Rachid Merdassi se demande : quelles réformes faut-il apporter à l’outil diplomatique tunisien pour qu’il puisse faire face aux défis de la diplomatie tunisienne post révolutionnaire.


Répondant à l’appel du devoir et animé par cette fierté d’appartenir à ce petit pays qui vient de surprendre le monde en provoquant un séisme politique dont l’onde de choc s’est fait ressentir jusqu’aux confins de la Chine, j’ai entamé ma petite marche déterminée vers l’ambassade de Tunisie à Londres pour m’enregistrer sur les listes électorales en vue du vote prochain pour l’élection de l’Assemblée constituante, moi qui n’ait voté qu’une seule fois dans ma vie, contraint par ma fonction et qui, manque de pot, a coïncidé avec l’épisode des fameuses enveloppes transparentes.
L’ambassade de Tunisie à Londres occupe un bâtiment imposant, de style victorien et situé en face du fameux Hyde Park, réputé pour son Speaker’s Corner (Coin des orateurs), où, depuis 1872, le peuple est autorisé à parler de n’importe quel sujet politique, religieux ou autre, sous la protection bienveillante et amusée d’un agent de l’ordre de sa gracieuse majesté qui veille sur la sécurité des orateurs, fussent-ils anti monarchistes.

Il faut descendre au sous- sol!
Quand vous en êtes à votre première visite à notre ambassade, vous-vous sentez soudainement rempli de ce sentiment mitigé, d’une part cette fierté indéfinissable, qui frise l’exaltation, à la vue de ce beau bâtiment imposant qui fait honneur au pays et témoigne du souci des autorités à soigner  une image de marque qui a longtemps mystifié les Occidentaux et fait le «black out» sur toutes les exactions  et dérives de nos dictateurs, et d’autre part, ce sentiment de crainte et de répulsion à la vue de tout ce qui symbolisait l’ancien régime et qui a hanté les Tunisiens pendant plus d’un demi siècle.
Vous avancez d’un pas hésitant, tel un personnage de Kafka, vers la porte d’entrée  et appuyez sur une touche de l’interphone pour vous annoncer et la une voix vous accueille pour vous signaler qu’il ne s’agit pas de la bonne porte et que, pour tout ce qui est des affaires consulaires, il faut descendre au sous- sol par l’escalier de service à votre gauche, et là vous sentez soudainement toute cette belle illusion s’effondrer et vous-vous retrouvez, malgré vous, rappelé à cette dure réalité, qui a longtemps caractérisé les rapports entre le Tunisien et l’administration dans ce qu’elle a de négatif.
Vous descendez donc à contre cœur l’escalier étroit en acier, comme si chaque marche franchie correspondait à une dégradation lente et inexorable de votre dignité, au cœur même de la plus vieille démocratie d’Europe, et tout en maudissant cette fatalité qui veut que nos responsables trouvent ce genre de situation normale dès lors qu’il s’agit de leurs concitoyens qu’ils jugent indignes de meilleures conditions d’accueil et de service, eu égard à leur éloignement du pays et à leur apport à l’économie nationale.
Une pièce exiguë et à peine vaste pour contenir dix personnes assises et debout  sert de salle de réception et d’attente, séparée par une cloison-comptoir derrière laquelle s’affaire comme il peut le sempiternel si ...  condamné à ce poste depuis  presque 25 ans pour le seul tort d’être ce qu’on appelle un recruté local et, de ce fait, dépourvu de toute aspiration ou droit à une quelconque promotion.

Monsieur F… est bon à tout faire !
J’ai  vu si F... pour la première fois dans les années 80, du temps où j’étais en poste à Londres. Il était jeune, plein d’énergie et prompt à vous servir avec célérité et avec cette amabilité et sollicitude caractéristiques du Tunisien en début de carrière et que le temps et la routine administrative se chargent d’estomper et de transformer en amertume et indifférence pour ne pas dire agressivité caractérielle.
Cette situation n’a pas échappé aux quelques Tunisiens présents dans la salle, venus soit pour renouveler leurs documents soit pour s’inscrire comme moi sur le registre électoral, qui compatissaient avec  Si F... et trouvaient inhumain qu’il assume à lui seul la charge de l’accueil, du téléphone et de toute la procédure afférente aux affaires consulaires: visas, cartes consulaires, renouvellement de passeports, etc.
Leurs commentaires et sarcasmes indiquaient qu’ils étaient familiers des lieux qu’ils  jugent indignes de la révolution et de la dignité retrouvée du Tunisien et pointaient aux murs défraichis et moisis ainsi qu’aux quelques fauteuils dépareillés et d’un autre âge qui leur sont réservés.
Ils comparaient la qualité de l’accueil à celui réservé par l’ambassade du Liban et un autre pays dont j’ai oublié le nom, au public et à leurs concitoyens qui sont accueillis dans de beaux salons par des fonctionnaires aimables et prompts à rendre service, tout en déplorant l’absence de tels réflexes dans les structures tunisiennes.
Quand mon tour arriva, je fus soulagé de voir Si F... me remettre ma nouvelle carte consulaire après quatre jours d’une attente que je trouve injustifiée pour un document censé être délivré sur place, tout en m’indiquant d’attendre pour mon inscription sur le registre électoral alors qu’il suffisait de tendre ma carte consulaire au préposé à cette mission, assis juste à ses côtés et il aura fallu qu’il vienne au guichet remettre son reçu à une dame pour que je saute sur l’occasion et lui mette en quelque sorte par la force ma carte entre les mains.

Incertitudes sur la capacité de l’administration
De nouveau dans la rue, j’étais taraudé par tant  de questions et d’incertitudes sur la capacité de l’administration, dans sa configuration actuelle, à relever les défis  de la révolution et à se hisser au niveau des aspirations de la nouvelle république.
J’estime qu’il est important de situer les responsabilités individuelles dans la gestion de nos représentations à l’étranger, toutes vocations confondues, dans la mesure ou dans plusieurs cas, ce sont les chefs de missions qui commettent des actes contraires aux normes de la république.
Il ne faut pas sous-estimer les responsabilités individuelles, parce qu’on a tendance à mettre sur le dos de l’Etat – ce concept abstrait à la faveur duquel tous les abus se commettent – certains des dysfonctionnements constatés qui s’expliquent par l’incompétence intellectuelle, professionnelle et morale de certains responsables.
A partir de ce constat sur le fonctionnement inadapté de nos structures diplomatiques, la question est maintenant de savoir quelles réformes faut-il apporter à l’outil diplomatique et, plus spécifiquement, quels moyens matériels et humains faut-il préparer et mettre progressivement en œuvre en vue de faire face aux défis qui se poseront à la nouvelle diplomatie tunisienne post révolutionnaire, appelée à sortir de son carcan classiciste et à devenir une véritable force au service du développement économique dont a si besoin notre chère Tunisie?
Des questions qui méritent réponse.

Londres, le 25 juillet 2011