Jamel Heni écrit – Mahmoud Darwich nous a faussé compagnie le 9 août 2008, laissant à ses lecteurs le testament d’une patrie rêvée et la redoutable armée des mots.


Le poète arabe Mahmoud Darwich s’est éteint le 9 août 2008 à l’âge de 68 ans, suite à une opération à cœur ouvert. Avant qu’un vent de liberté ne caresse sa Birweh natale. Avant le Nobel grossièrement refusé par l’Académie. Symbole d’une génération meurtrie, la génération 1948, il s’était distingué par une poétique de l’occupation. Ses longues nuits d’exil avaient réussi à retourner, simplifier, récrire la condition coloniale. De conquête, l’occupation en était devenue une impasse historique. Cul de sac politique, faillite morale!!
Mahmoud Darwich, mettais au monde les vers du paradoxe: je suis une victime qui porte conseil au bourreau. Votre guerre est perdue, demain au plus tard… Vous y êtes. Nous y sommes. Depuis 48 au moins. Nous sommes les Arabes de 48. Nous le resterons.
Arabes, comme la langue. Fils d’Ismaël. Ismaël fils d’Abraham. Abraham père d’Isaak... Arabe comme la langue. Dans la langue. Arabe de sang et de poésie. Vous connaissez la poésie arabe. Certainement. C’est l’essentiel. Tout en dépend, l’histoire, la religion. «Nous avons besoin de cette prose divine afin que triomphe le prophète», écrit le poète de Galilée.
La poésie arabe est le premier acte de culture; les rimes du désert, véritable nécessité à ponctuer le sable. Couchez en l’air, sous une tente si vous voulez, vivez de dattes et de lait, ce qui vous tombe sous la main... Mais ne composez pas n’importe quel vers, s’il vous plaît, suivez la rime, les modes. C’est simple. Vous seriez arabe, vous le sauriez. Cela est dans le sang. Cela est votre sang. Un poème.
Quand on a le désert, on ne peut qu’avoir la poésie. Tout l’univers à jeter dedans. Quand on a le désert, on invite tout le monde. C’est une question d’espace. C’est cela être arabe: un poète généreux. C’est cela Mahmoud Darwich: un poète, le cœur gros comme ça.
«Je ne connais pas le désert/ Mais j’ai poussé mots sur ses flancs/ Les mots ont parlé et je suis parti/ Je n’ai gardé que la cadence, que j’écoute et j’observe... ».
Ces vers de Darwich résument. La poésie arabe est antérieure à sa conception, elle s’impose aux mots, elle est évidente : les mots ont parlé a-t-il dit...
Mais Mahmoud, insiste. «Je suis arabe, inscris/ Inscris!
Je suis Arabe
Le numéro de ma carte : cinquante mille
Nombre d’enfants : huit
Et le neuvième... arrivera après l’été ! Et te voilà furieux!

La condition arabe, impossible dans les territoires, trouve sa réalisation dans les vers et dans leur étendue toute saharienne. A perte de vue et de réel. Ne viennent-ils pas du sable? Un sable mouvant et sec qui gave la bouche de l’occupant. La Palestine occupée? On voit bien, mais la terre appartient à ses poètes, les chars n’en ont pas idée, souvenir, les chars sont contre la terre, ils cassent tout et n’écrivent rien, ils n’ont pas le sens du rythme, comme Mahmoud. La terre appartient à son poète, comme la Palestine à Darwich. Une terre arabe : un poème généreux. Alors «inscris», je suis Arabe. Fils d’Ismaël. Ismaël fils d’Abraham. Abraham, père d’Isaak.
Néanmoins le poète arabe souffre suffisamment pour être dupe d’un poème. Une terre. Un combat. Il doute, avec beaucoup de certitude, de sa destinée. De l’immanence de la poésie. Du doute comme défense poétique contre l’ennui. Car Darwich croit en la faculté humaine de l’ennui «moteur du changement», nuance-t-il. Et il s’ennuyait de tout, lui même en premier:
Qui suis-je pour vous dire
ce que je vous dis?
J’aurais pu ne pas être moi
j’aurais pu ne pas être ici...
L’avion aurait pu s’écraser
un matin
J’ai la chance d’être un lève-tard
j’ai raté l’avion
J’aurais pu ne pas connaître Damas, le Caire,
le Louvre ou les villes enchanteresses
/.../
J’ai la chance de dormir seul
de pouvoir écouter mon corps
de croire que j’ai le don de découvrir la douleur
et d’appeler le médecin, dix minutes avant la mort
Dix minutes suffisent pour vivre par hasard
pour décevoir le néant
Qui suis-je pour décevoir le néant ?
Qui suis-je ? Qui suis-je ?

Ce poète arabe généreux, qui n’était pas simplement un poète arabe généreux mais aussi le fils d’Ismaël, ennuyé-pour-changer, avait offert aux femmes son amour et son absence. Donc tout son amour. Il ne voulait pas s’en ennuyer. L’air éternellement hébété, une mèche flottante cachant un front pourpre comme aux premières galanteries pubères. Il leur dédiait ses poèmes. A l’une d’elle, sa maman, il s’était même promis. Aucune autre ne partagera sa vie, toute sa vie. Sa mère qui ne l’aura pris dans ses bras que quatre coups depuis son départ à l’université, là-bas à Moscou. «Je languis du pain de ma mère / du café de ma mère / du toucher de ma mère». Une mère «empêchée» de son petit Ismaël... Petit-fils d’Abraham, Abraham Père d’Isaak...

