La révolution de la dignité en Tunisie comme en Egypte a été menée par des peuples réclamant plus de liberté, d’égalité, de solidarité et de justice sociale; des valeurs partagées par les pays de la rive nord de la Méditerranée ainsi qu’outre-Atlantique.
Dans cette phase critique qu’est la transition d’un régime dictatorial à un régime démocratique, il est donc impérieux que ces pays soutiennent la Tunisie, qui peut apparaître comme un exemple, un laboratoire pour la fondation d’une démocratie dans un pays dont une des cultures est arabo-musulmane.
L’investissement pour la réussite de la transition
Au-delà des yeux du monde qui sont tournés vers la Tunisie, les pays de la région observent attentivement l’évolution de cette transition, qui, selon l’enlisement ou la réussite de l’expérience, pourra créer des incitations à renforcer un pouvoir autocratique ou à engager des réformes.
L’investissement pour la transition, condition qui garantira le succès de l’établissement d’un régime démocratique en Tunisie – qui peut être considérée comme un bien public mondial, selon la formule utilisée par le Premier ministre Béji Caïd Essebsi – sera porteur d’effets collatéraux positifs de toute part. C’est le sens de l’initiative ‘‘Invest in Democracy’’ et de la tribune publiée dans le quotidien français ‘‘Le Monde’’, le 18 mai, et signée par des économistes de renommée mondiale, qui soulignent notamment l’important potentiel économique de la Tunisie et appellent à soutenir le pays.
Par ailleurs, ces économistes, au premier rang desquels Stiglitz, Attali, Aghion, estiment le coût d’un plan de soutien à 20 à 30 milliards de dollars sur cinq ans, soit 2 à 3% du coût de la réunification allemande et inférieur au coût d’un à deux mois de la guerre en Irak, ce qu’avait par ailleurs déjà relevé Elyès Jouni lors d’un entretien sur le même quotidien, le 19 avril.
Le Premier ministre, accompagné du ministre des Finances, a ainsi appelé les dirigeants du G8, réunis les 26 et 27 mai à Deauville, a adopter un plan d’appui à la révolution tunisienne d’un coût de financement de 25 milliards de dollars sur cinq ans, soit 5 milliards par an. Ainsi, à l’issu de ce sommet, les chefs d’Etats du G8, ont décidé de mobiliser 40 milliards de dollars pour l’Egypte et la Tunisie sur les trois prochaines années. Ce financement se décompose en trois volets: 20 milliards de dollars de financements multilatéraux (dont 5 milliards par la Banque européenne d’investissement, plus de 6 milliards par la Banque mondiale), 10 milliards de dollars d’engagements bilatéraux (dont 1 milliard par la France) et 10 milliards promis par les pays du Conseil de coopération du Golfe. La contribution du Fonds monétaire international (Fmi), qui n’est pas incluse dans le financement qui vient d’être relevé, devrait s’élever à 35 milliards de dollars pour l’Egypte et la Tunisie.
En définitive, ce sont 75 milliards de dollars qui devraient être mobilisés pour financer des plans de soutien transitoires aux deux pays qui tentent de parachever leur révolution de la dignité. Dans la mesure où les montants alloués à chacun de ces deux pays sera décidé en fonction des projets et programmes présentés, il paraît peu évident de faire une évaluation par rapport aux besoins exprimés par la Tunisie. En revanche, depuis le 14 janvier, divers montants de différents bailleurs ont été communiqués. Que représentent-ils, à quoi serviront-ils? Sont-ils nécessaires?
Divers financements pour soutenir la Tunisie en 2011
La Banque européenne d’investissent (Bei) a été une des premières institutions multilatérales à procéder à un renforcement de l’aide en faveur de la Tunisie, lors d’une visite de son vice-président à Tunis, le 3 mars. Ainsi, après avoir engagé 480 millions d’euros en 2010, la Bei propose une enveloppe comprise entre 600 et 870 millions d’euros pour l’année 2011. Ces fonds seront mobilisés pour finaliser une série de projets déjà contractés et d’en développer de nouveaux, comme un programme visant à développer et moderniser les infrastructures routières à l’instar de l’axe Tunis-Sidi Bouzid-Gafsa, pour un montant de 163 millions d’euros. Le financement de projets de zones défavorisées est aussi au centre de ce soutien avec un engagement à hauteur de 310 millions d’euros.
La Banque mondiale (BM) et la Banque africaine de développement (Bad) se sont engagées dans le cadre d’un appui budgétaire d’urgence à hauteur de 1 milliard de dollars pour 2011, pour absorber le chômage des jeunes et soutenir la société civile. Ce sera un crédit à long-terme, à un taux d’intérêt flottant autour de 3%, selon les options du gouvernement tunisien et dont le remboursement sera échelonné en fonction de l’évolution de l’activité économique. Le contrat de 500 millions de dollars de la BM sera d’ailleurs signé avant la fin du mois de juin, selon le président du Groupe de la Banque, Robert B. Zoellick, qui a précisé qu’une enveloppe supplémentaire de 700 millions de dollars pourrait être constituée par d’autres contributeurs. Selon l’avancée de la voie de la modernisation de l’économie de la Tunisie, la BM a affirmé qu’elle serait prête à octroyer un financement d’un montant de 1,5 milliard de dollar pour 2011-2012 et qui aurait pour objectif de renforcer le soutien au budget tunisien et d’appuyer des projets d’investissements, notamment dans les régions du centre-ouest.
