Jamel Dridi écrit – Il est temps que les journalistes tunisiens fassent enfin leur travail honnêtement pour que l’on oublie les longues années d’errance au cours desquelles ils ont dévoyé leur métier et fait le lit de la dictature.


S’il y a bien une profession que l’ancien régime s’est évertué à combattre, c’est bien celle de journaliste, ce marqueur instantané des atteintes à la démocratie.
Le pouvoir avait rapidement compris la force de la plume. La meilleure  façon pour lui de la contrôler fut alors de la casser. S’en est suivi des actes de plus en plus liberticides. Interdiction de journaux, menaces, tortures, emprisonnements et exils forcés ont sinistré la profession. Au point tel qu’aujourd’hui il ne reste plus que quelques rares personnes que l’on peut qualifier de véritables journalistes dans le paysage médiatique tunisien. Quelques journalistes qui, comme les décrivaient Albert Londres, sont des «interrogateurs des zones d’ombres dénonçant les injustices, les absurdités et les incohérences du pouvoir, qui luttent contre le silence en questionnant et en informant». Et, par les temps qui courent, le peuple tunisien en quête de transparence a bien besoin d’eux.

Gagner l’indépendance d’esprit
Les autres, professionnels du stylo, confondent hélas publireportages et journalisme. Certains continuant même à verser dans le culte de la personnalité des puissants (hommes politiques, hommes de pouvoir et d’affaires…). D’autres sous le prétexte de pseudo analyses économiques nous vantent les mérites de telle ou telle entreprise ou dissertent sur les effets négatifs sur elles de la révolution et des sit-in. On s’aperçoit rapidement que cette même grande entreprise paie des publicités dans ce même journal, c’est pourquoi elle est défendue de la sorte…
Bref, la plume, si elle s’est mise à ré-écrire, n’est pas totalement libérée. C’est pourquoi, il faut impérativement et rapidement redonner au journaliste sa véritable place dans la société tunisienne. Surtout, il faut aider les jeunes journalistes à gagner cette indépendance d’esprit, à avoir cette honnêteté intellectuelle, socle de leur métier qui leur permettra d’informer les Tunisiens. Il faut leur garantir l’indépendance matérielle et financière nécessaire à leur indépendance tout court.

Le statut du journaliste doit être «sécurisé»
Il ne s’agit pas, ici, de défendre cette profession par corporatisme ou idéalisme. Je dirais même, au contraire, comme beaucoup, dégoûté de ce que j’ai pu lire pendant plusieurs années, que j’aurais même envie de la blâmer fortement tant elle s’est dévoyée. Mais comme disait l’autre, arrêtons un temps «les œil pour œil et dent pour dent», car ce n’est effectivement pas constructif. Mais, surtout, le journaliste a un rôle déterminant pour faire avancer la société. Il révèle ses défauts et l’oblige à se réformer. Au point tel que certains l’ont qualifié de 4e pouvoir ou de chien de garde de la démocratie. Je crois que ces deux images ne sont pas exagérées. Le journaliste, c’est un peu comme un gros berger allemand à l’entrée de la maison. Sa seule présence dissuade les voleurs. Et si ces derniers venaient à s’aventurer trop prêt de la maison (démocratie), il aboie ce qui alerte tout le monde.

L’acte d’une rupture franche avec le passé
Alors, d’accord, tournons nous vers l’avenir! Je m’adresse là aux patrons de presse et aux journalistes réclamant encore et toujours que l’on tourne vite la page révolutionnaire sans trop regarder dans le rétroviseur les erreurs de la profession. Mais, dans ce cas alors, faisons ce métier avec exigence, conscience et surtout honnêteté. Montrons notre bonne foi immédiatement. Montrons  que notre engagement n’est pas qu’une posture pour être en phase avec le paysage pour éviter que l’on nous reproche d’avoir collaboré avec l’Atce. Plongeons le stylo dans la plaie, comme disais Albert Londres. Commençons aujourd’hui par enquêter et divulguer sur les victimes de l’ancien régime (en premiers lieu, les assassinés et les torturés). Dénonçons les officiers supérieurs de la police, les éléments de la magistrature, les caciques du Rcd que l’on connaît malhonnête. Eclairons ces zones d’ombre avec courage et professionnalisme. Que les projecteurs éclairent ceux qui ont fauté même si dans un deuxième temps, à défaut de pardon des pauvres victimes (et je peux comprendre qu’une personne violée ne pardonne jamais!), la réconciliation nationale les immunisera d’un procès.
Allez, allons-y franchement. C’est la meilleure façon de montrer sa bonne foi de bon journaliste, en phase avec cette ère nouvelle, et peut être de montrer que ce métier a tiré un trait définitif sur ce passé peu glorieux ou la plume du journaliste se louait à vil prix.