Oussema Trigui écrit – L’islam politique est un contresens, car chaque musulman est obligé par sa religion même d’être un véritable citoyen.


Depuis le 14 janvier dernier, un mot en Tunisie est utilisé de manière récurrente: islamiste. Ce mot fait partie d’un corpus utilisé par les médias francophones durant les années 1990 (puis davantage depuis 2001) pour décrire les caractères et les pratiques extrêmes d’individus qui se déclarent musulmans et plus généralement ce qui est décrit comme «l’islam politique».

 

Aux sources des «mouvements islamistes»
Un islamiste est par définition un adepte de l’islamisme, mot formé par le suffixe - isme qui est utilisé pour décrire une doctrine, un dogme, une idéologie ou une théorie. Par exemple, le communisme, le libéralisme, l’hédonisme, le darwinisme, le révisionnisme, le sionisme, etc. En particulier les noms de religions sont formés sur ce modèle: le christianisme, le judaïsme, le bouddhisme, l’hindouisme, le shintoïsme, etc.
D’après cette règle, l’islamisme serait donc la doctrine ou plutôt le dogme – puisqu’il s’agit du domaine religieux – de la religion musulmane appelée aujourd’hui l’islam.
Apparemment ce fût le cas jusqu’à l’apparition dans les pays arabo-musulmans en quête d’indépendance, de mouvements sociaux et politiques qui avaient construit leur projet en se basant sur des sources du dogme musulman. Dès lors il fallait décrire ces mouvements très divers dans leur manière de voir le monde. On les a désignés comme faisant de l’islam politique, cela a donné naissance aux «mouvements islamistes».
Ainsi d’un mot qui décrivait le dogme de la religion musulmane et représentait donc des valeurs, une éthique et des pratiques, nous sommes passés à un mot qui décrivait une philosophie indépendantiste qui voulait s’affranchir des puissances coloniales au nom des valeurs prônées par la religion musulmane, puis enfin à un mot qui décrit aujourd’hui une pensée manipulatrice des foules, aux idées extrêmes, arriérées et criminelles.

L’utilisation des mots font leur signification
Aujourd’hui en Tunisie, un pays de tradition arabo-musulmane depuis quelques siècles, on utilise le mot islamiste comme l’utiliserait un journal télévisé du 20 heures, comme un mot qui sert à décrire des actes terribles ou des idéologies extrêmes et condamnables, alors qu’il contient le nom de notre religion.
Islamisme serait donc un mot détourné de son sens originel pour diverses raisons et c’est en cela qu’il devrait être utilisé de manière intelligente. Aux non-spécialistes, islamisme et islam sont des mots très proches, ainsi ce qu’on présente comme des actes d’islamisme sont souvent confondus avec des actes d’islam. Un islamiste adepte de l’islamisme, ne devrait pas faire peur pour la simple raison qu’il contient le mot islam, synonyme de paix, de justice et de soumission paisible volontaire au divin. L’utilisation des mots font leur signification. C’est donc aux musulmans francophones de stopper l’utilisation d’un mot tendancieux de manière irréfléchie. Afin de décrire des actes odieux, des idéologies arriérées, utilisons des mots négatifs et non pas un mot qui nous rappelle à la religion musulmane qui est une très belle religion.
Voilà en ce qui concerne le sens extrême attribué à islamisme. Essayons maintenant de traiter le sens d’islam politique donné à l’islamisme. Plusieurs questions peuvent alors être soulevées: comment décrire l’islam politique qui fait tant peur à tout le monde? Et d’abord qu’est ce que c’est l’islam politique? Est-ce que cela est vraiment si antinomique?
Ce que j’ai appris sur les bancs d’une grande école parisienne, c’est que la politique est un domaine qui est propre aux sociétés humaines. A chaque fois que des hommes se regroupent et forment une communauté, des conflits émergent car certains de leurs intérêts sont contradictoires. Ainsi toute société d’hommes a des conflits à résoudre et ne peut survivre que si elle réussit à dépasser ces intérêts opposés. C’est alors qu’intervient la politique, afin de faire en sorte que les hommes, malgré leurs différences, puissent coexister et réaliser des tâches ensemble.

