Dr Salem Benammar écrit – Les vrais enjeux de la nouvelle constitution tunisienne réside dans la capacité des constituants à rester en cohérence avec l’esprit laïque et solidaire de la révolution des indignés.


La Tunisie est tiraillée entre deux courants de pensée et de projets politiques antinomiques. L’un moderne et républicain, l’autre nostalgique, régressif et réactionnaire. L’un est ouvert sur le monde et l’autre cherche à atteler le pays aux wagons du wahhabisme saoudien en instrumentalisant le modèle turc, utilisé comme une vitrine pour une propagande fondamentaliste.

Une constitution fondée sur le droit positif

En effet, la Tunisie ne joue pas que son avenir politique dans les mois à venir ; elle joue surtout de son avenir en tant que nation moderne dotée d’institutions républicaines. Une lourde hypothèque semble peser sur son avenir sociétal, humain et civilisationel. Les symptômes constatés indiquent que le pays est le théâtre, tant redouté, de chocs de cultures. Toutes les incertitudes, les peurs et angoisses, les remous et convulsions de caractère religieux laissent planer de sérieuses craintes sur le choix du modèle d’institutions politiques et juridiques dont le pays devra se doter pour être en cohérence avec l’esprit laïc de sa révolution.

En tout état de cause, il faut absolument une constitution fondée sur le droit positif et non sur le droit naturel, véritable chimère, ou droit coutumier d’essence prétendument divine, et donc immuable, intemporel et omniscient, source d’abus et d’arbitraire en tout genre. Le pouvoir de légiférer est aux hommes et non à Dieu avec l’impérieuse nécessité de réaffirmer la prévalence des sources de lois des assemblées humaines sur celles d’origine divine qui sont par nature obscures, ambigües, confuses, inapplicables, inadaptables aux exigences du monde contemporain.

Les hommes doivent rester maitres de leur destin politique en application même de la liberté accordée aux hommes par le Coran.
Au prétexte de la supposée identité arabo-musulmane de la Tunisie, on occulte une histoire pluri-millénaire et qui fait fi de l’esprit de la révolution du 14 janvier 2011. Il faut que, par son préambule et par son contenu, la Constitution tunisienne doit rester en cohérence avec cet esprit laïque et solidaire et ce vent de liberté incarnés par la révolution des indignés.

La Tunisie est la terre d’Hannibal, de Saint-Augustin et d’Ibn Khaldoun, pour ne citer que ses enfants les plus illustres, et de tous ces hommes et femmes berbères qui ont fait sa gloire et qui ne sont pas tous issus tous d’une pensée religieuse. Le sang tunisien a été versé pour l’édification d’une nouvelle Tunisie, digne héritière de Carthage, dotée d’un modèle de constitution de caractère mixte et équilibré, remarquable, incluant le peuple à l’antipode de celui que souhaiteraient pour la Tunisie les forces intégristes inféodées aux wahhabisme saoudien, où le pouvoir absolu revient à Dieu, tel qu’ils se donnent (à tort et par apostasie) d’interpréter : véritable hérésie et ineptie juridique. Comment peut-on conférer à un système de croyances reposant sur des lois morales une validité juridique absolue ne souffrant aucune contestation au nom du sacré?

Des mécanismes juridiques protecteurs inébranlables
La pérennité des institutions futures de la Tunisie, la séparation des pouvoirs, le caractère laïc de ses codes juridiques, l’inviolabilité de son territoire physique, ses structures sociales et humaines, son avenir politique, sa souveraineté nationale, le statut juridique de ses citoyens, le statut de la femme, sa vocation régionale et mondiale, doivent faire l’objet plus que jamais de mécanismes juridiques protecteurs inébranlables.

La Tunisie perdra son âme et ses acquis si elle ne se prémunit pas contre l’utopie du mouvement islamiste. Car les lois morales de ce mouvement constitueront un ordre juridique au détriment des lois humaines et républicaines qui sont le seul mode d’expression des libertés démocratiques et respectueuses du droit à la différence et de toutes les formes de libertés, qui doivent aussi fonctionner comme soupape de sécurité contre l’hégémonisme de la religion sur la société tunisienne. Une constitution capable de définir un rôle à la religion, par définition envahissante, et la cantonner dans son rôle de catharsis.

Il faudrait aussi rappeler que la Tunisie n’est pas un dominion exclusivement arabo-musulman et faire aussi référence à son patrimoine et son héritage non musulman.

Il faudrait que la nouvelle constitution soit l’expression de l’âme tunisienne et non une simple réaffirmation de son identité arabo-musulmane. Cette vision ethnocentriste et réductrice de la Tunisie ne doit pas hypothéquer l’avenir du pays.