du Jasmin a réussi à en finir avec le règne autocratique, corrompu et répressif de Ben Ali dans un soulèvement populaire sans précédent des Tunisiens en quête de dignité, justice, et liberté tout en allumant les étincelles de mouvements similaires dans le monde Arabe, il reste encore à vérifier si la Tunisie va réussir dans sa transition vers un régime démocratique et équitable. La révolution parviendra-t-elle à garantir un développement socio-économique inclusif, durable et à réaliser les espoirs des Tunisiens pour un avenir meilleur?
Modèle de transition démocratique dans le monde arabe
A la lumière du sommet du G8 qui a réuni le 26 et 27 mai à Deauville, l’engagement des huit économies les plus industrialisées à fournir un plan global et crédible de soutien à la transition politique et économique se révèle d’une importance capitale.
Ce plan devrait être articulé autour d’une série de mesures immédiates et sur le moyen-long terme comprenant un soutien politique, financier ainsi qu’un appui technique pour mettre la base d’un modèle de développement socioéconomique inclusif et durable assurant la prospérité du pays.
L’inaction (ou une réaction tardive) de la part des pays développés mettront en péril la quête des valeurs démocratiques universelles du peuple tunisien particulièrement dans un contexte où d’autres régimes répressifs comme la Libye et la Syrie répriment toute résistance pour consolider leur pouvoir politique.
D’autres pays arabes comme l’Algérie ou le Maroc jouent l’attente, soit pour mettre en avant des réformes démocratiques crédibles et profondes, soit pour pousser vers la répression politique.
En tant que chef de file de la vague révolutionnaire arabe, la Tunisie peut devenir un modèle de transition démocratique réussie pour le monde arabe. Ou alors, le pays peut succomber face à ses difficultés internes actuelles: une structure de pouvoir et une idéologie héritées de l’ancien régime profondément ancrées, des partis politiques inexpérimentés, mal organisés, hautement fragmentés et manquant de vision socioéconomique, une société civile faible et une conjoncture économique qui se dégrade. Ces pressions internes sont exacerbées par des pressions externes résultant de la guerre en Libye ainsi que par des infiltrations terroristes potentielles qui réduiraient à néant les chances d’une transition démocratique réussie.
Coût de la révolution: 4% du Pib
Aujourd’hui, le coût estimé de la révolution se chiffre à environ 4% du Pib du pays. La Tunisie doit faire face à des pressions économiques accrues, allant d’une détérioration des équilibres extérieurs et fiscaux à une inflation plus élevée et des perspectives d’investissements étrangers, d’envois de fonds de l’étranger et de recettes touristiques moindres – avec les pertes d’emploi concomitantes –, conduisant à des estimations plus faibles de la croissance du Pib. La combinaison de ces pressions rend plus difficile l’absorption d’un nombre plus élevé de chômeurs et réduit la marge de manœuvre face à des revendications sociales croissantes et aux besoins financiers pour organiser les prochaines élections (le 24 juillet ou le 16 octobre).
A leur tour, les estimations faisant état d’une croissance inférieure rendent difficile l’absorption du nombre élevé de chômeurs et compliquent les réponses à apporter aux revendications sociales croissantes ainsi que les perspectives pour subvenir aux besoins financiers des prochaines élections (prévues en 2011).
Des mesures à court et moyen termes
En tout et pour tout des mesures à court et moyen termes doivent être mises en place pour soutenir le premier phénomène de transition démocratique dans le monde arabe. Ces mesures doivent répondre aux besoins immédiats du pays, notamment:
- soutenir la transition démocratique pour mener à bien une élection juste et inclusive et promouvoir des réformes substantielles des appareils nationaux;
- mettre un terme à la dégradation des conditions socioéconomiques résultant des pertes encourues au moment de la révolution ainsi qu’à la spirale descendante qui serait désastreuse pour la capacité du pays à honorer ses engagements internationaux tout en maintenant le déficit budgétaire à des niveaux acceptables;
- répondre à l’impératif social de création d’emplois et à la création d’un filet de sécurité sociale pour dépasser les difficultés actuelles ; 4) répondre à la crise humanitaire et sanitaire résultant de la guerre en Libye.
