Lassâad Dhaouadi* écrit – Les conseils fiscaux tunisiens comptent saisir le Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour dénoncer le projet du décret-loi relatif à l’organisation de la profession d’avocat.


Dans une société fondée sur la justice, le conseil fiscal, à l’instar de l’avocat, remplit un rôle imminent. Dans un Etat de droit, le conseil fiscal est indispensable à la justice fiscale et aux contribuables dont ils a la charge de défendre leurs intérêts financiers. Il est aussi bien le conseil que le défenseur de son client.
Dans une optique de sauvegarde de l’entreprise, son rôle préventif s’est confirmé à travers les missions d’audit fiscal qu’il est en train de mener au sein des entreprises et qui leurs permettent de connaître leurs insuffisances avant l’intervention des agents du contrôle fiscal.

Rendre aux conseils fiscaux leur droit
Le droit de représenter le contribuable et de plaider devant les juridictions fiscales a été reconnu au conseil fiscal à travers le monde. Particulièrement en Europe, le conseil fiscal est habilité à plaider devant la cour de Justice des Communautés européennes.
En Allemagne, le conseil fiscal est habilité à plaider devant la Cour fédérale des finances, compétente en matière de cassation fiscale ainsi que devant les juridictions pénales compétentes en matière de fraude fiscale.
En Tunisie, l’article premier de la loi n° 60-34 du 14 décembre 1960 relative à l’agrément des conseils fiscaux a habilité le conseil fiscal à plaider devant les juridictions fiscales: «Sont considérées comme conseils fiscaux et soumises comme telles aux prescriptions de la présente loi, toutes personnes physiques ou sociétés faisant profession d’accomplir, pour les contribuables, les formalités fiscales, de les assister, de les conseiller ou de les défendre auprès de l’administration fiscale ou devant les juridictions jugeant en matière fiscale, que cette profession soit exercée à titre principal ou à titre accessoire».
Contrairement à ce qui précède, le premier paragraphe de l’article 2 du projet du décret-loi relatif à l’organisation de la profession d’avocat a été rédigé d’une manière visant la privation du conseil fiscal de son droit au travail, à l’instar de la loi criminelle n° 2006-11, qui a privé les conseils fiscaux de représenter le contribuable devant les juridictions fiscales lorsque le montant du litige dépasse 25.000 dinars, et à l’encontre laquelle la Chambre nationale des conseils fiscaux a entamé une procédure devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies.

Une formulation très médiocre
Le gouvernement provisoire doit rendre aux conseils fiscaux leur droit et les dédommager conformément au paragraphe 19 de la déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir.
Ce paragraphe prévoit que «l’avocat est seul compétent» en matière de conseil, d’assistance et de représentation du contribuable devant les juridictions fiscales, et ce conformément aux dispositions régissant la procédure fiscale.
Les termes «l’avocat est seul compétent» constituent un mensonge, une tromperie et une concurrence déloyale du fait que le conseil fiscal est habilité à accomplir les mêmes tâches conformément à la loi régissant sa profession.
Les représentants de la profession d’avocat et de l’administration ont affirmé à travers les médias que les termes «conformément aux dispositions régissant la procédure fiscale» garantissent les droits du conseil fiscal au travail.
Cette affirmation mensongère exprime leur ignorance du fait que le rôle du conseil fiscal a été défini par la loi régissant sa profession et non pas les dispositions procédurales.
Seuls les termes suivants permettent de combler cette défaillance de taille: «conformément à la législation en vigueur», tout en éliminant les termes «seul compétent», et ce afin de ne pas induire le consommateur en erreur et concurrencer déloyalement les conseils fiscaux.
La formulation très médiocre «l’avocat est seul compétent» a été motivée par certains ignorants à travers les médias par le souci de protection du domaine d’intervention de l’avocat. Cette motivation est trompeuse et mensongère du fait que l’article 84 du projet a qualifié d’escroc la personne exerçant illégalement la profession d’avocat.
Pire encore, le même article a incriminé l’avocat du fait que ses rédacteurs, chevronnés en la matière, ont omis de préciser que l’incrimination concerne les personnes exerçant «illégalement» la profession.
En outre, l’article 2 du projet prévoit que les actes et les travaux accomplis par les personnes autres que celles visées par le même article sont frappés d’une nullité absolue.

