Nasreddine Montasser écrit – La Tunisie post-révolution est le théâtre d’une bataille culturelle et politique globale. Il est à espérer qu’elle restera confinée dans un jeu d’influence et ne se transformera pas en une vraie guerre.


J’ai présenté, dans la première partie de cet article, le champ de la bataille, ses enjeux et ses protagonistes. Dans cette seconde partie, je présenterai les causes de cette bataille ainsi que ses conséquences.
Mais d’abord revenons à quelques particularités de la Tunisie et des Tunisiens.
Ce pays est de tout temps un objet de convoitise. Toutes les civilisations majeures de la Méditerranée s’y sont établies pour un bout de temps et il a pu profiter de leurs richesses et de leurs cultures. Il est inutile de rappeler toutes les civilisations qui s’y sont succédé, mais il est important de rappeler que le passage de témoin entre une civilisation et une autre a toujours eu lieu avec un déchainement de violence.
On ne peut pas oublier les guerres puniques et la destruction de Carthage. L’embrasement du pays par la Kahena suites aux  invasions successives des armées arabes. La destruction du pays par les Béni Hilal, l’invasion ibérique, l’occupation ottomane, le protectorat français. On ne peut passer outre les grandes batailles de la deuxième guerre mondiale.
Ce pays a donc été toujours le théâtre de grandes batailles et de grands déchirements. Ces batailles n’ont eu d’égal en ampleur et en conséquences que la grandeur des œuvres laissées à la postérité par les civilisations qui s’y sont alternées.
Ce façonnage par le feu et le glaive de l’identité tunisienne a eu pour conséquence une aversion au changement et une résistance au troc inconditionnel d’une paix fictive contre une liberté hypothétique.
Ces traits de caractère ont fait que le Tunisien, éprouvé dans sa personnalité profonde par les séquelles d’une histoire instable, vit très mal l’atmosphère d’avant la bataille. Mais il reste imprévisible, et dans ses excès de prudence, il peut faire preuve aussi bien d’un courage héroïque que d’une violence sans limites.
La bataille qui s’annonce ne dérogera pas aux précédentes, ni en intensité dramatique ni en conséquences géopolitiques. Le Tunisien, qui a réalisé quelque chose d’énorme en mettant fin, contre toute attente, à l’une des pires dictatures policières du monde, doute aujourd’hui de la possibilité d’en faire naitre une démocratie viable.
La grande question reste cependant l’inéluctabilité de cette bataille. En effet, celle-ci semble inévitable pour diverses raisons. On peut citer celles idéologiques, géopolitiques, économiques, sociales ou autres.
Tout porte à croire que la peur de l’autre, l’incapacité de le comprendre, de communiquer avec lui et l’envie de le dominer, seront à l’origine du conflit. Il est aussi vrai de croire que certaines parties cherchent à motiver et à valider la thèse du «choc des civilisations».
Moi, j’aime innover et présenter des raisons peu communes, C’est qu’à mon avis, la bataille qui se profile trouve ses causes dans des notions bizarrement en dehors du champ sémantique habituel. Ces notions sont:
La non-séparabilité: il est évident que tous les protagonistes de cette bataille ont des approches similaires. Ils préconisent la négation de la séparabilité des sous-structures locales de la société tunisienne. Cette négation implique une corrélation forcée entre les individus et les sous-ensembles de la société. Ce qui signifie qu’ils ne peuvent que former impérativement un tout indissociable. Le comportement de l’un force donc le comportement des autres et s’attribue par conséquent une puissance brute.
De cette façon, le comportement d’un élément engage, définitivement et irrémédiablement, celui de l’ensemble, et cet élément, par son choix ou par sa réaction, condense le comportement de l’ensemble et acquière une légitimité indiscutable.
La non séparabilité ôte aussi toute indépendance ou différence aux individus et réduit à néant l’existence de coloration du spectre sociale qui devient d’une seule couleur.

