Faïk Henablia* écrit – Les fondamentalistes ne sont modérés que lorsqu’ils sont dans l’opposition et il n’existe aucun exemple de parti fondamentaliste ayant quitté pacifiquement le pouvoir à la suite d’élections.
La persistance de débats que l’on croyait d’un autre âge, 56 ans après l’indépendance, l’enhardissement voire le passage à l’action violente de groupes réclamant de plus en plus ouvertement le passage à une théocratie basée sue la charia, ont de quoi inquiéter. Tout cela augure de la question centrale qui sera posée le 23 octobre et dont la réponse dépendra des résultats des élections, à savoir celle du choix entre modernisme et obscurantisme, entre liberté et censure religieuse.
Si l’action des groupes salafistes a le mérite de la clarté et de la visibilité et constitue de ce point de vue un danger tout relatif tant son outrance est choquante, le vrai danger provient d’Ennahdha, car, au-delà du flou savamment entretenu par ce mouvement concernant son programme et ses objectifs véritables, sans doute pour ne pas effrayer les électeurs, tout parti islamiste a un agenda, à savoir l’instauration de la charia et une méthode pour y parvenir, à savoir le chantage intellectuel à l’apostasie. Sinon pourquoi se qualifier d’islamiste?
Un agenda
L’ampleur de l’application de la Charia dépendra certes du degré d’intégrisme du mouvement fondamentaliste au pouvoir. Mais il y aura dans le meilleur des cas un minimum «syndical». L’éventail des dispositions les plus spectaculaires de la charia est édifiant et va de la simple obligation faite aux femmes de porter le voile (Arabie saoudite et Iran), à leur réclusion pure et simple (Afghanistan), en passant par toute une gamme de prescriptions dont l’obscurantisme le dispute au conservatisme, polygamie, répudiation, châtiment de l’adultère, flagellation publique et autres châtiments corporels, la liste est longue. Notre propre constitution n’est d’ailleurs pas parvenue à s’en affranchir totalement et en comporte toujours certaines dispositions, notamment en matière d’héritage.
Lorsqu’il s’agit de charia, aucune discussion n’est acceptée. C’est la loi divine, un point c’est tout et l’on s’assurera de son application par Moutawwiouns, ou milices équivalentes, interposées. Discuter relèverait en effet de l’apostasie et ne saurait être toléré.
C’est pour ne pas effrayer des électeurs potentiels, dont on veut exploiter la naïveté, que ce parti entretient un flou volontaire sur son programme et se réfugie derrière des slogans creux, tels que la recherche du consensus. Cependant, le naturel revenant de temps en temps au galop, il ne peut s’empêcher de se démasquer à l’occasion de telle ou tells déclaration concernant la femme au foyer par exemple, ou en dénonçant au même titre que la violence dont ils sont victimes, l’attitude de ceux qui mangent en public pendant Ramadan.
L’application de la Charia est par conséquent bel est bien l’objectif de ce parti.
Une méthode
Lors de la bataille de Sifin en 657, les troupes de Mouawiya, sous l’impulsion de Amr Ibn Al As, imaginèrent une ruse consistant à accrocher des Corans au bout de leurs lances ce qui leur évita sans doute la défaite, puisque l’armée d’Ali, manifestement impressionnée, tomba dans le panneau et n’osa livrer bataille. Tout le monde connaît la suite !
Les islamistes d’aujourd’hui utilisent le même stratagème, à savoir un chantage intellectuel à l’apostasie: ils brandissent la religion au bout de leurs armes politiques.
Qui donc oserait remettre en question la volonté de Dieu? Ceci est particulièrement criant à l’heure actuelle à l’occasion du débat relatif à l’égalité hommes/femmes en matière d’héritage. Le texte coranique est clair, nous dit-on, afin de clore tout débat.
Il est malheureux de constater que bon nombre de nos compatriotes tombent dans le panneau, de peur d’être taxés de mauvais musulmans.
«Avez-vous honte d’être musulmans»? Que ne nous a-t-on pas rebattu les oreilles avec cet argument en forme d’accusation !
Il ne faut pas se laisser intimider par ce chantage ni hésiter à répondre sans complexe, car la réponse est claire.
Nul n’a, en effet, été mandaté pour nous dicter notre conduite et nous dénions à quiconque la prétention de s’arroger cette prérogative. La foi est une affaire personnelle, relevant de la sphère individuelle. Elle n’intéresse pas la collectivité ou l’Etat. Nos droits et devoirs ne découlent pas de notre foi, mais de notre qualité de citoyens.
D’autres se font piéger en prêtant le flanc à la discussion sur le point de savoir si Dieu a bien dit ceci ou a bien voulu dire cela. Pourtant, là n’est pas le problème.
Un texte religieux ne peut servir de loi ou de constitution, à moins d’instaurer une théocratie à l’iranienne. Une démocratie moderne est régie par la loi des femmes et des hommes, légalement élus et mandatés. Nous ne sommes plus à l’époque de l’inquisition.
Quant à loi de Dieu, nous aurons l’éternité pour nous y soumettre, sans censeurs.
En votant le 23 octobre, souvenons-nous de deux choses. D’une part que les fondamentalistes ne sont modérés que lorsqu’ils sont dans l’opposition. D’autre part qu’il n’existe aucun exemple de parti fondamentaliste ayant quitté pacifiquement le pouvoir à la suite d’élections.
Si d’aventure nous nous mettions dans une telle situation, à quoi donc aurait servi notre révolution?
* Gérant de portefeuille associé.