Maâtallah Gleya* écrit – Le but de la révolution du 14 janvier est de sauvegarder les acquis de la république et d’inscrire la nouvelle constitution dans une société démocratique, où le fanatisme n’a pas de place.
«Ils n’iront pas loin, le peuple ne les suivra pas! La femme tunisienne est trop attachée à ses acquis pour se laisser faire, la majorité est pour un Etat démocratique moderniste et nul moyen de revenir en arrière…»
Un débat rétrograde et stérile
Telle était l’évaluation globale de l’influence des islamistes que tout le monde croyait incapables de modifier le paysage social du pays. En fait, il n’en est rien et nous voilà aller de jour en jour vers une autre dictature redoutable pour tout ce qu’elle propose dans cette transition qui dure et peine: au grand désordre, s’ajoutent un fiasco idéologique, un débat rétrograde et stérile sur des sujets qu’on croyait avoir dépassé, depuis des décennies! Qui est musulman? Qui l’est moins? Quel avenir pour la femme? Quel modèle de société dans un pays où la femme émancipée d’hier doit revenir au foyer et accepter la polygamie?…
Il est tout de même aberrant que les choses aient changé aussi dans ce sens depuis le 14 janvier, à notre grande défaveur ! Et, nous qui devrions avancer dans la lutte pour les droits de l’homme, la justice sociale, les valeurs universelles dignes d’une démocratie du XXI, nous voilà entrainés dans un débat d’un autre temps: la polygamie, la fermeture des restaurants pendant le ramadan, l’interdiction des plages… Où sommes- nous? Pourquoi en quelques mois les islamistes font la loi dans le pays et dans l’impunité? Ce n’est pas seulement une question de «terrain libre», c’est plus complexe !
Pour un islam de fraternité, de tolérance et de liberté
Il est bon de revenir sur certains points, quoique ma conviction profonde soit que le sujet véritable de ces derniers mois avant les élections est loin d’être celui-là !
Qui des Tunisiens ne se sent pas musulman de culture, de tradition? Un Islam simple et accessible à tous, par ses valeurs de fraternité, de tolérance et de liberté de foi, sans la moindre contrainte! Le Tunisien trouvait facilement ses références dans le Coran et n’avait nul besoin d’intermédiaire entre lui et son Dieu. La religion pouvait se limiter pour la majorité à un besoin de spiritualité, sans pour autant se sentir moins fidèle… Mais voilà que la population est confrontée à un nouvel islam inquiétant, dans lequel elle ne se retrouve guère! Par ces fanatiques qui, voulant imposer leur idéologie, sèment la terreur et la division partout où ils vont.
Sur les plateaux de télé, dans les journaux, une plus grande place est faite à un discours rétrograde, provocateur, qui, quelques mois plus tôt n’aurait pas eu lieu. Rached Ghannouchi a même osé dire dans une interview que «les islamistes sont les premiers habitants du pays et les laïcs des parvenus.» (‘‘Réalités’’ du vendredi 5 août 2011). Et de la polygamie aux interdictions qui bloquent la vie, on n’en finit guère! Le plus incompréhensible, c’est l’attitude de ces intellectuels, juristes, hommes de savoir… qui, au lieu de pousser vers une attitude moderniste, reculent avec le courant obscurantiste pour poser, dans le pays de la parité, le problème de la polygamie!
Les déclarations de Samir Dilou ne doivent engager que sa personne! Dans un pays où parents et grands-parents sont naturellement monogames, voilà que la génération de la Révolution va admettre la polygamie, la femme au foyer, le niqab et qui sait encore? En Islam, me semble-t-il, le Coran est clair: «Si vous craignez de ne pas être juste, et vous le serez guère même en y tenant, prenez- en une seule.»
En plus, la faisabilité, y a-t-on pensé? Est que l’homme tunisien est capable d’entretenir deux femmes, deux familles (ou plus)? A-t-on tenu compte du coût de la vie? De l’éducation des enfants? Des logements parce qu’il en faut un pour chaque femme, non? A ceci, il faudrait ajouter que ce seraient deux femmes diplômées mais au foyer!
Ne pas laisser faire, ne pas céder!
Libérés de l’oppression qui avait sévi contre eux du temps de Ben Ali, ils se croient, après le 14 janvier, les seuls maitres de la situation, sinon les prioritaires: ils font la loi, dans tous les domaines, en exploitant la fragilité du gouvernement provisoire et la crise sociale et économique. Ils exploitent la misère des jeunes pour des mariages collectifs, celle des familles nécessiteuses avec des couffins de vivres, des aides financières… Pire encore, les actes de barbarie contre les restaurants, les cafés... Ce qui s est passé à Jendouba ne doit pas rester dans l’impunité! Il est inadmissible que les biens des gens soient saccagés, incendiés au nom de la religion! Il suffisait d’un takbir pour que les plus réticents se joignent au mouvement de violence! Est-ce bien ça l’Islam? Qui va rembourser les propriétaires par ces temps de crise? Où étaient les forces de sécurité pendant ces opérations de vandalisme? Les terrasses des cafés de l’Avenue vides, les chaises entassées et enchaînées de peur que le saccage les gagne! Les touristes se promènent avec des bouteilles d’eau…
Le devoir est de ne pas laisser faire, de ne pas céder! Le but de toute révolution est d’aller vers le meilleur. La révolution du 14 janvier 2011 ne doit pas déroger à la règle et les forces démocratiques du pays sont appelées à sauvegarder les acquis de la République et à inscrire la nouvelle constitution dans une société démocratique, respectueuse des valeurs universelles ou le fanatisme n’a pas de place.
* - Universitaire.