Rachid Barnat écrit – Agitée comme un épouvantail par certains et considérée comme une nécessité par d’autres, la laïcité n’est pas toujours comprise comme une garante de la liberté de conscience… pour tous.


La laïcité, l’Etat laïc… sont des expressions souvent utilisées dans le débat démocratique qui se déroule en ce moment en Tunisie, mais le plus souvent ces mots sont utilisés soit comme une arme de propagande par les uns ou comme un épouvantail par les autres, sans que le sens exact de ces notions ne soit clairement compris. Or l’essentiel pour qu’un débat démocratique soit fécond c’est que chacun sache de quoi il parle et ait conscience des enjeux du débat. A défaut, c’est un combat de slogan et cela ne fait pas avancer la question d’un pouce.

 

Aux sources de la laïcité
La laïcité n’est pas une notion aussi claire et aussi simple que certains veulent bien le dire. Par ailleurs, ce qui ne facilite pas les choses, le mot n’a pas d’équivalent en arabe. Il faut donc essayer de revenir à quelques idées simples pour permettre de clarifier le débat et les enjeux.
La laïcité est née en France. C’est dans ce pays qu’elle a été théorisée et réglementée par la fameuse loi de 1905. En réalité les historiens font remonter la laïcité à l’Edit de Nantes signé par Henri IV en 1598. De quoi s’agissait-il en bref?
Les catholiques qui pratiquaient la religion dominante, celle du roi comme le veut la tradition, et donc du pays, s’opposaient avec une grande violence aux protestants (pour rappel: la tristement célèbre nuit de la Saint Barthélemy). L’Edit de Nantes, dû à la grande sagesse du roi Henri IV, décida que désormais l’Etat devait faire respecter la pratique des deux religions. Il était donc un édit de liberté, de «liberté religieuse».
La loi de 1905, qui marqua clairement la séparation de l’église et de l’Etat, allait encore plus loin, mais elle est également, pour l’essentiel, une loi de «liberté religieuse», puisqu’elle a pour objectif d’assurer la pleine liberté de conscience et de permettre ainsi à chaque citoyen de pratiquer la religion de son choix. Il est donc tout à fait faux de prétendre, comme le font certains, avec une plus ou moins bonne foi, que la laïcité est «contre la religion». C’est exactement le contraire! Ce qui montre ou l’ignorance ou la mauvaise foi de ceux qui soutiennent ce point de vue.

La laïcité garante de la liberté de conscience
Par contre, la laïcité, en ce qu’elle veut assurer la liberté de conscience et la liberté religieuse, fait que la religion ne peut pas et ne doit pas s’imposer dans la sphère publique. En effet, dire qu’une religion doit s’imposer et imposer ses règles, c’est interdire, par là même, le libre choix et la libre pratique d’une religion.
Il est donc clair qu’en l’absence de laïcité, dans l’hypothèse d’une religion imposée, c’est une des grandes libertés de l’homme, la liberté de conscience, qui disparaît! Un pays moderne se doit d’assurer à ces citoyens cette liberté fondamentale de conscience. Le Coran, seule source divine pour les musulmans, ne s’oppose pas à cette liberté de conscience puisqu’il prend le soin de nous dire qu’il ne doit pas y avoir «de contrainte en religion» et qu’il répète à plusieurs reprises que les musulmans se doivent de respecter les «gens du Livre», c’est-à-dire les juifs et les chrétiens.
Cette liberté de conscience donnée par la laïcité n’empêchera nullement le plus grand nombre de pratiquer avec zèle sa religion musulmane, qui sera d’autant plus féconde qu’elle résultera d’un choix libre d’un homme libre et qu’elle ne sera pas dictée par le respect des convenances sociales !

Etat et organisation de la religion
Est-ce à dire que la laïcité se limite à assurer cette liberté de conscience et que l’Etat n’a pas son mot à dire sur la pratique et l’organisation de la religion?
Dans tous les pays laïques et même en France, le plus laïc d’entre eux, l’Etat garde son rôle éminent de protecteur de l’ordre et de la paix public. Il ne peut rester totalement indifférent à l’organisation de la religion.
La Tunisie n’échappera pas à cette nécessaire intervention de l’Etat dans la mesure où, il faut en être conscient, des pratiques religieuses se font jour, qui instrumentalise la religion dans un but purement politiques et qui, si elles ne sont pas contrôlées, pourront porter atteinte à la paix publique.
L’islam de la Tunisie, de tradition malékite connu pour sa tolérance, son ouverture et son pacifisme, pouvait permettre à l’Etat de ne pas s’en mêler; mais dès lors que d’autres courants religieux tels que le salafisme et le wahhabisme, connus pour leurs pratiques ostentatoires, violentes et agressives, cherchent à s’imposer en Tunisie à des fins avoués ou cachés d’instaurer une théocratie, l’Etat doit assurer son contrôle sous peine de voir évoluer la Tunisie, terre de tolérance depuis des siècles, vers une dictature religieuse.
Dès lors, on peut dire que la laïcité à la Tunisienne, conforme au génie de ce peuple, doit:
1- assurer à tous les citoyens une réelle liberté de conscience. Les Tunisiens sont assez grands pour choisir de croire ou de ne pas croire et de pratiquer leur religion librement et sans une ostentation de mauvais goût ;
2- l’Etat doit s’assurer que cette liberté ne dégénéra pas en abus, en appel inacceptable à une théocratie dont le premier souci sera de supprimer la liberté de conscience et avec elle toutes les autres libertés. Et que les religieux n’imposent pas leurs croyances aux autres.
Pour conclure, beaucoup prétendent que la laïcité c’est l’irréligion. Ils se trompent ou veulent tromper le monde. En réalité, la laïcité permet la pratique de «sa» religion.
Il est seulement vrai qu’elle permet aussi la pratique de «toutes» les religions comme elle permet de ne pas pratiquer du tout. C’est sans doute cela qui gêne ceux qui veulent imposer leur religion aux autres !
Car la laïcité garantit la «liberté de conscience» à tous les citoyens sans distinction.