Je vous écris en votre qualité de ministre de l’Intérieur du gouvernement marocain, responsable de la sécurité des citoyennes et citoyens, pour vous informer de ce que j’ai subi – avec d’autres citoyennes et citoyens – comme humiliations, insultes, harcèlements, menaces et violences de la part de personnes – connues sous le nom de «baltagis» – instrumentalisées par des services sécuritaires pour s’attaquer au mouvement du 20 février.
Des «baltagis» bénéficiant de l’immunité makhzénienne
J’ai opté pour que cette lettre soit ouverte, afin de mettre à témoin l’opinion publique sur l’irresponsabilité de ceux qui jouent avec le feu en recourant aux services de ces groupes de «baltagis» pour contrer violemment le mouvement du 20 février avec ses jeunes et leurs appuis; ces groupes ont été dotés de drapeaux nationaux (dont les bâtons leur servent également de matraques), de photos du roi, et de moyens logistiques énormes (véhicules de transport, hauts parleurs puissants, banderoles de haute qualité, de tracts…); ils bénéficient également de l’immunité makhzénienne, puisqu’on n’a jamais entendu que l’un des leurs a été poursuivi ou arrêté suite à ses actes criminels; ces groupes de «baltagis» sont devenus pratiquement des forces auxiliaires – non officielles – des appareils sécuritaires dont émanent les directives et les ordres et qui leur assurent appui et immunité. Les forces de l’ordre peuvent ainsi sous-traiter une partie de leur boulot répressif à ces «baltagis» et garder le beau rôle d’arbitre s’interposant entre les deux clans. Cela ressemble à une tactique fine, mais en réalité elle est bien grossière; car seuls les imbéciles peuvent s’y tromper.
On a donc permis à ces «baltagis» qui brandissent les drapeaux marocains et les photos du roi de traiter les militantes et militants du 20 février – dont ma modeste personne – de traitres, de vendus, d’ennemis du roi, d’athées, de mangeurs du Ramadan, de prostituées, d’homosexuels…
Escadrons de la terreur, escadrons de la mort
J’ai décidé également d’envoyer une copie de cette lettre au cabinet royal, au Premier ministre et au ministre de la Justice pour que toutes les parties concernées et responsables – y compris le roi, chef de l’Etat marocain – soient au courant des plans machiavéliques qui se trament contre le peuple marocain et ses forces démocratiques et vives – en premier lieu le mouvement du 20 février et le mouvement de défense des droits humains – l’instrument étant les groupes de «baltagis» utilisés aujourd’hui comme escadrons de la terreur et pouvant se muer demain en escadrons de la mort!
En ce qui me concerne personnellement, j’ai été une cible de choix des «baltagis».
Cela a commencé le 18 mars 2011, quand un groupe de «baltagis», au nombre de 37, sont venus manifester devant le siège central de l’Association marocaine des droits de l’homme (Amdh) à Rabat; ils ont abreuvé et ma personne, et l’Amdh d’insultes au vu et au su de tous et de toutes, y compris des membres des services de police qui étaient présents; une vidéo sur cet événement est disponible.
Cette manifestation a eu lieu deux jours après ma participation au programme de la 2ème chaîne 2M en arabe ‘‘Moubacharatane Maakoum’’ (En direct avec vous) en date du 16 mars 2011; les «baltagis» m’en voulaient parce que, lors de mon intervention, j’ai critiqué certains archaïsmes du protocole royal consistant à baiser la main ou l’épaule du roi et à se courber devant lui, estimant que ces pratiques moyenâgeuses sont une atteinte à la dignité humaine.
Le dimanche 24 avril, lors du démarrage de la grande marche organisée par le mouvement du 20 février au quartier Yaacoub El Mansour à Rabat, un groupe de «baltagis» – dont faisaient partie certains parmi ceux qui avaient pris part à la manifestation du 18 mars devant l’Amdh – se sont mis à m’insulter et à me menacer; ils ont tenté de m’agresser mais certains policiers se sont interposés; et surtout ils en ont été dissuadés par leurs protecteurs tirant les ficelles derrière le rideau.
Le 1er mai, lors des marches organisées par les différentes centrales syndicales, alors que j’observais leur déroulement, un groupe de «baltagis», qui défilaient avec une des centrales gouvernementales, sont sortis des rangs, m’ont insulté, menacé et tenté de m’agresser; mais des policiers qui suivaient leurs mouvements sont intervenus pour les replacer dans les rangs.
