Vous resterez dans l’Histoire pour votre résistance héroïque. Vous resterez dans les pensées de chaque Tunisien d’aujourd’hui et de demain. Je n’ai pas l’habitude de m’incliner devant qui que ce soit. Mais je dois reconnaître ici votre courage et votre dévouement pour que les droits fondamentaux, dont veut jouir chaque être humain ne s’éteignent pas en Tunisie.
Je suis jaloux de vos caractères et de vos personnes. Sans doute, nous autres Tunisiens, moins actifs que vous, avions trop peur pour réagir jusqu’à ce 14 janvier. Sans doute avions nous été trop silencieux même si nos cœurs étaient révoltés. Chacun doit le reconnaître et je le reconnais ici, pour ma part, clairement et publiquement.
Vous étiez peu à vous battre face au Lion. Vous n’aviez que vos mains nues et votre courage. Le temps donne la sagesse et bonifie les choses. Je souhaite vous soumettre un poème bonifié et devenu clair avec le temps, dans lequel vous vous reconnaîtrez peut être, dans lequel se reconnaîtront peut être les 40.000 manifestants de l’avenue Bourguiba le 14 janvier 2011, dans lequel se reconnaîtraient peut être les martyrs de la résistance tunisienne (paix à leur âmes), dans lequel se reconnaîtront peut être toutes les mamans et papas des personnes torturées et assassinées.
Pour moi, vous êtes des géants de l’Histoire tunisienne. Vous avez ouvert la voie vers le changement. Le vrai et le bon cette fois-ci. Le changement vers la démocratie. Et même si, comme tout véritable grand, vous ne souhaitez pas, comme d’autres avant vous, qu’on affiche votre portrait dans chaque magasin, chaque administration au coin de chaque rue, j’espère qu’un jour on gravera vos noms sur le marbre. Mais sachez de toute façon que, dès à présent, il est gravé dans nos esprits.
Vous resterez dans l’Histoire car vous avez fait l’Histoire.
Je souhaite vous soumettre ce poème de La Fontaine. Ce grand passeur de message par des fables. Vous ne m’en voudrez pas de vous comparer à un moucheron. Car comme vous le verrez, ce moucheron est exceptionnel! Comme vous, il a terrassé par son courage et sa persévérance celui qui se prenait pour le maître absolu, le lion.
La Fontaine, le moucheron et le Lion
Le lion et le moucheron
Va-t-en, chétif insecte, excrément de la terre !
«C’est en ces mots que le
Lion Parlait un jour au moucheron.
L’autre lui déclara la guerre.
«Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur, ni me soucie?
Un bœuf est plus puissant que toi,
Je le mène à ma fantaisie.
«À peine il achevait ces mots,
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette et le héros.
Dans l’abord, il se met au large;
Puis prend son temps, fond sur le cou
Du lion, qu'il rend presque fou.
Le quadrupède écume, et son œil étincelle;
Il rugit; on se cache, on tremble à l’environ:
Et cette alarme universelle
Est l’ouvrage d’un moucheron.
Un avorton de mouche en cent lieux le harcèle:
Tantôt pique l’échine et tantôt le museau.
Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte monté.
L’invisible ennemi triomphe et rit de voir
Qu'il n’est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,
Bat l’air, qui n’en peut mais, et sa fureur extrême
La fatigue l’abat: le voilà sur les dents.
L’insecte du combat se retire avec gloire:
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
L’embuscade d’une araignée:
Il y rencontre aussi sa fin.
Quelle chose par là nous peut être enseignée?
J’en vois deux dont l’une est qu’entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits;
L’autre, qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.
L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu’il n’est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux Lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,
Bat l’air qui n’en peut mais, et sa fureur extrême
Le fatigue, l’abat ; le voilà sur les dents.
L’Insecte du combat se retire avec gloire:
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
L’embuscade d’une Araignée:
Il y rencontre aussi sa fin.
Quelle chose par là nous peut être enseignée?
J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits;
L’autre, qu’aux grands périls tel a pu se soustraire.
Qui périt pour la moindre affaire.
Mesdammes Nasraoui, Bensédrine, Belhassen, monsieur le Juge Yahiaoui, vous qui avez commencé cette révolution il y a bien longtemps, merci. Je n’oublie pas le martyrs Bouazizi, ni Marouane Ben Zineb, ce jeune homme qui n’avait que le tort d’être un prodige de l’informatique. Je n’oublie pas les centaines de torturés et d’assassinés parce qu’ils n’ont que le tort de croire en Dieu. Je n’oublie pas les journalistes muselés. Je n’oublie pas les adolescents dont le crane fut ouvert par des snipers. Je ne les oublie pas même si je ne les cite pas car je manquerai de place ici.
Personnellement, je parle de vous à mes jeunes enfants et ne vous oublierai jamais. Je vous demanderai cependant un dernier petit effort, vous qui semblez être, aujourd’hui, à l’écart des inconscients qui guerroient pour le pouvoir en Tunisie alors que leur adversaire commun, tapie dans l’ombre, certes affaibli mais pas mort, les observe se diviser; je vous demanderai de leur rappeler, à ces politiciens amateurs, rouillés par 23 ans d’inactivité forcée, la deuxième partie de ce poème de La Fontaine. L’araignée silencieuse qui a tissé sa toile pendant deux décennies en Tunisie pourrait bien avoir raison de cette fragile liberté en Tunisie si les enjeux des petits politiciens assoiffés du pouvoir continuent de diviser les tunisiens au lieu de les unir.
Certains partis politiques impressionnent par leur taille et leur assise populaire mais ne sont que des colosses au pied d’argile. Ils ont certes un projet sociétal et souhaitent redonner des valeurs aux Tunisiens mais n’ont qu’une esquisse de programme économique, ce qui ne remplira pas les « assiettes du peuple» et le peuple ne peut se nourrir que de valeurs fussent-elles divines.
D’autres, au contraire, ont un projet économique mais n’ont aucune assise populaire ou si petite qu’il leur est impossible de gouverner la Tunisie seuls.
Tous sont donc assez forts pour exister mais tous sont trop faibles pour tenir les «manettes de la Tunisie» seuls. Ces partis, parce que les circonstances les y obligent devraient rester sur leur positions d’il y a quelques mois (quand il y avait une sorte de coalition tacite face à Ben Ali) ou ils avaient bien compris qu’il ne pouvait en être autrement. Ils faut qu’ils s’unissent dans un gouvernement d’union nationale. Les tunisiens n’ont pas besoin d’un chef, une sorte de Ben Ali 2, qui sorte au dessus du lot (les tunisiens ont déjà donné dans ce registre que ce soit avec Bourguiba (ça pouvait encore passer pour lui) ou avec Ben Ali. Ils ont besoin d’une équipe gouvernementale solide représentative de toutes les composantes en présence et ce avant même les élections.
Les Tunisiens ont vaincu le lion. Il faut finir le travail. Ce serait bien dommage d’avoir fait tout cela pour périr, comme le dit La Fontaine, «pour la moindre affaire», à savoir la division résultant d’une course au pouvoir qui risque d’être stérile pour tout le monde.
Dans tous les cas, Merci encore quoi qu’il advienne !
Source : ‘‘Tunisie Times’’.