Mongi Karrit* - Ni l’Histoire ni les générations futures ne nous pardonneront notre insouciance, indifférence et démission dans cette phase critique de notre pays.


Presque sept mois se sont écoulés depuis le 14 janvier et il ne reste que quelques jours à la clôture des inscriptions dans les listes électorales et que quelques semaines au jour des élections de l’Assemblée nationale constituante. Sommes-nous suffisamment mobilisés à ces échéances? Allons-nous voter, pour la première fois depuis l’indépendance, en masse et de plein gré pour choisir ceux qui vont nous représenter au sein de cette assemblée? Sommes-nous bien informés du rôle de cette assemblée? Sommes-nous conscients de l’importance de ce vote? Autant de questions qui méritent des réponses.

Les polémiques autour de la haute instance
Le dernier chiffre des personnes inscrites s’élève à 1, 3 million sur un total de près de 7,5 millions. Ce qui ne représente que 15%  de l’électorat. A mon avis, ce désintérêt a plusieurs raisons.
L’ambiance qui a régné au cours des derniers travaux de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution s’est caractérisée par des querelles et des accusations autour du financement des partis politiques, de l’identité tunisienne et de la normalisation des relations avec Israël. Le parti Ennahdha s’est carrément retiré de cette instance, l’accusant de déviation de ses attributions. Les différends entre cette instance et les quelques membres représentant les indépendants et les partis ont été largement médiatisés, ce qui  a certainement influencé beaucoup de citoyens. Déclarer publiquement que cette instance n’a plus raison d’être, douter de son sérieux et de sa neutralité et  exiger de modifier sa composition jugée non représentative ne peut que nuire à son image. D’autant plus qu’elle est constamment attaquée en raison de son absence de légalité.

Les petits calculs des partis
Les partis, dont le nombre a dépassé la centaine, demeurent jusqu’aujourd’hui  occupés par les élections et les petits calculs. Les fronts se font et se défont. A ma connaissance, seul le parti Ettajdid a entretenu un discours fédérateur favorisant l’intérêt national. Quelques uns ont déjà commencé leurs campagnes électorales. Faute de moyens financiers, plusieurs partis peinent à se déplacer dans les régions pour promouvoir leurs programmes et encadrer leur électorat.  Quelques projets de programmes politiques ont été médiatisés. La plupart des partis demeurent inconnus, n’ayant pas tous eu l’occasion de faire connaître leurs objectifs. Mais tous se prétendent démocrates et affichent les mêmes slogans et objectifs, ce qui risque de rendre le choix difficile pour les électeurs. De plus, ils entretiennent un discours d’intellectuels que le simple électeur, resté longtemps apolitique, ne peut comprendre. Mais, rien n’a été dit sur leur future participation à l’Assemblée constituante. Ils ont omis, volontairement ou involontairement, de présenter leurs choix du futur système politique et de leurs visions du futur projet sociétal. Ont-ils des desseins occultes? Quelques uns d’entre eux sont allés jusqu’à proposer d’ignorer les élections de l’Assemblée constituante et de se contenter de modifier le dernier Destour. Bref, ils jouent le rôle d’opposition et brillent par leurs critiques vis-à-vis des actions du gouvernement.

L’Isie ne peut être responsable de l’abstention des électeurs
L’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), en dépit des attaques incessantes dont elle fait l’objet depuis sa création, a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer des élections démocratiques, libres, fiables et transparentes. Elle a lancé une campagne d’information sur tout le territoire. Les spots publicitaires sont réussis et variés. Mais cette instance ne peut être responsable pour cette abstention. Beaucoup de citoyens reprochent aux partis leur soif du pouvoir et leur désintérêt vis-à-vis des besoins et des problèmes du simple Tunisien. D’autres attendent avec impatience la divulgation de leurs programmes politiques.
Afin de garantir les conditions pour la réussite des élections du 23 octobre prochain, il est demandé à l’Isie de persévérer dans son programme, d’envisager un rallongement des  délais et de prévoir d’autres bureaux d’inscription, en particulier dans les régions défavorisées.  
Les partis politiques sont, pour la énième fois, appelés à faire preuve de responsabilité, de positivisme et surtout de patriotisme. Notre pays passe par une période économique critique et difficile. La saison touristique n’aura pas d’effets positifs sur l’économie. Le chômage est en augmentation. L’abolition de l’ancien Destour exige la coordination, la concertation et le consensus. Le gouvernement actuel doit être soutenu. L’Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution doit continuer son travail. Même si des personnes indépendantes et des partis désapprouvent l’action du gouvernement et de l’Instance pour la transition démocratique ils doivent savoir que les dissoudre n’est ni possible ni souhaité par la majorité des Tunisiens. Personne ne peut prétendre qu’une fois au gouvernement, il fera mieux. Modifier la composition de cette instance pour exaucer les desseins d’une minorité en son sein ne serait ni  judicieux ni apprécié sur le plan démocratique.
Sur un autre plan, les partis sont appelés à nous présenter, dans les plus brefs délais, leurs visions du modèle de société et du système politique pour la période à venir. Ils garderont leurs programmes économiques, sociaux et culturels pour les élections qui seraient organisées par l’Assemblée constituante. Ce que nous avons besoin de savoir maintenant : est-ce que le modèle sociétal sera réellement démocratique, moderniste et libre ou réactionnaire et rétrograde? Ces réponses seront les seules qui nous aideraient à choisir pour qui nous allons voter.

La responsabilité des citoyens
Les citoyens ont aussi ici une responsabilité à assumer. S’inscrire dans les listes électorales et par la suite aller voter est un droit et un devoir national pour nous tous. Aller voter c’est choisir le parti ou les personnes qui s’engageraient à porter nos idées, soucis et attentes devant l’Assemblée. Aller voter c’est participer à préparer et tracer l’avenir que nous souhaitons pour nous, pour nos enfants et pour notre pays. Donc, il faut se hâter pour s’inscrire et connaître davantage les partis et les indépendants. Même si le choix s’avère difficile en raison de la multitude des partis, d’autres solutions se présentent à nous. Il est possible de voter contre les partis ou les indépendants qui risquent de ne pas nous représenter comme il se doit et qui profiteraient de nos voix, au nom de la démocratie, pour s’engager dans des voies obscurantistes et incertaines.
Ni l’Histoire ni les générations futures ne nous pardonneront notre insouciance, indifférence et démission dans cette phase critique de notre pays.

* Citoyen de la masse silencieuse.