Lors de la manifestation organisée par le mouvement du 20 février, le dimanche 26 juin à Rabat, les «baltagis» étaient présents avec force, la directive et l’objectif étant de faire échouer notre manifestation par tous les moyens; les forces de l’ordre leur ont permis de se déplacer comme ils voulaient avec leurs moyens logistiques tout le long de Bab El Had et de l’Avenue Mohamed V. Par contre, les manifestants et manifestantes du 20 février ont été encerclés de toute part par les forces de l’ordre sans aucune possibilité de bouger; les «baltagis» – protégés de la police – ont pu se déplacer librement et bénéficier de hauts parleurs puissants déversant sur le mouvement du 20 février leurs insultes ordurières, brandissant une grande banderole avec 9 portraits et noms de leurs ennemis de choix dont moi-même et Khadija Ryadi, présidente de l’Amdh.
De nouveau un groupe de «baltagis» s’est dirigé vers moi pour m’insulter, me rappelant leur forfaiture contre Khadija Ryadi – insultée et agressée, lors de la manifestation du 19 juin au quartier Takaddoum – et en me menaçant du pire, m’annonçant «qu’ils m’ont réservé ma part».
Le jeudi 30 juin – la veille du référendum sur le projet de constitution amendée – a connu le couronnement des agressions des «baltagis» contre le mouvement du 20 février et contre ma personne en particulier.
Connivence entre les forces de l’ordre et les «baltagis»
Le groupe des «baltagis», plus nombreux que d’habitude, étaient vraiment enragés; ils portaient un cercueil symbolisant le mouvement du 20 février et des photos de militants de ce mouvement dont encore une fois Khadija Ryadi et moi-même; l’Amdh est désormais visée directement et constitue une cible de choix.
- La première agression physique contre moi fut perpétrée par les «baltagis» sous le regard bienveillant des forces de l’ordre censées constituer une barrière entre les «baltagis» et les manifestants du 20 février. Alors que j’étais en train de faire une déclaration filmée à l’agence de presse Reuters concernant la position de l’Amdh sur le projet de constitution, j’ai été brutalisé et tout simplement empêché physiquement de terminer ma déclaration. Des preuves concrètes de cet évènement existent.
- Durant la manifestation du 30 juin, les forces de l’ordre étaient de toute évidence en connivence avec l’escadron des «baltagis». Tout a été programmé pour une agression punitive contre les militantes et militants du 20 février; notre manifestation, pourtant pacifique et responsable, était encerclée de toute part: personne ne pouvait en sortir et aucun ne pouvait y accéder, alors que les groupes de «baltagis» se déplaçaient en toute liberté, à pied et dans les véhicules, à Bab El Had et dans les boulevards avoisinants.
- La manifestation du mouvement du 20 février était programmée pour durer 90 minutes à partir de 17h30; à 19h les jeunes du mouvement ont annoncé par haut-parleur la fin de la manifestation; les manifestants étaient pressés de partir – surtout qu’un grand nombre d’entre eux voulaient participer à un meeting organisé par les opposants au projet de constitution à partir de 19h dans une salle au quartier Yaacoub El Manssour. Mais à notre grande surprise, les forces de l’ordre ont rompu tout dialogue avec nous et ont maintenu leur encerclement total des participantes et participants à la manifestation du 20 février sans aucune justification apparente. Notre statut a changé: on est rentré visiblement dans une situation de séquestration qui a duré une heure au moins; cela a permis aux groupes de «baltagis» de se redéployer pour venir derrière les cordons de police nous encercler de toute part à leur tour; mais alors que les cordons de police étaient infranchissables pour nous, les «baltagis» pouvaient les traverser facilement, venir jusqu’à nous pour nous provoquer, insulter et nous harceler; les forces de l’ordre qui auraient dû disperser et éloigner les agresseurs «baltagis» et nous permettre de partir sans heurts ont persisté à observer leur neutralité douteuse et à faire la sourde oreille à nos protestations tout en exécutant leur plan infernal.
«Ils voulaient m’obliger à scander ‘‘Vive le roi !’’»
- A un certain moment, vers 20h, les policiers ont décidé l’ouverture d’un petit passage pour nous permettre de partir par petits groupes; j’ai décidé donc de partir avec 3 ou 4 autres personnes; soudain je me suis trouvé encerclé par un groupe de «baltagis» dont le nombre allait en grandissant; ils étaient furieux: ils m’insultaient, me traitant de traitre et de vendu, me crachaient sur le visage, me tiraient par les habits, ils voulaient m’obliger à scander «Vive le roi !»; à un moment et sous les yeux de la police, ils m’ont brutalisé, m’ont donné des coups de pieds; ils ont déversé sur moi un liquide qu’ils avaient dans une bouteille.
