Depuis l’avènement de la révolution en Tunisie les débats sur l’avenir du pays battent leur plein. Doit-on aller vers la modernité ou revenir vers le moyen-âge ? C’est ce genre de discours dichotomique que les défenseurs d’une certaine modernité tiennent afin de dissuader le peuple d’aller renforcer les rangs du parti Ennahdha, qui ne manque déjà pas d’adhérents.
L’affaire tourne carrément au lynchage ! Tout ce que Ghannouchi ou Mourou font ou disent est sujet à critiques. Au point d’exacerber bon nombre de personnes, dont je fais partie, et qui, à l’origine, sont assez loin des orientations d’Ennahdha!
L’objectif de cet article serait de disséquer cet acharnement sur la composante politique la plus imposante du pays. Je tenterai aussi de redonner un certain sens nouveau à la notion de «modernité» vs « moyen-âge» et «progressiste » vs «rétrograde»! Car il se peut que dans notre cas précis les choses se soient inversées ou du moins mélangées!
Qu’est-ce qu’être moderniste?
Je commence par une sorte de constat, car, me semble t-il, la quasi-totalité de ceux qui, aujourd’hui se croient modernes et «modernistes», ceux qui pensent représenter le progrès, qui croient être aux antipodes des orientations rétrogrades, se mettent, naïvement ou par ignorance peut-être, dans une posture qui les empêche de vivre et de voire les événements actuels à leur juste taille. Je ne vais pas allez par le dos de la petite cuillère. Et mes propos risquent même de choquer certains. Un risque que, en homme libre, je préfère volontiers prendre.
Disons pour commencer que, qu’on l’admette ou pas, les échelles des valeurs auxquelles se réfèrent les «modernistes» sont intimement liées à l’Occident et sa civilisation. Est considéré comme progrès par eux tout ce qui concorde avec les idéaux occidentaux. A contrario, est considéré comme rétrograde tout ce qui va à l’encontre...
Ces modernistes tunisiens sont pour moi des victimes du syndrome bourguibiste, des proies à la petitesse et la mesquinerie du premier président de la république tunisienne. Pour eux il est bon et moderne de parler anglais, français ou italien, d’écouter Bach et Mozart et de ponctuer ses discours de citations de Montesquieu et de Pascal, avec son pari plagié! Ils n’imaginent la Tunisie progresser que dans une seule et unique direction. Celle où se précipite actuellement l’Occident. Car, ces gens là, ayant été avantagés, de par leurs parcours et leurs vécus, il est plus facile pour eux de suivre cette cadence. Dans leur majorité, ils ignorent même les plus brillants penseurs de leur civilisation. Et ne considèrent que ceux qui ont eu la chance d’être bien considérés par leurs maitres-penseurs occidentaux…
Mais il y a pire encore. Il y a une catégorie de «modernistes» qui n’est même pas à ce niveau là de réflexion. Les minettes qui craignent de ne plus pouvoir mettre de string visibles entre le pantalon et le teeshirt et de ne plus pouvoir draguer et se faire draguer à la buvette du Sindbad. Et les mecs qui pensent au double tequila qu’il ne pourront peut-être plus prendre sur la terrasse du Nahrawes. Et ils veulent avec ça contribuer activement à décider de l’avenir de l’un des plus grands pays que l’histoire a connu! Mais, tous, incapables qu’ils sont de prendre de la hauteur, nécessaire à la lecture de la situation actuelle. (Voir, à ce propos, si cela vous tente, l’article : ‘‘Tunisie. Béji Caid Essebsi va-t-il rater le virage?’’).
