Un calme précaire s'est, enfin, rétabli, après les récents évènements que notre pays a connus et qui ont commencé par le sit-in manqué de Kasbah 3, et ont culminé avec des actes de violence et de pillage dans certaines régions et la mort d’un enfant de 14 ans, tué par une balle perdue, à Sidi Bouzid.
Tout porte à croire que certaines parties ont eu recours à des casseurs, qui se sont livrés à des actes criminels, en se faisant passer pour des manifestants et ont orchestré et amplifié les troubles, avec une parfaite maîtrise, sur tout le territoire de la république. Les commanditaires restent, pour le moment, officiellement, inconnus, en attendant l’enquête, mais l’on peut, d’ores et déjà, désigner, parmi les protagonistes politiques, les vainqueurs et les principaux perdants, au lendemain de ces évènements.
Qui cherche à faire accuser Ennahdha?
Plusieurs indices, trop voyants, ont été laissés derrière les auteurs des actes de violence et de vandalisme pour impliquer, principalement, d’une façon presque explicite, les islamistes et Ennahdha, accusés, à demi-mots, par différents médias et certains responsables, d’encourager les fauteurs de troubles, en sous-main. Chose que, bien sûr, nient les partisans d’Ennahdha, avec force, sans arriver, pour autant, à persuader une bonne partie de la population de leur innocence. Pourtant, leur parti n’est pas celui qui profitera, à coup sûr, du crime, étant parmi les favoris dans tous les sondages des prochaines élections et n’ayant, par conséquent, aucun intérêt à les retarder ou les empêcher, en envenimant la situation politique. Le faible nombre des manifestants rend, aussi, invraisemblable son implication; ses capacités de mobilisation étant, de loin, plus importantes.
Le zèle de certains éléments de la police, le recours à une force excessive face à quelques centaines de manifestants, pacifiques, poursuivis dans l’enceinte de la mosquée de la place, à la Kasbah, a laissé, plus d’un, perplexe. Même les journalistes n’ont pas été épargnés. Le gouvernement provisoire n’a pas condamné ces excès des forces de l’ordre, et les a, même, implicitement justifiés, en mettant en exergue la gravité des actes des manifestants et l’impératif de sauvegarder l’enjeu principal, celui des élections et leurs échéances, menacées, selon lui, par une tentative de déstabilisation politique.
Le pouvoir cherche à se consolider
Le Premier ministre n’a pas oublié d’exprimer, librement, son ressentiment contre les journalistes, les accusant, injustement, d’être, en partie, responsables du climat d’instabilité politique et sociale. Il a, d’ailleurs, averti qu’il ne tolérera plus les protestations bruyantes et les mouvements spontanés de la rue. Les sit-in et les manifestations n’ont plus de raison d’être, a-t-il affirmé, après la satisfaction de la principale revendication, celle de l’élection d’une constituante et la rédaction d’une nouvelle constitution. Il voulait, sans doute, suggérer, indirectement et malgré ses dénégations, le début d’une nouvelle étape de consolidation d’un pouvoir, déjà en place et qui entend le rester pendant encore longtemps.
Il ne semble pas, cependant, avoir convaincu. Le rapport de la Fédération internationale des droits de l’homme (Fidh) est venu – comble de malchance pour lui et à un moment inopportun –, donner raison aux jeunes manifestants en rappelant les insuffisances et la lenteur du processus de transition, particulièrement en ce qui concerne la réforme de la justice et la réorganisation du ministère de l’Intérieur.
La défection de la Chaine nationale de télévision, dont les journalistes ont opté pour un rôle neutre et indépendant, a irrité, manifestement, le chef du gouvernement, au point de lui faire perdre, à certains moments, son sang froid et son autocontrôle.
Le vent du changement semble avoir soufflé, également, sur la police, elle même, dont une faction importante est, désormais, déterminée à agir dans le respect du droit et des libertés et s’est montrée peu sensible aux nostalgies d’un passé, définitivement rejeté, que certains ont cherché à susciter par une intervention spectaculaire et musclée.
Le bilan est donc plutôt mitigé pour le Premier ministre et son ministre de l’Intérieur, qui ont été amenés à faire quelques concessions avec la remise en liberté de la plupart des jeunes militants, arrêtés à la Kasbah, et l’acceptation, à contrecœur, de la poursuite d’un autre sit-in, une réplique de celui de Tunis, à Sfax, la capitale du Sud.
Colère et vigilance parmi la population
La tentative d’une reprise en main de la situation politique et l’opération coup de poing, visant à contrôler la rue, semblent avoir échoué, malgré les différentes précautions prises, pour convaincre la population des bienfaits d’une stabilité politique, moyennant un «raidissement sécuritaire», selon l’expression d’un éditorialiste d’un journal officiel.
Il semble qu’on avait parié, un peu légèrement, sur la lassitude de l’opinion publique de l’instabilité actuelle. Les terribles années de plomb et les souffrances endurées, sous l’ancien régime, dans les régions du sud et ses zones minières, notamment, sont encore bien présentes dans la mémoire collective, alimentant la colère et la vigilance d’une grande partie de la population qui a refusé le marché de dupes proposé de troquer sa liberté contre sa sécurité.
A l’échec de l’opération d’une mise au pas des jeunes de la révolution, fer de lance de la contestation, se sont ajoutés les déboires de la Haute instance. Après des initiatives, avortées, de réconciliation avec les partis qui l’ont, récemment, quittée – Ennahdha et le Congrès Pour la république (Cpr) – un différend a encore surgi avec le Parti démocratique progressiste (Pdp) et ses représentants, mécontents des ambigüités qui ont entouré le vote sur le projet de loi concernant le financement des partis.
Les critiques contre la Haute instance se multiplient et des voix, de plus en plus fortes, s’élèvent, demandant sa réorganisation et un changement radical de ses méthodes de travail et de décision. Seuls quelques partis de gauche et centristes, proches de l’ancien régime, semblent avoir, finalement, tiré un maigre profit des derniers évènements en assénant quelques coups de bec aux islamistes, restés sur la défensive, les accusant, plus ou moins, ouvertement, lors d’une manifestation, de quelques centaines de personnes, d’être derrière les violences.
La bonne santé de la révolution
Le gouvernement provisoire n’a remporté, en fin de compte, du bras de fer engagé avec les manifestants qu’une victoire à la Pyrrhus, puisqu’il s’est soldé par une atteinte à sa crédibilité et à celle de la Haute instance. Son affaiblissement peut profiter, paradoxalement, à Ennahdha et à l’Ugtt qu’il avait, souvent, essayé de discréditer. La résistance de la révolution au premier assaut sérieux, durant la période de transition, de ses adversaires, qui tentaient de la dompter, a conforté dans leurs convictions un grand nombre de jeunes et de moins jeunes de ses partisans. Les derniers évènements ont confirmé la vigueur et la bonne santé de la révolution tunisienne, bien rassurants sur ses chances de réussite et d’aboutissement.