Une concurrence déloyale
Ceci constitue, pour le conseil fiscal, une tromperie, un mensonge et une concurrence déloyale. La corruption administrative et la médiocrité ont fait que nos textes incitent à mentir, à induire le consommateur en erreur et à concurrencer déloyalement les autres!
Le même article habilite l’avocat à exercer des activités commerciales (agent d’affaires, intermédiaire), et ce en violation de l’article 23 du projet qui lui interdit d’exercer des activités commerciales.
Aussi, il l’habilite à jouer le rôle de liquidateur et de mandataire de justice mais sans être soumis aux textes régissant ces missions, et ce en violation du principe d’égalité devant la loi.
De même, l’avocat qui rédige les contrats relatifs à des ventes immobilières n’est pas soumis aux obligations supportées par le notaire en application de la loi régissant sa profession.
Le client trouve beaucoup de difficultés s’il compte intenter une action contre un avocat du fait que son avocat doit être autorisé par la section des avocats sous peine de subir une sanction disciplinaire (article 30). Il s’agit d’une atteinte très grave au droit d’accès à la justice.
L’avocat est autorisé à être payé en fonction d’un pourcentage du résultat du contentieux plafonné à 20%, sachant que ce «pacte de quota litis» a été interdit par le code de déontologie du Conseil des barreaux de la Communauté européenne qui représente plus de 500.000 avocats du fait qu’il porte atteinte aux droits des pauvres et des parties faibles (article 38).
En cas de conflit entre l’avocat et son client sur le montant des honoraires, ce dernier est contraint à saisir la section des avocats au lieu d’une partie neutre à savoir le tribunal (article 39). Il s’agit, aussi, d’une atteinte très grave au droit d’accès à la justice.
Les honoraires de l’avocat se prescrivent après 15 ans, alors que les créances du trésor se prescrivent après 5 ans et le médecin après 1 an (article 40). Ils jouissent, aussi, d’un privilège qui suit celui du trésor, c'est-à-dire avant les salariés. Il a le droit de retenir les documents et même les pièces d’identité de son client (article 41).
L’avocat jouit d’une immunité pénale absolue lors de l’exercice de son travail; alors que l’avocat français jouit, sous certaines conditions bien définies, d’une immunité relative lors des plaidoiries, et ce dans le cadre de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (article 47).

La nécessité d’organiser la spécialisation
Cependant, ce projet a omis d’organiser la spécialisation comme c’est le cas en France, et ce dans le but de protéger les droits des consommateurs qui traitent aujourd’hui avec des personnes qui se sont octroyé la spécialisation, alors que celle-ci doit être octroyée par une autorité neutre à savoir l’Etat comme c’est le cas pour les médecins.
En l’absence des organes constitutionnelles, pourquoi le président et le gouvernement provisoires n’ont-ils pas demandé les avis du Conseil de la concurrence et du Tribunal administratif, et ce afin d’éviter les contradictions et les erreurs.
En outre, le président et le gouvernement doivent s’entourer de conseils juridiques choisis parmi les compétents en la matière afin de couper cour à la médiocrité et à la promulgation de textes non dignes du nom du peuple tunisien.
Est-il concevable de permettre à des personnes se trouvant dans une situation de conflit d’intérêts et non neutres (avocats) de contrôler la rédaction de ce projet très médiocre et de participer à son vote, et ce en violation des dispositions du Code international de conduite des agents de la fonction publique annexé à la résolution 51/59 de l’Assemblée générale, en date du 12 décembre 1996.
Enfin, nul ne peut nier que ce projet très médiocre, élaboré dans des conditions non transparentes, porte atteinte à la déclaration des droits de l’homme, notamment ses articles 22 et 23, le pacte international relatif aux droits civils et politiques notamment son article 14 relatif au droit d’accès à la justice, au pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels notamment son article 6 relatif au droit au travail et aux principes directeurs des Nations unies relatifs à la protection du consommateur.

* Président de la Chambre nationale des conseils fiscaux.