Certains policiers ont voulu me faire entrer dans une de leurs estafettes pour soi-disant «me protéger»; j’ai refusé en criant: «Je préfère la mort plutôt que de participer à votre cirque; comment pouvez-vous prétendre vouloir me protéger alors que vous avez tout tramé pour en arriver là? Si ma protection vous intéresse, commencez par chasser ces criminels qui m’ont agressé devant vous; et dans tous les cas soyez prêts à témoigner en toute honnêteté de ce que vous avez vu et entendu».
- Au même moment, un autre groupe de «baltagis» était en train d’agresser les partisans du 20 février qui s’apprêtaient à partir; c’est ainsi que les deux militantes Nidal Salam Hamdache, membre du bureau central, et Amina Bridaa, membre de la commission administrative de l’Amdh ont été frappées sur la nuque (les agresseurs ayant utilisé des matraques électriques) et ont été transférées par ambulance aux urgences de l’Hôpital Avicenne.
Plus grave encore, un groupe de «baltagis» a poussé l’arrogance jusqu’à pourchasser leurs deux victimes au sein même des urgences; un des «baltagis», canif à la main, a entrepris d’agresser la jeune Nidal à l’intérieur des urgences; il a fallu l’intervention vigoureuse d’un de ses accompagnateurs pour chasser l’intrus et éviter le pire.
Malgré tout cela, le groupe des «baltagis» est resté planté à côté des urgences jusqu’à l’arrivée des policiers qui leur ont demandé de partir sans interrogatoire, poursuite judiciaire ou arrestation de qui que ce soit parmi eux. Jugez vous-même ce genre de passivité et de tolérance!
N’est-il pas paradoxal que tout cela arrive la veille du référendum sur le projet de constitution amendée, garnie de nombreuses dispositions sur le respect des droits humains, mais qui en même temps, il est vrai, consacre les valeurs de despotisme et de négation de la volonté populaire?
Cette ambiance malsaine, à côté de la persistance de la détention politique (notamment les détenus du mouvement du 20 février dont nos trois camarades de la section de Bouarfa), de la violence exercée contre les manifestations pacifiques, du déni de vérité sur les martyrs du mouvement du 20 février, du monopole des médias publiques par le pouvoir avec comme corollaire l’étouffement de la voix de l’Amdh, tout cela est révélateur du caractère non démocratique du projet de constitution soumis à référendum et n’augure rien de prometteur pour un Maroc démocratique.
Monsieur le ministre;
Nous nous sommes rencontrés à diverses occasions dans le passé en ma qualité de président de l’Amdh et dernièrement en tant que vice-président.
Vous connaissez sans doute mon identité et mon parcours militants. Je rappelle toutefois que je suis un militant progressiste œuvrant dans les domaines syndical, des droits humains, politiques et autres.
J’adhère sans réserve au combat pour la démocratie, les droits humains et les droits des travailleurs et à l’action de masse ouverte et au grand jour visant à mettre fin à l’ère du makhzen et pour l’émergence de l’ère de la démocratie et des droits humains nécessitant forcément l’édification de l’Etat de droit et de la société de dignité et de citoyenneté auxquels aspire notre peuple.
Dans ce cadre, personne n’a le droit de faire de la surenchère et de dénigrer ma volonté de servir les intérêts supérieurs de mon pays et de son peuple.
A cause de cela j’ai dû, à l’époque de Hassan II, et suite à des accusations fallacieuses, subir la détention arbitraire durant plus de 12 années; j’ai également fait l’objet de violences policières et d’arrestations – pour de courtes périodes heureusement – à l’époque de Mohammed VI pour mes activités syndicales et de défense des droits humains.
De ce fait, je me suis retrouvé tout naturellement du côté du mouvement du 20 février dès son émergence et j’ai œuvré dans le cadre de l’Amdh à son appui.
Voilà pourquoi les «baltagis», en tant que forces auxiliaires – non officielles – de la police et auxquels on a donné pour mission de combattre les militants du 20 février, n’ont cessé de me pourchasser et de m’agresser physiquement et moralement.
Monsieur le ministre;
Me basant sur les données évoquées ci-dessus, et vu les menaces que je continue à recevoir, j’estime que ma sécurité personnelle et mon intégrité physique sont en danger et que ma vie même est menacée; je considère de ce fait que vous assumez en tant que ministère de l’intérieur, gouvernement et pouvoir la responsabilité de ce qui pourra être tramé contre moi dans l’avenir.
Je termine en criant: assez de jouer avec le feu et respectez vos engagements dans le domaine des droits humains.
Veuillez agréer monsieur le ministre l’expression de mes sentiments sincères.
* Vice-président de l’Association marocaine des droits humains (Amdh), coordinateur adjoint du Conseil national d’appui au Mouvement du 20 Février (Cnam20).
* Les titre et intertitres sont de la rédaction.