L’Occident référence est fini
Je reviens maintenant au cœur du sujet et aux différents renvois et autres allusions faits par ces «modernistes» et de façon répétée au moyen-âge, qu’ils tentent de coller à Ennahdha et à son action politique. Et à ce propos je dirais:
• Primo, je ne suis pas sûr que ces «modernistes» savent tous de quoi il s’agit quant ils parlent de moyen-âge. Et encore moins de ce que le moyen-âge représente vraiment pour eux! Quand est-ce qu’il commence et quand finit-il. Ce qui est sûr, c’est que dans leurs esprits c’est encore une bonne référence occidentale, qui sonne bien et que l’on peut utiliser pour se distinguer et se montrer plus moderne que les autres;
• Secundo, la référence au moyen-âge est aujourd’hui plus que d’actualité. Non pas comme l’entendent nos «modernistes», avec leurs lectures étriquées des évènements. Mais, c’est parce que la révolution tunisienne dans sa grandeur aurait tout bonnement marqué la fin d’une époque et le début d’une ère nouvelle: «l’ère postmoderne» qui vient se succéder, elle, à l'époque moderne et à celle de la renaissance, héritière du moyen âge. Et ça, ce n’est pas moi qui le dit! Et c’est l’Histoire qui le confirmera
Les Ottomans ont mis fin au moyen-âge lors de la conquête de Constantinople, il y a cinq siècles (c’est la date retenue par les historiens pour marquer le début de la renaissance… Posez-vous la question pourquoi, d’ailleurs!). Les tunisiens initient l’ère post-moderne!
Depuis le 14 janvier le monde n’est plus le même. Ne lisez pas les évènements actuels avec une échelle de temps de l’ordre de la journée ou même du mois, comme vous avez pris l’habitude de le faire. Encore une fois, allez voir l’article cité plus haut (Tunisie. Béji Caid Essebsi va-t-il rater le virage?), mais adoptez plutôt la génération ! Ce serait plus pertinent. C’en est fini avec l’Occident référence. The game is over! Le monde se fait ailleurs maintenant et c’est autrement que les références se construisent. L’Occident n’est plus générateur d’idées, encore moins d’idéaux, sauf dans certains esprits stériles qui s’obstinent et demeurent renfermés, de peur de se retrouver marginalisés un jour, probablement…
La modernité d’Ennahdha
Que cela plaise ou pas aux «pseudos modernistes», Ennahdha s’inscrit dans une certaine modernité, celle de l’Histoire. Celle que je viens de décrire. Non pas que ce sont des gens qui se veulent avant-gardistes. Peut-être même qu’ils subissent actuellement leur posture. Mais les modernistes, eux, ils restent dans une démarche rétrograde, à pleurnicher sur la grandeur perdue d’une civilisation brillante certes, mais qui reste l’une des plus sanguinaires et destructrices de toute l’histoire de l’humanité.
Dans quelques années, ou dizaines d’années, il y aura une méga alliance de pôles orientaux qui gouverneront probablement le monde comme l’a fait l’Occident jusqu’alors. La Chine sera de la partie, l’Inde aussi. Mais très vraisemblablement, une entité arabo-musulmane sera là pour peser de son poids… Je ne sais pas quelle forme elle prendra. Mais je suis fier de vous annoncer que l’embryon a déjà été échographié et l’ovule fécondée, peut-être quelque part, un 14 janvier 2011, après un acte d’amour qui s’est produit des années durant au Liban, en Turquie et dans d’autres endroits tenus secrets, puisque c’était un acte d’amour.
Donc, maintenant je vais m’adresser à cette frange de «modernistes» pour leur demander à tous un peu de modestie, d’humilité et de ne plus parler d’Ennahdha comme si c’était des demeurés. Prenez de la hauteur. Faites vous aidez à vous débarrassez des syndromes du bourguibisme. Et surtout arrêtez de réagir sans cesse et de façon épidermique en racontant tout et n’importe quoi, pourvu qu’il s’agisse de dire/faire du mal à Ennahdha. Car c’est assez mesquin comme posture!
Epilogue: en l’espace de 10 ans, la Turquie est passée du 66e au 17e rang mondial, économiquement parlant. Et l’Akp y est pour beaucoup. Ce même Akp, qui reconnait une certaine paternité de ses idées à la ligne de pensée tunisienne et avec une référence explicite à Rached Ghannouchi. Et c’est ça aussi la grandeur de la Tunisie!
Donc, au lieu de passer son temps à lyncher Ennahdha, car c’est d’un vrai lynchage qu’il s’agit, il vaut mieux se demander comment les aider à ce qu’ils s’inscrivent, à leur tour, dans une démarche de progrès. Sans pour autant partager stricto-sensu leurs lectures de la politique ni de la société tunisienne. C’est de l’intérêt de notre pays et de notre peuple qu’il s’agit…
* Consultant en stratégie DSE -Paris