De toute évidence, trois conditions premières, seront à la base du succès de notre transition démocratique et de l’avenir de notre pays.
1- La première condition est relative à la transformation radicale du fonctionnement de nos institutions politiques dont le point de départ sera l’adoption d’une nouvelle Constitution qui pallie aux défauts de la défunte constitution, qui a fait l’objet de nombreuses néfastes modifications.
La nouvelle Constitution se doit de garantir l’effective application des libertés fondamentales, du respect des droits des citoyens et de la préservation absolue des acquis tunisiens en matière des droits de la femme. Elle doit également rendre effective et efficace le contrôle de l’activité de l’exécutif – Président de la république et gouvernement – par le parlement, notamment par le biais des commissions d’enquête et d’évaluation et par une indépendance effective et totale de la Cour des Comptes et de la Cour de discipline budgétaire. Le parlement doit être habilité et doté des moyens lui permettant de procéder périodiquement à l’évaluation de l’application des lois et des décrets promulgués. La Constitution devra surtout prévoir explicitement les règles de constitution et de fonctionnement des partis politiques afin de prévenir le risque grave de voir un parti devenant majoritaire refuser de respecter le vrai pluralisme et la vraie démocratie ou remettre en cause le statut de la femme.
2- La stabilité et la paix intérieure de notre pays est une deuxième condition fondamentale pour le succès. Après plus de vingt ans de régime quasi dictatorial avec des dérives mafieuses impensables, le rétablissement de toutes les libertés publiques fondamentales indispensables à un véritable Etat de droit, mais sans le rétablissement de la confiance en soi et en l’autre, sans un enracinement profond et sans une généralisation systématique d’une authentique culture démocratique fondée sur le respect de l’Autre et enfin sans l’abolition de toute forme d’exclusion, peut conduire à la multiplication des tensions, des désordres et des débordements à répétition qui nuisent à l’image de la Tunisie et bloquent son indispensable relance pour un développement économique et social plus équilibré et plus accéléré.
Le rétablissement de la confiance passe par des actions énergiques urgentes de soutiens matériel et moral à la hauteur des sacrifices des martyrs de la révolution et à la hauteur de ceux qui ont souffert des dérives de l’ancien régime, ainsi que par la généralisation du dialogue serein et calme sur les questions vitales pour l’avenir du pays.
Nous, citoyens tunisiens, devront faire l’effort pour trouver en nous-mêmes les règles vertueuses du bon vivre ensemble en jouissant des libertés nouvelles que la révolution nous a apportées et découvrir que nos droits comportent leur équivalent en devoirs.
Bien entendu l’accélération des réforme radicales des forces de l’ordre et les garanties effectives apportées au système judiciaire lui-même réformé et doté des moyens adéquats, ainsi que l’application sereine de la loi, mais dans toute sa rigueur, à l’encontre de tous ceux dont la participation effective aux malversations et aux crimes est prouvée, constituent des facteurs essentiels du rétablissement de la confiance dans notre pays. A ce stade, il est impératif de saluer le rôle salutaire de notre armée aussi bien dans le changement du régime que dans la sauvegarde de la sécurité de notre pays et de ses frontières.
3- La troisième condition de succès de notre transition économique réside dans la relance du développement économique et social de notre pays sur de nouvelles bases.
Il est admis par tous qu’un taux de croissance minimum de 7% est indispensable pour créer suffisamment d’emplois et absorber le plus grand nombre de jeunes diplômés qui attendent depuis des années et ceux qui arrivent chaque année sur le marché du travail.
Il est indispensable que les entrepreneurs tunisiens reprennent une confiance totale dans la viabilité des stratégies définies pour la relance et pour la garantie et la protection des investissements de toute forme de prédation. Le taux de nos investissements publics et privés doit se développer pour tendre annuellement vers 35% de notre Pib. Mais il ne s’agit pas de n’importe quel investissement. Le bon choix des nouveaux investissements est vital… Il ne faut plus renouveler les erreurs du passé… Bien choisir les investissements en infrastructures pour désenclaver les régions défavorisées est une priorité et une évidence. Le choix des investissements directement productifs notamment dans les domaines agricole, industriel et des services pose plus de problèmes et exige des compétences techniques et de management qui ne sont pas toujours disponibles si on veut sortir de la simple sous-traitance pour aller notamment vers une industrie à forte valeur ajoutée à laquelle j’avais appelé de tous mes vœux depuis les années soixante-dix du vingtième siècle quand on m’a placé à la tête du ministère de l’Industrie.
Une vérité première est à rappeler: toute croissance n’est pas porteuse de création d’emplois correspondant à nos besoins. Le bon choix des investissements et une allocation judicieuse de nos maigres ressources devient une question vitale. La restructuration de notre secteur bancaire est une autre priorité et la recapitalisation de certaines banques me parait urgente. Il faut partir d’un diagnostic approfondi et sans complaisance de notre tissu économique dans tous les secteurs, situation financière réelle des entreprises, taille, technologie utilisée, qualité et compétitivité de la production, encadrement, qualité des dirigeants, composition des conseils d’administration…
Il faut mettre ce diagnostic à la disposition de tous les partis politiques qui souhaitent présenter un programme économique crédible et faisable dans le cadre de la crise que vit le monde.
Enfin, il faut renégocier notre accord de libre échange avec l’Union européenne pour lui assurer un meilleur équilibre et tisser des liens économiques et financiers bilatéraux avec les pays maghrébins et arabes qui soient au niveau de ce que nous souhaitons faire aboutir au niveau multilatéral, qui reste actuellement et pour des années encore malheureusement bloqué. Préfigurons au niveau bilatéral ce que nous voulons faire au niveau multilatéral; cela fait des années que j’appelle à cette évidence et il me semble parfois prêcher dans un désert.
* Ancien Premier ministre tunisien.