La politique est une discipline intrinsèque à l’Islam
En l’an 622 de l’ère chrétienne, l’histoire a été témoin d’une manifestation concrète de cette «politique» créatrice d’une société humaine: l’édification par le prophète Mohamed de la «constitution» de la ville de Médine (anciennement Yathrib).
Immigré dans une terre qui lui était inconnue, le dernier des prophètes qui a appelé les hommes à l’islam s’est tout de suite mis à rédiger le texte qui allait établir une société fascinante, berceau de la civilisation arabo-musulmane et inspiration pour certaines époques, des sociétés à Bagdad puis à Al Andalous.
Nous voyons là une situation inédite dans l’histoire: un message de nature religieuse est devenu un message social, économique, militaire, culturel et le prophète a alors montré que l’islam n’était pas seulement un culte, une religion mais une véritable leçon de vie.
Après avoir découvert cela, je me suis alors demandé, mais comment un musulman peut parler d’islam politique? La politique au sens propre et comme discipline est intrinsèque à l’Islam, il s’agit de construire une société basée sur des valeurs, des principes, des relations sociales inspirés de ce qui a été révélé au prophète dans le Coran et de l’exemplarité du prophète à travers ses actes et ses dires.
Cela étant dit, la politique définie comme profession n’est pas intrinsèquement liée à l’islam. Ici je sépare bien la définition de la politique comme «science» sociale et la politique comme profession ou discipline d’orientation idéologique que l’on appelle la politique politicienne.
C’est bien de cela qu’il s’agit lorsqu’on discute l’islamisme. Ainsi lorsque dans certains pays, les pouvoirs utilisent les milieux religieux pour légitimer des actions ou asseoir une autorité extratemporelle, les valeurs de base de l’islam sont bafouées. Nous devons effectivement être vigilants face à cela et extrêmement critique face à une telle instrumentalisation.
Aujourd’hui, à ma connaissance, une telle instrumentalisation n’existe pas en Tunisie.

Mettre tout le monde dans un même sac
Lorsque dans une mosquée, un imam prêche pour que les fidèles choisissent leurs représentants par leurs valeurs, leur éthique et que la pratique de l’islam est «théoriquement» garante de ces valeurs, il n’y a aucune instrumentalisation. L’imam transmet alors un message digne de l’islam: religieux et politique.
Toutefois des dérives minoritaires existent et certains discours sont choquants et loin d’être dignes de la «religion du milieu». Mais ces dérives ne sont pas l’œuvre d’islamistes, ces dérives sont l’œuvre de personnes extrémistes qui se réclament de la religion musulmane. Mettre tout le monde dans un même sac que l’on ne définit pas clairement et qui salit en même temps la religion musulmane, n’aide ni à la compréhension de la réalité, ni le combat des idées qui sont inacceptables.
Selon moi, le terme d’islamiste est donc malheureusement utilisé de manière à tromper les non musulmans sur la véritable religion musulmane et tromper les musulmans en cherchant à les convaincre que la politique ne doit pas être un de leur souci.
Dans un pays comme la Tunisie, n’utilisons plus des mots dignes d’un fauteur de troubles, utilisons les mots qui sont clairs, utiles et sans équivoque. Quant à l’islam politique qui est un contresens, il faut comprendre que chaque musulman est obligé par sa religion même d’être un véritable citoyen.
En conclusion, il faut accepter que l’islam est beaucoup plus qu’une religion et comprendre que sa civilisation s’est construite grâce à cela, mais dans le même temps il faut reconnaitre que cela a rendu parfois difficile le combat contre l’instrumentalisation, qu’il s’agit de ne jamais accepter.
L’islamiste est finalement un musulman quelconque qui, par ses actes de la vie quotidienne, veut construire une société juste et harmonieuse. Il peut aussi s’engager davantage et proposer à ses pairs un projet politique (social, économique, culturel, etc.) et ensuite assumer le choix de ses concitoyens. En somme, cet exemple illustre qu’il faut du travail sur soi, de la remise en question, de la vigilance mais aussi et surtout de l’écoute et de la compréhension de l’autre.
Que la paix soit sur nous tous et que Dieu nous aide à écrire l’histoire.