Nasreddine Montasser écrit – La Tunisie post-révolution est le théâtre d’une bataille culturelle et politique globale. Il est à espérer qu’elle restera confinée dans un jeu d’influence et ne se transformera pas en une vraie guerre.


Il est incontestable d’affirmer aujourd’hui qu’un certain consensus a été atteint sur plusieurs sujets, en particulier sur la manière de conduire les affaires de l’Etat dans cette phase transitoire. Ce consensus survient après des tiraillements et des chamailleries qui se sont poursuivis pendant plusieurs semaines. Toutefois ce consensus n’est qu’apparent. Dans un petit moment, le calme précaire va céder la place à une grande bataille dont personne ne peut prédire l’issue. Nous essayerons, dans cette première partie, de délimiter le champ, les enjeux et les protagonistes de cette bataille, et, dans une deuxième partie, nous analyserons  ses causes et ses conséquences.

Le théâtre des opérations
Le théâtre des opérations est en apparence la petite et paisible Tunisie. C’est un petit pays de 164.000 Km², baigné par la Méditerranée et occupant la partie la plus septentrionale de l’Afrique. Un pays qui a eu le mérite et la responsabilité de déclencher la première révolution du 21e siècle. Aujourd’hui, c’est un pays qui se prépare à opérer une transition vers un système politique plus en phase avec son temps.
En raison de sa position géographique, ce pays a toujours été sujet à des secousses historiques qui en ont fait un carrefour des civilisations et un lieu de lute continuelle entre les diverses puissances influentes du moment. Conséquence : il n’a jamais joui de son indépendance et sa population est un mélange de toutes celles qui sont venues, ont vaincu et... ont vécu.
Aujourd’hui, encore une fois, le champ de la bataille dépassera de loin le cadre de ce petit pays. Par le jeu des alliances et des influences, tous les pays de la Méditerranée seront le théâtre de cette bataille. Des pays éloignés d’Amérique et d’Asie se trouveraient fortement concernés par les enjeux et se verraient propulsés comme des acteurs principaux du conflit. La géopolitique de la globalisation veut que les affrontements concerneraient des parties éloignées du lieu des opérations, les enjeux dépasseraient le cadre local. Espérons que la bataille restera confinée dans un jeu d’influence pour le pouvoir et qu’elle ne se transformera pas en une vraie guerre.

Les enjeux
Si on se penche sur les enjeux, nous allons vite nous rendre compte qu’ils dépassent le remplacement d’un système politique sclérosé par un autre plus en phase avec les aspirations du peuple d’un pays réputé sans problème. Le véritable enjeu est en fait une lutte entre deux modèles idéologiques à connotation plus politique que sociale. Nous sommes donc devant l’affrontement de deux modèles de société.
Le premier se veut progressiste et s’inscrit dans la ligne droite des valeurs à étendue universelle. Ce modèle s’accommode d’un monde globalisé de plus en plus libéré des dogmes sociaux hérités et des frontières idéologiques. Il se base sur la primauté de la démocratie comme système d’organisation du pouvoir et sur les droits de l’homme. Il consacre la citoyenneté comme seul ciment des peuples.
Le deuxième s'appuie sur un socle historico-identitaire et refuse l’adhésion aux valeurs universelles véhiculées par les sociétés occidentales. Celles-ci sont pour lui un cheval de Troie qui cache un complot sournois et inavoué pour l’asservissement du pays et pour sa  spoliation. Il isole de la composante identitaire nationale la plus radicale et érige sa transformation en source d’inspiration politique au rang de solution définitive de tous les problèmes du pays. Ce modèle recommande aussi le rapprochement avec les pays qui partageraient la même culture et les mêmes concepts identitaires pour la reconstitution de la grande nation qui fût jadis. Ce modèle qui reste à façonner, n’existe pas actuellement, mais il fait partie l'imaginaire collectif que certains croit pouvoir imposer.
L’enjeu est donc plutôt idéologique et global que politique et local. Il prélude à la révision du découpage des zones d’influence des grandes puissances et au renouvellement de l’organisation du monde en de grands ensembles en conflit.

Les protagonistes
Si les acteurs locaux sont connus, ceux qui se situent à une échelle plus élevée le sont moins. En Tunisie, la bataille devrait avoir lieu entre les partis politiques à référence religieuse, nationaliste arabe voir d’extrême gauche contre ceux à référence politique et se basant sur la primauté d’un Etat civile. Mais, en définitif, ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Tous ces partis sont en fait  manipulés ou sous l’influence de groupes de pression locaux, des gouvernements étrangers très puissants et habitués à ce genre de conflit. Il est donc stupide de croire que ces partis sans légitimité électorale et sans assise financière conséquente peuvent être libres de leurs actions. Les enjeux sont tellement importants que le champ de la bataille réelle serait, par conséquent, très étendu.
Des pays comme les Etats-Unis, la Russie ou des groupements régionaux proches comme l’Europe cherchent à imposer un modèle qui consacre leurs valeurs de démocratie, de droit de l’homme, de liberté et de libre initiative et à démontrer que ce modèle est soluble dans toutes les sociétés, même celle dont l’assise cultuelle et ethnique est différente de la leur.
D’autre pays comme la Turquie, l’Iran, l’Arabie saoudite ou même le Qatar  poussent de façon directe et indirecte à l’application d’un modèle politique à connotation idéologique ethno-théocratique qui se fait passer pour une alternative viable au premier modèle.
Des pays comme l’Algérie ou la Libye tentent tout simplement de freiner voire même de bloquer toute transition démocratique qui risque de renforcer l’influence et les capacités de la Tunisie et de réduire leur rôle dans la région.
Tous ces intervenants prêchent leur propre intérêt et le pire c’est que des intellectuels tunisiens épousent leurs thèses par ignorance ou par aveuglement, pour ne pas dire autre chose, au risque de faire mal au pays

Blog ‘‘Alliance démocratique’’.

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