L’université tunisienne est toute jeune: elle aurait, dans un mois, 53 ans, si on retient la date de son acte de naissance, en juillet, 1958, deux ans après l’indépendance. En réalité, il y a bien eu, avant elle, dans notre pays, une autre université, millénaire et des universitaires: des enseignants à la grande mosquée Zitouna: des hommes de lettres et de religion dont certains étaient d’une grande érudition et compétence et de renommée internationale. Leurs noms sont, aujourd’hui, oubliés, peu connus. Leur science est à jamais perdue, après l’interruption, brutale, de leur enseignement, au lendemain de la décolonisation.
Une université, moderne, a été rapidement mise sur pied, à la place de l’ancienne, supprimée d’un trait, après plus de 1.250 ans d’activité! Des professeurs, étrangers, bénévoles ou contractuels et quelques Tunisiens, pionniers, qui ont fait, pour la plupart, des études dans l’ancienne métropole, ont été les premiers à présider aux destinées des nouvelles facultés.
Des universitaires au comportement peu flatteur
Certains universitaires, cependant, qui les ont suivis, ont succombé à bien d’interdits, dès les premières décennies de l’indépendance, à la tête de la toute jeune université. Ils s’étaient, en effet, rapprochés, de trop près, d’un pouvoir qui, pour mater les protestations estudiantines et quelques velléités d’indépendance de certains jeunes universitaires, leurs multipliait les privilèges et se servait d’eux, contre ses adversaires, exploitant leur crédit auprès de la population.
Le comportement peu flatteur de ces scientifiques a même fait des émules, durant les deux dernières décennies, chacun, de son mieux, cherchant à obtenir, par tous les moyens, les faveurs d’un pouvoir politique, corrompu et inculte, et des milieux affairistes, de son entourage, véreux et peu scrupuleux.
La dépravation a été, certes, totale – la corruption, à tous les niveaux, prévalait dans tout le pays et au ministère de tutelle –, mais la déviation de notre université avait, également, une autre racine: un péché originel et une négligence fatale, dès sa naissance. On avait oublié, dans l’euphorie de sa création, qu’une université est avant tout une école, une éthique et une tradition et qu’elle doit défendre un code de conduite dont dépendront sa survie et son bon fonctionnement. Des rapports suspects avec le pouvoir, un laisser-aller coupable et une absence de garde-fous, de mécanismes efficaces, de surveillance et de contrôle, au sein des conseils scientifiques, ont caractérisé tout son itinéraire, depuis sa jeune enfance. Les comités d’éthique destinés à réprimer la fraude, enquêter sur les ressources de financement des études de recherche, élaborer un règlement strict régissant les rapports des professeurs et chefs de départements avec leurs étudiants et mentors, prévenir toutes sortes d’abus et de conflits d’intérêts, sont pratiquement inexistants ou inopérants, paralysés par de puissants mandarins et des interventions intempestives et irresponsables des autorités de tutelle.
Il est temps de mener une enquête sur des accusations qu’on ne peut continuer à ignorer: de népotisme, de détournement des fonds de recherche, de jurys peu neutres et bien d’autres aberrations qu’on ne peut plus taire sans risquer de couvrir d’opprobre tous nos scientifiques aussi bien les malhonnêtes que les propres.
Réhabiliter les professeurs dignes et intègres
Il ne faut pas, en effet, perdre de vue que des universitaires, bien de chez nous – la majorité – ont su raison garder et ont travaillé avec conscience et professionnalisme, parfois en sacrifiant leur carrière, pour transmettre la totalité de leur savoir à leurs disciples, veiller à leur bonne formation, enrichir et mettre à jour leurs connaissances et rendre service à la population. Ces universitaires doivent être réhabilités, promus et invités à élaborer, dès maintenant, avec les parties concernées, une réforme en profondeur et urgente, de notre université.
Notre université doit être, aujourd’hui, après la révolution, sauvée de la mauvaise voie qu’elle a suivie, réhabilitée et réconciliée avec son environnement culturel et humain.
Nombre d’intouchables du passé et de mandarins toujours en activité, encore attachés à de nombreux privilèges, indûment acquis et habitués à un traitement spécial de faveur, doivent, aujourd’hui, se conformer, impérativement, à des règles d’éthiques, universellement admises, que notre université ne peut continuer à ignorer sans se condamner à l’isolement et à la disparition. C’est, en effet, une condition indispensable pour lui assurer la longévité et le rayonnement que la Zitouna a connus. Cette dernière, même disparue, fait toujours partie d’un patrimoine dont nous restons fiers. Elle est la preuve historiquement établie, que les Tunisiens sont bien capables, moyennant une grande discipline, un sérieux et de la rigueur, de construire une université comme elle le fut, du temps de sa gloire, et même, peut-être bien, meilleure!