Le changement de topologie: la structuration sociale d’un groupe d’individu lui confère une topologie particulière. Cette topologie présente des caractéristiques intrinsèques qui permettent à chaque individu de se retrouver avec d’autres individus dans un sous-ensemble particulier. C’est cette topologie, façonnée par l’histoire et par la culture de la société, qui lui attribue sa richesse et ses particularités. Les liens qui se tissent entre ces sous-ensembles, formés par leurs intersections et par leurs réunions, sont des ponts de communication.
Mais les problèmes surgissent quant à cette topologie, la société associe une relation d’ordre (non nécessaire, mais inévitable). Cette  relation d’ordre induit une hiérarchisation de ces sous-structures. Alors, suite à un événement quelconque, le refus de l’ordre établi et la volonté de changer d’appartenance à un sous-ensemble donné, font que certains forcent le changement de la topologie existante. Ils trouvent plus facile d’agir pour changer la topologie de la société que de changer la société elle-même. Ce changement s’opère à travers l’imposition par la force de nouvelles ou d’anciennes valeurs sous un prétexte quelconque. L’Histoire est riche d’exemples de ce genre.

La régularité: la réponse d’une société à un stimulus externe ou interne est vue comme la recherche d’une solution à un problème donné. Plus le problème est complexe plus la solution devient mois évidente. D’où je viens, on sait qu’une solution exacte et parfaitement régulière est un accident très peu commun. Souvent on se contente soit d’une solution présentant le minimum de régularité possible soit en se contentant de la résolution d’un problème approché.
En effet, imposer à une solution une régularité donnée et pas nécessaire, c’est réduire la possibilité de la trouver. S’entêter à résoudre un problème parfaitement posée avec toute ses contraintes superflue, c’est la bonne façon de rater sa résolution.  
Aujourd’hui, il y a une tendance à vouloir résoudre notre problème, en imposant à sa solution toutes sortes de contraintes. Ceci forcera la solution à être régulière plus que nécessaire et réduira considérablement l’espace des solutions possibles, au risque de le rendre vide. Moi, j’ai appris à chercher et à trouver des solutions valables presque partout et c’est suffisant.
Ainsi, la bataille aura lieu, car les protagonistes refusent de voir que la société tunisienne est riche, diversifiée et séparable et que le comportement et les choix des uns ne les engagent qu’eux mêmes. Que personne ne possède un quelconque superpouvoir qui fait que son choix ou sa vision s’impose d’office à ceux de toute la société.
En plus, la bataille aura lieu, car certains veulent se retrouver dans un groupe dominant ou de classe élevée, bien qu’ils ne disposent d’aucune qualité pour cela. Ils veulent profiter de la tournure des événements pour disloquer la structure de la société et la remodeler à leur guise, de sorte qu’elle favorise la réalisation de leurs phantasmes.
De même, la bataille aura lieu, car certains cherchent par leurs exigences arbitraires et malhonnêtes à surenchérir sur la solution à nos problèmes sans se soucier d’hypothéquer son existence.
Passons maintenant aux conséquences de cette bataille. La fatalité a fait que nous soyons un champ d’expérimentation et cette expérimentation ne s’achèvera pas de sitôt. Aucun des protagonistes ne s’avouera jamais vaincu.
De l’issue de la bataille dépendront de beaucoup de choses. On aura le choix entre plusieurs éventualités plus ou moins heureuses. Nous pouvons assister, au gré des événements :
- à la consécration de l’hégémonie de la culture occidentale ;
- à la naissance d’un front de résistance plus compacte et plus proche de l’Occident mais plus dangereux et plus menaçant;
- à la renaissance du monde arabo-musulman, qui finira par s’arrimer à la culture et aux valeurs universelles;
- à la fin des modèles idéologiques;
- à l’effritement définitif du monde arabe et à sa dislocation en plusieurs sous- entités insignifiantes;
- au déclenchement de plusieurs rétro-révolution, vu que les dernières ont favorisé l’éclosion de tendances dictatoriales et fascistes;
- à l’instauration de démocraties participatives réelles.
La liste des éventualités est longue et les conséquences de la bataille Tunisie sont importantes et incertaines.
Toutefois, ces conséquences seront très douloureuses, indépendamment des vainqueurs et des perdants. Elles impliqueront une redéfinition de la société tunisienne et des sociétés voisines, avec des exclus et des profiteurs.
En cas d’échec ou de dérive, le pays se divisera inéluctablement et sa division sera cette fois plus saillante et plus dramatique.

Blog ‘‘Alliance démocratique’’.
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La bataille de la Tunisie aura-t-elle lieu? (1/2)