Quel est le Tunisien qui n’a pas été ému et bouleversé à la vue des images de ces jeunes naufragés de la révolution, errant dans des terres inconnues et trainant leur désespoir comme un boulet dont ils ne peuvent se défaire, face à l’indifférence totale quand ce n’est pas l’hostilité du genre humain?
Ce qui m’a encore révolté et que j’ai eu le plus de mal à admettre, c’était l’incapacité de ces jeunes à s’exprimer correctement, face aux médias, dans une langue supposée être enseignée dans nos écoles depuis l’enfance et que nos réflexes culturels post coloniaux ont contribué à perpétuer.
Cette situation, qui dénote le malaise profond secouant notre pays, est venue à pic infliger le plus patent des camouflets quant à l’échec de la politique éducative, dans un pays qui s’évertue à être l’un des chantres et piliers de la francophonie.
Que de questions ont fusé dans ma tête face à cette dure réalité pleine de symboles, et qui en dit long sur l’énormité de la tâche qui attend nos nouveaux gouvernants.
S’ouvrir sur d’autres cultures
Je tiens à signaler que je ne nourris aucun sentiment d’animosité à l’égard de la France où j’ai fait mes études supérieures et vécu quelques unes de mes plus belles années, mais que je réagis en tant que simple citoyen soucieux de l’avenir de son pays et qui ne peut être indifférent à ses souffrances.
Je ne renie pas non plus les liens affectifs, historiques, culturels et économiques avec ce pays et qui doivent procéder d’une vision décomplexée, toutefois, j’appelle mes compatriotes à s’ouvrir sur d’autres cultures et à aller chercher les opportunités là où elles se trouvent.
Ma critique s’adresse à l’aveuglement de nos élites et gouvernants, longtemps vassalisés, pour des intérêts souvent personnels, à cette doctrine de la Françafrique, créée par le Général de Gaulle dans le seul objectif de maintenir les anciennes colonies françaises dans un état de dépendance culturelle et économique vis-à-vis de l’ancienne métropole.
Le drame vécu par quelques milliers de nos jeunes en France vient de mettre à nu les ravages infligés par cet alignement aveugle sur un pays qui peine lui même à relever les défis de la mondialisation et où le taux élevé de chômage pousse sa propre population à l’exil.
Regarder au-delà de la France ou l’Italie
Pour ne citer que le Royaume Uni ou je vis, pas moins de 400.000 Français s’y sont installés et à une cadence accélérée depuis 1999, attirés par la disponibilité de l’emploi et des salaires et par les conditions sociales plus élevées que dans leur propre pays, ce qui a fait dire à un Français: «Et si j’étais encore célibataire sans enfants et sans l’emploi que j’ai, j’en ferais autant! Heeee oui, y a pas que les Africains qui émigrent pour trouver mieux, y a aussi des Français lassés de ce pays immobiliste».
Que d’opportunités gâchées par notre incapacité à nous soustraire à cette dépendance culturelle et économique qui nous a fait rater tant de belles choses et, loin de faire l’apologie de l’émigration, qui est un phénomène vieux comme le monde, je déplore tout simplement que notre diplomatie n’ait pas balisé le chemin pour que nos jeunes puissent regarder au-delà de la France ou l’Italie.
Je pense en particulier à des pays comme la Scandinavie, le Royaume Uni, l’Australie, le Canada, des pays d’immigration au niveau de vie élevé et où la dignité humaine prend un sens plus élevé.
Une telle politique aurait permis aussi, et à l’instar du Maroc, la création de tête de ponts dynamiques qui auraient facilité à leur tour l’ouverture de nouveaux marchés à nos exportations.
Comment ne pas enrager quand je vois nos produits exportés à des prix bradés en France et en Italie, revendus ailleurs sous forme de produits de niche, dix fois plus chers et privant ainsi notre économie d’une plus value si nécessaire à son développement et prospérité?
Vous me direz que c’est l’incompétence intellectuelle, le manque d’ambition et d’esprit de conquête de la majorité écrasante de nos hommes d’affaires, mais qui en est responsable?
Comment expliquer qu’après un demi siècle d’immigration en Europe et ailleurs, notre colonie soit des moins performantes économiquement et nos élites si éparpillées et incapables d’exercer la moindre action de lobbying chaque fois que l’image et intérêts de notre pays sont en danger?
Cette situation ne changera pas tant que nos structures diplomatiques et représentations institutionnelles, considérées comme notre fer de lance et instruments de conquête, demeureront empêtrées dans les schémas et repères de la diplomatie classique et des habillages trompeurs, privilège des pays riches.
Il ne faut pas se leurrer, nous sommes encore un pays en voie de développement et nos priorités et urgences, n’étant pas les mêmes, doivent impérativement primer sur toute autre considération.
Une refonte totale de la politique étrangère
Face au nouveau contexte national et international, nos représentations à l’étranger et particulièrement notre diplomatie ont besoin de sang neuf, de nouvelles compétences et qualités, de nouveaux talents et profils, animés surtout par cet esprit de conquête qui a longtemps fait défaut, car c’est l’avenir de notre pays qui en dépend.
Avoir été à l’université et être impliqué dans la structure active de conception ou d’exécution des stratégies du ministère des Affaires étrangères ou de celui du Commerce et du Tourisme ne confère point la qualité de diplomate ou de représentant, et il est grand temps pour que les critères de sélection soient revus et que l’obligation de résultat devienne la règle dans nos choix et affectations.
La Tunisie post révolutionnaire doit procéder à une refonte totale de sa politique étrangère afin de tracer une nouvelle feuille de route à la hauteur de ses intérêts et aspirations légitimes en accordant à l’aspect économique une priorité absolue qui doit primer sur toute autre considération.
La présence pléthorique de nos représentations diplomatiques et autres organismes institutionnels à l’étranger doit céder la place à des structures intégrées, plus performantes et moins bureaucratiques avec pour seul critère de base les enjeux économiques et stratégiques pour notre pays et l’exemple de la Suède à cet égard est fort édifiant.
De par sa taille et sa population, la Tunisie, outre ses liens naturels avec son milieu maghrébin, gagnerait à se rapprocher davantage de pays similaires mais au niveau de vie et de développement des plus élevés dans le monde.
Des pays tels que la Suisse, l’Autriche, la Scandinavie, les Pays-Bas ou la petite Malte, juste en face mais ô combien éloignée dans nos schémas de coopération, sont autant d’exemples de réussite à suivre et de marchés potentiels pour nos produits, sans mentionner les opportunités en matière de coopération et de développement loin de toute tutelle et esprit hégémonique.
Et si nos médias et hommes politiques consacraient moins de temps aux débats idéologiques, dans lesquels ils se montrent fort experts, au profit de tels enjeux plus vitaux, ils rendraient mieux service au pays et ouvriraient davantage les horizons à leurs concitoyens.