Tarak Arfaoui écrit - La démocratie réclamée par tous peut-elle voir le jour un jour en Tunisie dans le climat ambiant d’incivisme?


Le Tunisien a t il un comportement civique? Pour le civisme, au sens littéral du terme (dévouement pour sa patrie), la réponse est sans hésitation oui, mais au sens pratique, et au risque de scandaliser mes chers concitoyens, dans l’euphorie révolutionnaire que nous vivons, j’ose dire que le Tunisien a souvent un comportement très peu civique.

Les scènes de l’incivisme ordinaire
Essayez de circuler à Tunis et vous verrez comment l’incivisme et la gabegie ont envahi nos rues et nos espaces publics. Ils font partie de nos mœurs. Je ne  parlerai pas de la pollution sonore dans la rue et surtout de la pollution verbale  déplacée, grossière, qui sont devenues une marque de fabrique tunisienne. A la première intersection vous tomberez certainement sur un ou deux automobilistes bons citoyens- instruits- pères de famille en train de griller un feu rouge au nez et à la barbe de tout le monde, et un peu plus loin, au premier bouchon, vous êtes surpris par une file de voitures qui prend la chaussée à contre-sens pour passer avant les autres en zigzaguant devant ceux qui viennent en face; n’essayez pas de rouspéter contre ce cher citoyen qui roule à gauche en palabrant dans le portable, vous risquerez certainement d’entendre quelques quolibets, et surtout ne faites aucune remarque à ce monsieur qui conduit assis sur sa ceinture de sécurité avec le petit fiston sur les genoux en ayant toutes les peines du monde à manœuvrer son volant; votre regard inquisiteur ne changera rien à celui qui jette à travers la fenêtre de sa voiture son paquet de cigarettes vite parce que, quelques mètres plus loin, c’est la canette de bière qui suivra.
Vous serez surpris de constater le nombre effarant de motocyclistes roulant avec la casquette accrochée au guidon et vous serez complètement ébahi par ceux qui chevauchent la même moto à trois.

La démocratie commence par l’attente de son tour dans une file
Que dire de ce citoyen arrivé dans votre dos qui vous pousse du coude à la boulangerie pour se servir avant vous en ayant pris soin de tâter avec ses mains sales toutes les baguettes exposées, ni celui qui essaye de glisser incognito dans la file d’attente au supermarché pour passer avant tout le monde?
Que dire de cet honorable citoyen qui fête son heureux événement dans un vacarme assourdissant jusqu’à l’aube en faisant le malheur des voisins qui n’arrivent pas à fermer l’œil toute la nuit et gare à celui qui ose alerter la police municipale?
Que dire de celui qui, dans un élan de civisme de bon aloi, dépose son sac poubelle juste à côté du container prévu a cet effet?
Enfin je ne vous parlerai pas de ces misérables qui déversent  les restes de leur chantier par camions entiers dans les  espaces publics sur les trottoirs ou carrément sur le gazon du premier rond point rencontré.
Les exemples sont vraiment multiples et ces clichés, ahurissant sous d’autres cieux, font désormais partie de notre paysage quotidien depuis belle lurette à tel point que cela ne dérange plus personne.
La démocratie réclamée par tous peut-elle voir le jour dans ce climat ambiant d’incivisme? Si un acte aussi élémentaire que d’attendre son tour dans une file n’est pas encore assimilé par une bonne frange des Tunisiens, comment peut-on aller aux élections et comment peut on accepter le verdict des urnes? La révolution, la démocratie, la citoyenneté ces nobles valeurs universelles peuvent elles coexister avec l’incivisme?