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Voilà quatre ans nous quittait Mahmoud Darwich : les rimes du désert

Jamel Heni écrit – Mahmoud Darwich nous a faussé compagnie le 9 août 2008, laissant à ses lecteurs le testament d’une patrie rêvée et la redoutable armée des mots.

Le poète arabe Mahmoud Darwich s’est éteint le 9 août 2008 à l’âge de 68 ans, suite à une opération à cœur ouvert. Avant qu’un vent de liberté ne caresse sa Birweh natale. Avant le Nobel grossièrement refusé par l’Académie. Symbole d’une génération meurtrie, la génération 1948, il s’était distingué par une poétique de l’occupation. Ses longues nuits d’exil avaient réussi à retourner, simplifier, récrire la condition coloniale. De conquête, l’occupation en était devenue une impasse historique. Cul de sac politique, faillite morale!!

Mahmoud Darwich, mettais au monde les vers du paradoxe: je suis une victime qui porte conseil au bourreau. Votre guerre est perdue, demain au plus tard… Vous y êtes. Nous y sommes. Depuis 48 au moins. Nous sommes les Arabes de 48. Nous le resterons.

Arabes, comme la langue. Fils d’Ismaël. Ismaël fils d’Abraham. Abraham père d’Isaak... Arabe comme la langue. Dans la langue. Arabe de sang et de poésie. Vous connaissez la poésie arabe. Certainement. C’est l’essentiel. Tout en dépend, l’histoire, la religion. «Nous avons besoin de cette prose divine afin que triomphe le prophète», écrit le poète de Galilée.

La poésie arabe est le premier acte de culture; les rimes du désert, véritable nécessité à ponctuer le sable. Couchez en l’air, sous une tente si vous voulez, vivez de dattes et de lait, ce qui vous tombe sous la main... Mais ne composez pas n’importe quel vers, s’il vous plaît, suivez la rime, les modes. C’est simple. Vous seriez arabe, vous le sauriez. Cela est dans le sang. Cela est votre sang. Un poème.

Quand on a le désert, on ne peut qu’avoir la poésie. Tout l’univers à jeter dedans. Quand on a le désert, on invite tout le monde. C’est une question d’espace. C’est cela être arabe: un poète généreux. C’est cela Mahmoud Darwich: un poète, le cœur gros comme ça.

«Je ne connais pas le désert/ Mais j’ai poussé mots sur ses flancs/ Les mots ont parlé et je suis parti/ Je n’ai gardé que la cadence, que j’écoute et j’observe... ».

Ces vers de Darwich résument. La poésie arabe est antérieure à sa conception, elle s’impose aux mots, elle est évidente : les mots ont parlé a-t-il dit...

Mais Mahmoud, insiste. «Je suis arabe, inscris/ Inscris!
Je suis Arabe
Le numéro de ma carte : cinquante mille
Nombre d’enfants : huit
Et le neuvième... arrivera après l’été ! Et te voilà furieux!

La condition arabe, impossible dans les territoires, trouve sa réalisation dans les vers et dans leur étendue toute saharienne. A perte de vue et de réel. Ne viennent-ils pas du sable? Un sable mouvant et sec qui gave la bouche de l’occupant. La Palestine occupée? On voit bien, mais la terre appartient à ses poètes, les chars n’en ont pas idée, souvenir, les chars sont contre la terre, ils cassent tout et n’écrivent rien, ils n’ont pas le sens du rythme, comme Mahmoud. La terre appartient à son poète, comme la Palestine à Darwich. Une terre arabe : un poème généreux. Alors «inscris», je suis Arabe. Fils d’Ismaël. Ismaël fils d’Abraham. Abraham, père d’Isaak.

Néanmoins le poète arabe souffre suffisamment pour être dupe d’un poème. Une terre. Un combat. Il doute, avec beaucoup de certitude, de sa destinée. De l’immanence de la poésie. Du doute comme défense poétique contre l’ennui. Car Darwich croit en la faculté humaine de l’ennui «moteur du changement», nuance-t-il. Et il s’ennuyait de tout, lui même en premier:

Qui suis-je pour vous dire
ce que je vous dis?
J’aurais pu ne pas être moi
j’aurais pu ne pas être ici...

L’avion aurait pu s’écraser
un matin
J’ai la chance d’être un lève-tard
j’ai raté l’avion
J’aurais pu ne pas connaître Damas, le Caire,
le Louvre ou les villes enchanteresses
/.../

J’ai la chance de dormir seul
de pouvoir écouter mon corps
de croire que j’ai le don de découvrir la douleur
et d’appeler le médecin, dix minutes avant la mort
Dix minutes suffisent pour vivre par hasard
pour décevoir le néant

Qui suis-je pour décevoir le néant ?
Qui suis-je ? Qui suis-je ?

Ce poète arabe généreux, qui n’était pas simplement un poète arabe généreux mais aussi le fils d’Ismaël, ennuyé-pour-changer, avait offert aux femmes son amour et son absence. Donc tout son amour. Il ne voulait pas s’en ennuyer. L’air éternellement hébété, une mèche flottante cachant un front pourpre comme aux premières galanteries pubères. Il leur dédiait ses poèmes. A l’une d’elle, sa maman, il s’était même promis. Aucune autre ne partagera sa vie, toute sa vie. Sa mère qui ne l’aura pris dans ses bras que quatre coups depuis son départ à l’université, là-bas à Moscou. «Je languis du pain de ma mère / du café de ma mère / du toucher de ma mère». Une mère «empêchée» de son petit Ismaël... Petit-fils d’Abraham, Abraham Père d’Isaak...