Ainsi, le référendum constitutionnel au Maroc a-t-il été approuvé, vendredi 1er juillet, par plus de 98% des voix. De quoi, ont expliqué certains responsables du Makhzen, faire taire les protestataires du mouvement du 20 février qui réclament de leur côté une vraie monarchie parlementaire.
Comme l’ont montré les manifestations qui ont suivi l’annonce de ce résultat, ces militants restent bel et bien décidés à continuer de donner de la voix. On ne peut que les comprendre. 98 % de «oui»… N’importe quel statisticien aura du mal à accepter la fiabilité d’un tel score. J’en ai contacté un pour me faire une idée plus précise. Voici quelle a été sa réponse. «Un unanimisme électoral pareil ne peut concerner qu’un événement extraordinaire comme par exemple un référendum pour l’indépendance. Pour le reste, une proportion 80% (de oui) et 20% (de non) serait déjà suspecte».
La transition qui ne cesse de transiter
Les «Makhzaniens», et leurs obligés parisiens qui ne veulent pas perdre leurs vacances marocaines gratos, s’empresseront d’affirmer que ce référendum était bel et bien un événement extraordinaire puisqu’il engagerait le Royaume dans une transition démocratique historique. Certes. Mais voici ce qu’en pense sur Facebook l’ami Fouad R. «Le Maroc et la transition démocratique (sic !), écrit-il. Quelques chiffres! Référendum 1972: 98,80% des voix pour le ‘‘oui’’. Référendum 1992: 99,98% des voix pour le ‘‘oui’’. Référendum 1996: 99,60% des voix pour le ‘‘oui’’. Référendum 201: 98,50% des voix pour le ‘‘oui’’ (provisoire). Autrement dit, la transition ne cesse de transiter.»
Pour ma part, j’ai qualifié le score de la consultation électorale marocaine de «bénalien». Petit rappel pour celles et ceux qui auraient oublié les grands moments démocratiques de l’ère Zaba (comprendre Zine el-Abidine Ben Ali et pas autre chose). En 1989, soit deux ans après l’entrée dans «l’Ere nouvelle», l’homme du 7 novembre a été élu à 99,27% des suffrages puis successivement réélu à 99,91% en 1994, à 99,45% en 1999, à 94,49% en 2004 et à 89,62% en 2009. Ces chiffres sont impressionnants et ils sont, malheureusement, la marque de fabrique du monde arabe.
Les Algériens peuvent bien se moquer des Marocains mais qu’ils commencent par se souvenir des 99,8% de «oui» pour l’adoption, en novembre 1976, de la première Constitution du pays, suivis, en décembre de la même année, des 99% de suffrages positifs pour l’élection de feu Houari Boumediene. Qu’ils se souviennent aussi des réélections de Chadli Bendjedid: 95% en 1984 et surtout 81% en 1988 et cela alors que l’on pleurait encore les victimes d’Octobre. Et, pour ne fâcher personne, je ne ferai aucune réflexion quant à la véritable nature des scrutins présidentiels depuis 1995…
Une manière stupide d’humilier les peuples
Le 90% est une violence arabe (je n’oublie pas les pseudo-démocraties africaines ou d’Asie centrale). C’est l’obsession des dictateurs et autres monarques absolus de clamer à la face du monde que leurs peuples les aiment et qu’ils voteront toujours pour eux comme un seul homme (ou comme une seule femme). C’est aussi une manière, ô combien archaïque – et stupide, d’humilier ces peuples et de leur prouver qui est le vrai patron. C’est même l’expression d’une conviction hérétique que seuls ces tyrans détiennent la Vérité.
Remarquons enfin qu’aucun dirigeant arabe n’a encore battu, et pour cause, le record détenu par Saddam Hussein qui a été élu président de l’Irak en 2002 à 100% des suffrages, avec un taux de participation de 100% (!).
Mais revenons à Ben Ali. Que nous disent les différents chiffres des ses plébiscites? En 1989, le taux de 99,27% est un message clair qui signifie que l’homme du 7 novembre est le maître absolu de la Tunisie, que tout le pays est derrière lui et que les islamistes d’Ennahdha n’ont qu’à bien se tenir (la répression va d’ailleurs bientôt s’abattre sur eux). En 1994, on atteint 99,91%, soit le score le plus élevé jamais réalisé par Ben Ali. A l’époque, les islamistes sont décimés, le désordre algérien inquiète la société tunisienne et donc Zaba entend bien signifier à son opposition démocratique qu’elle se fait des illusions si elle croit qu’il va partager une once de pouvoir avec elle. En 1999 et en 2004, les scores «faiblissent» à peine, conséquence marginale de la participation au scrutin de deux ou trois «zéro-virgule», comprendre d’autres candidats à la présidentielle, pitoyables alibis d’un pluralisme de façade.
Quand Ben Ali fait un geste
Reste le cas intéressant de 2009. Pour la première fois, Ben Ali passe sous la barre des 90%. Comment interpréter un tel chiffre? Etait-ce une volonté de montrer que les supplications de diplomates occidentaux ont été entendues («Monsieur le président, faites un geste. Donnez l’impression qu’il y a un pluralisme dans votre pays. N’affichez plus de tels scores électoraux, c’est mauvais pour votre image», lui aurait ainsi expliqué un émissaire du président Sarkozy). On peut aussi penser que c’est le système lui-même – notamment le clan constitué par son épouse – qui a envoyé un signal à Ben Ali lui signifiant que cette réélection serait, non pas la dernière (puisque des personnalités tunisiennes l’ont supplié quelques mois plus tard de se représenter en 2014) mais peut-être l’avant-dernière en attendant que Leïla Trabelsi prenne le relais.
J’ai toujours été intrigué par ces scores électoraux supérieurs à 90%. La question à laquelle je n’ai toujours pas de réponse est la suivante: qui les décide? Qui ordonne, ce sera 99,72% et non pas 99,32%? Est-ce le zaïm lui-même dont l’orgueil et la folie des grandeurs le poussent à toujours vouloir plus? C’est possible. Mais je préfère penser à un système plus complexe où la charge de concocter le bon score incombe à des courtisans et à des hommes clés du régime.
Je suis ainsi persuadé que ce n’est pas Mohamed VI lui-même qui a ordonné les 98% mais bien quelques mains agissantes du Makhzen. J’imagine les discussions. «Bon, on est d’accord, alors? On dit 99%?». «Non, vaut mieux pas. Disons plutôt 98%. C’est un chiffre pair». «Tu en es sur? Les gens vont se dire qu’il y a quand même 2% de gens contre!». « Bah oui. Faut pas trop exagérer et puis, ça décrédibilisera ces sales gosses du 20 février».
On parle beaucoup du Printemps arabe et personne ne sait où cette période révolutionnaire va mener. Mais une chose est sûre: tant que des scrutins seront remportés avec des scores «bénaliens» frôlant la référence «saddamienne», ce sera la preuve que beaucoup de chemin reste à accomplir sur la voie de la liberté mais aussi de la dignité des peuples arabes.
Source : ‘‘Le Quotidien d’Oran’'
* Les intertitres sont de la rédaction.
* Journaliste algérien résident à Paris.