L’Agence française de développement (Afd) a annoncé un financement de 350 millions d’euros autour de deux axes d’interventions: favoriser l’activité économique et développer le volet emploi-formation. Deux conventions ont été signées à Deauville par le ministre des Finance Jaloul Ayed et le directeur général de l’Afd, Dov Zerah, pour le financement destiné à l’appui à la relance de l’économie tunisienne de 185 millions d’euros et 15 millions d’euros pour la construction de l’Ecole nationale d’ingénieurs de Bizerte. Cette première tranche de 200 millions d’euros est un prêt à décaissement rapide qui va permettre d’appuyer les priorités définies par le gouvernement tunisien.
Enfin, d’autres bailleurs pourront apporter leur soutien financier à la Tunisie, à l’instar de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) qui devrait prochainement pouvoir intervenir en Afrique du Nord, après avoir révisé ses statuts. Aussi, la Berd aurait l’intention d’investir 2,5 milliards d’euros par an dans les pays du sud de la Méditerranée, au premier rang desquels la Tunisie.
Au total et parmi les montants identifiables, plus de 3 milliards d’euros, soit environ près de 4,5 milliards de dollars, seraient injectées cette année en Tunisie. On est proche des 5 milliards de dollars demandés par le Premier ministre pour 2011. Cependant, il faut que les engagements promis soient effectivement signés et que ce soutien envers la Tunisie ne s’érode pas.
Des sources de financement nécessaires et bienvenus
L’ensemble des financements qui ont été annoncés ne sont pas des dons pour la Tunisie, mais bien des prêts. Ce soutien financier de la part de la communauté internationale a donc un coût, ce que fustigent certains groupes qui considèrent caricaturalement que la Tunisie sera dilapidée et vendue aux bailleurs de fonds. Rappelons que depuis la révolution, la confiance des marchés privés envers les perspectives économiques de la Tunisie s’est altérée, ce qui s’est traduit par la dégradation de la note souveraine du pays par les agences de notations internationales (Moody’s, Fitch Rating, Standard and Poor’s). La conséquence de ce manque de confiance est qu’il en coûtera plus cher à la Tunisie de lever des fonds sur les marchés internationaux. Or, le pays doit gérer le contexte critique de la transition pour édifier un régime démocratique et pour répondre aux aspirations de la révolution. Cela à un coût et les marges de manœuvre sont limitées, compte tenu de sa situation budgétaire fragilisée à cause de la morosité de l’activité économique, d’une part et parce qu’elle doit honorer le remboursement de sa dette d’autre part.
Le recours aux banques de développement et autres bailleurs de fonds est donc celui qui est le moins coûteux pour la Tunisie pour deux raisons principales: il permet l’accès à divers financements à un coût du crédit bien moins onéreux que sur les marchés financiers. Ajoutons aussi que le financement qui sera accordé à la Tunisie est exceptionnel. En effet, le manque de visibilité et l’incertitude vis-à-vis de l’évolution économique et politique d’un pays, sont un argument souvent avancé par les institutions financières internationales pour justifier leur parcimonie face aux situations de crises. Enfin, il est parfois avancé que l’aide bilatérale (de pays à pays) ne sert que les intérêts des pays donateurs. L’aide liée, c’est-à-dire une aide octroyée si le bénéficiaire fait appel pour son utilisation aux biens et services du donateur, est une pratique peu commune depuis plus d’une décennie.
Cependant, il convient d’ajouter que l’aide publique au développement est une des composantes de la politique extérieure d’un Etat et qu’on ne peut attendre qu’elle soit complètement désintéressée. Ce qui importe ce sont bien les bénéfices certains que la Tunisie va pouvoir retirer de ce soutien pour répondre à des problématiques de court terme et de moyen terme, et qu’ils soient supérieurs au coût de l’emprunt.
Si des événements exogènes ne viennent pas créer une grande instabilité en Tunisie, alors il est raisonnable de penser que cette confiance, si nécessaire, des institutions financières internationales et des Etats, va se renforcer et va alors appeler des investissements privés. Il en va aussi de l’intérêt des nations du monde libre.
Outre le soutien à des valeurs communes que sont la liberté, l’égalité dans un pays démocratique, le potentiel de co-développement entre la Tunisie et l’Europe, notamment, est très important. La Tunisie, comme ses partenaires, devront donc mutuellement s’entre-aider en démontrant à l’ensemble du monde, que le choix de la démocratie est un choix gagnant.
Source: ‘‘El Mouwaten’’.
1 - Depuis la Révolution, les prévisions de croissance de l’économie tunisienne pour l’année 2011, sont passés de 2% à 1,3% puis moins de 1% actuellement. Le taux de chômage pourrait passer de 13% à 20% de la population active portant le nombre de chômeurs à 700 000 dont 170 000 diplômés de l’enseignement supérieurs, selon le ministère tunisien des affaires sociales.
2 - L’aide liée est une pratique interdite à l’AFD. Aussi, selon l’OCDE, 88% de l’aide publique au développement mondiale en 2007 était déliée.