Samir Messali écrit - Les jeunes tunisiens continuent d’exiger un travail qui leur permette de vivre dignement. Ce ne sera certainement pas un travail rémunéré à 300 dinars par mois.


Lors d’un récent meeting, Abdelfatteh Mourou, avocat, membre fondateur du mouvement Ennahdha et imam prêcheur, s’est permis, en évoquant des accusations de double langage lancées contre un parti politique, de raconter, sur un ton ironique, l’histoire d’un jeune tunisien qui dissimule à sa fiancée la réalité de son véritable revenu en l’invitant à un dîner chic à 60 dinars le menu, pour qu’une fois mariée elle découvrira que le salaire du monsieur est de 300 dinars plutôt que 3.000.

Peut-on faire de la Tunisie la deuxième Suisse?
Je présume que c’est le côté imam de M. Mourou qui lui a permis de raconter cette histoire qui recouvre à morale. Car je n’imagine pas un homme politique évoquer d’une manière superficielle un vrai problème qu’aura à résoudre le prochain gouvernement.
En effet un Smig de 300 dinars ne peut pas suffire aux besoins d’un foyer tunisien. Et monsieur Mourou, qui connait bien le pays, sait que ce salaire suffit  à peine aux besoins d’un célibataire vivant chez ses parents. Et ce n’est pas par hasard que des milliers de nos jeunes tentent, au péril de leur vie, de traverser la Méditerranée à la recherche d’un Smig 10 fois plus important.   
La réussite de la politique économique est une condition essentielle du succès de tout nouveau gouvernement. Résorber le chômage, c’est un objectif inéluctable, mais en plus de la création d’emploi, c’est surtout la qualité de l’emploi, sa rémunération et sa stabilité qui importent encore  plus.
En attendant de découvrir les programmes économiques des partis politiques, nous nous contentons, pour le moment, de souhaits ou, dans le meilleur des cas, d’objectifs et d’orientations plus ou moins précis.
Certains veulent faire de la Tunisie la deuxième Suisse, les autres veulent appliquer le modèle économique des pays scandinaves. Il est légitime d’avoir de telles ambitions mais il ne faut pas perdre de vue que la Norvège, à l’échelle mondiale, est le sixième exportateur de pétrole et troisième exportateur de gaz naturel. Que le groupe suédois Volvo paye annuellement un impôt sur les sociétés équivalent à un milliard de dinars. Que le géant suisse Nestlé a réalisé en 2010 un bénéfice de 34 milliards de francs suisses, soit l’équivalent de notre Pib pour l’année 2009. Et qu’enfin le Finlandais Nokia distribue en Finlande  une masse salariale annuelle égale à deux milliards de dinars.

Les modèles économiques en question
Il est très facile donc de mener une politique sociale généreuse et équitable quand on est un pays peu peuplé comme la Tunisie. Mais faut-il en plus avoir un tissu industriel aussi performant que celui la Suède ou des ressources naturelles aussi abondantes que celle de la Norvège.
J’ajoute à cela que les quatre pays que je viens de nommer ont un point commun qui n’est pas sans relation avec leur situation économique et sociale. En effet, dans le classement des meilleures universités dans le monde figurent, parmi les 100 premières, trois universités suisses, trois suédoises, une norvégienne et une  finlandaise, alors que la première université tunisienne est classée au 6719e.
Chaque parti politique tunisien porte un projet de société qu’il considère comme le meilleur pour notre pays. Quel que soit la teneur de ce projet, il ne faut pas perdre de mémoire que les jeunes tunisiens qui sont descendus dans les rues avant le 14 janvier, et parfois au prix de leur vie, scandaient haut et fort  le slogan suivant: «Le travail est un droit… Bande de voleurs».
Si la révolution a permis de mettre la bande de voleurs hors d’état de nuire,  dans l’attente de leur jugement, nos jeunes, de plus en plus nombreux,  continuent à exiger du travail qui leur permettrait de vivre dignement.
Ce ne sera certainement  pas un travail rémunéré à 300 dinars par mois.