Des mesures supplémentaires sur le moyen-long terme sont tout aussi importantes pour préparer le terrain à un modèle de développement socio-économique soutenable qui réponde aux espoirs du peuple pour un avenir meilleur.
Mesures urgentes de soutien politique et financier
Pour ce qui est des mesures immédiates, le support du G8 peut être articulé autour des mesures urgentes de soutien politique, financier et d’appui technique. Un paquet financier d’un montant entre 5 et 10 milliards de $ qui doit être déboursé entre 2011 et 2012 contribuera à couvrir la perte de 4% du Pib subie après la révolution, les coûts actuels et futurs pour préparer l’infrastructure nécessaire aux prochaines élections et pour parer à la crise humanitaire libyenne ainsi que d’autres mesures détaillées ci-dessous.
Afin d’accompagner la transition politique vers une démocratie profonde et soutenable, un engagement envers les mesures suivantes doit être pris:
- établir un fond ciblé sur l’accompagnement aux besoins financiers de la transition démocratique (par exemple: créer l’infrastructure pour les élections, soutenir les partis politiques et acteurs de la société civile crédibles, lutter contre la corruption) ; et fournir l’appui technique nécessaire à l’établissement des programmes de jumelage répondant aux impératifs de renforcement de capacités, plus particulièrement en ce qui concerne la réforme politique, constitutionnelle, judiciaire et de l’appareil sécuritaire. Les structures européennes existantes peuvent être utilisées pour transférer les fonds et fournir l’appui technique nécessaire.
Afin d’éviter le désastre d’une spirale économique négative, les mesures suivantes devraient être étudiées:
- organiser des campagnes majeures de soutien à la saison touristique en Tunisie au sein des pays du G8, et une campagne de sensibilisation des migrants sur les besoins de maintenir constants les envois de devises;
- fournir un appui budgétaire et alléger la dette afin de diminuer la pression sur le gouvernement de transition;
- encourager les investisseurs étrangers à maintenir et augmenter leurs activités immédiatement par le biais d’un renforcement des schémas de garantie de la Miga afin de s’assurer contre le risque politique.
Comment engranger les bénéfices de la révolution
Pour soulager la crise humanitaire et sanitaire résultant de la guerre en Libye, le G8 doit agir afin de mettre un terme au bain de sang et fournir à la Tunisie les moyens financiers pour se tenir aux côtés des Libyens dans la guerre.
En ce qui concerne les mesures à moyen et long terme, un mélange de soutien politique, financier et de moyens d’assistance est nécessaire pour permettre au peuple tunisien d’engranger les bénéfices de leur révolution. Il s’agit de:
- soutenir une stratégie de projets d’infrastructure (transport, énergies propres, parcs technologiques), logements sociaux (particulièrement dans les zones rurales) et de développement des petites et moyennes entreprises. Les bailleurs de fonds comme la Banque européenne d’investissement (Bei), le Fonds européen d’investissement (Fei), la Banque européenne de reconstruction et de développement (Berd), la Banque Mondiale et d’autres comme le secrétariat de l’Union pour la Méditerranée (UpM) pourraient collaborer pour coordonner leurs actions et soutenir ces développements;
- faciliter des liens commerciaux plus importants par le biais d’accords de libre échange étendus particulièrement avec des pays comme les Etats Unis, le Japon et le Canada;
- encourager une intégration commerciale plus rapide et plus profonde de la Tunisie avec l’Union européenne (UE) en octroyant au pays le statut de partenaire associé, avec par exemple la possibilité d’accéder aux fonds structurels européens et la conclusion de partenariats de mobilité utilisant pleinement le code des visas de l’UE.
Prises ensemble, ces actions aideront la Tunisie dans son ambitieuse quête de démocratie et de développement socio-économique inclusif et durable.
* Chercheuse Senior au Centre for European Policy Studies (Ceps) et coordinatrice du Projet Medpro – Prospectives Méditerranénnes.
* Le titre et intertitres sont de la rédaction.