Nabil Labidi* écrit – Après, le 14 janvier, date de la première révolution postislamique, pourquoi devrait-on continuer à tolérer ces figures barbues qui osent parler en notre nom?


C’est à notre cauchemar à nous tous, Arabes et Musulmans, que nous invitera, dans deux semaines, et encore une fois, la 10e commémoration du 11 septembre 2001. C’est une date qui symbolise, pour certains, l’aboutissement, dans son expression la plus tragique et cruelle, de la théorie de Samuel Huntington du «Clash of civilisations», dans un contexte de «Fin de l’Histoire », décrit dans un premier temps par Francis Fukuyama en relation avec la chute du bloc de l’Est, puis repris et retouché par ce même auteur, après la tournure du 11 septembre.

Les plaies du monde arabe et musulman
Quant à Edward Said, il a pu, avant de s’éteindre, répondre à des théoriciens venimeux comme Bernard Lewis et au cortège des néoconservateurs qui ont instigué la nouvelle croisade ayant fait suite à l’attaque au World Trade Center, en insistant sur le choc des ignorances plutôt que sur celui des civilisations.
Les plaies du monde arabe et musulman sont nombreuses, certaines sont encore ouvertes, d’autres mal cicatrisées, d’autres se sont transformées en abcès plus ou moins fistulisés.
Il y en a pour tous les goûts et toutes les couleurs :
- le conflit éternel au Moyen-Orient, les agendas stratégiques, politiques et économiques de certaines puissances régionales (Pakistan, Iran...) ;
- l’avidité des économies occidentales, et à leur tête celle des Etats-Unis, en réserves énergétiques combiné aux intérêts égoïstes des bédouins qui règnent sans partage sur ces réserves ;
- l’affront colonial subi par le monde arabe et musulman et l’esprit de revanche qui l’anime déjà depuis l’époque des croisades ;
- l’immense filon constitué par la sensation de grande frustration qui habite bon nombre de Musulmans, dépités à la seule prise de conscience du fait qu’ils ont été laissés en marge de la marche de la civilisation moderne.
Chez les rentiers du pétrole, l’esprit revanchard granulomateux bédouin a donné  naissance, à Dubaï, à une tour frôlant le millier de mètres, comme pour nous rappeler combien certains seraient tentés et prêts à payer en espèces n’importe quel prix pour s’auréoler des symboles d’une civilisation, à laquelle ils prennent part en commensaux étrangers, insatiables et gourmands!
C'est dans ce contexte que florissaient le commerce et le monopole du verbe-bistouri manié à loisir par les pourfendeurs autoproclamés de l’Occident impie et arrogant ...
Mais, maintenant ?

La citoyenneté au lieu de la sujétion
Après, le 14 janvier, date de la première révolution postislamique de l’Histoire; après ces révolutions arabes qui commencent à déboulonner en série les despotes et les tyrans qui maintenaient sous une chape de plomb le droit à la liberté d’expression du citoyen arabe; après la réappropriation par l’individu arabe de son droit à la citoyenneté au lieu de la sujétion, à laquelle il était soumis, pourquoi devrait-on continuer à tolérer ces figures barbues qui osent parler en notre nom?
Pourquoi cette recherche des icônes, des prédicateurs? Ici même en Italie, j'ai entendu parler d'un prédicateur venu de l’Arabie Saoudite, pour le mois du ramadan, sur invitation de nos immigrés maghrébins, à Padoue! Pourquoi?!
L’étendard noir, avec lequel certains ont voulu substituer notre drapeau national à Menzel Jemil, n’est pas un geste anodin; il doit nous inviter à réfléchir à notre vision et notre conception de la religiosité et à avoir le courage d'en débattre en toute sérénité.
La constituante en est l’occasion, car je crois fermement qu’elle peut asseoir le projet de société que l’on veut pour nos enfants et pour les générations à venir, pour ne pas les condamner à demeurer coincés dans la frustration et la rancune, des laissés pour compte de la civilisation.

Ne pas rater de nouveau le train de l’Histoire
À Padoue sur la rue Giotto, en plein centre-ville, il y a un monument, érigé à la mémoire des évènements tragiques du 11 septembre 2001. C’est une espèce de grande livre tout en verre, haut comme un immeuble de 4 étages et ouvert sur une page, où il y a une «relique» du World Trade Center (une grande travée de fer brûlée et tordue par l’incendie et l’effondrement du gratte-ciel)!
Cette commémoration devrait, cette fois, en post révolution et en période préélectorale de la constituante, nous amener à opérer un choix, le bon, pour ne pas rester embaumés sur une page figée de l’Histoire, comme cette relique, sur ce grand livre à Padoue!
Le bon choix est celui de ne pas nous fixer dans les discours identitaires et religieux stériles et improductifs, mais au contraire de chercher la troisième voie, celle qui nous épargnerait l’humiliation et la vergogne de rater encore, une fois de trop, le train de l’Histoire!
Un train perdu en 1492, et que certains prétendent en mesure de pouvoir reprendre, sans s’être débarrassés des vrais fondements de la décadence, ne faisant qu’accentuer l’éternel retour aux querelles irrésolues du passé!

* Tunisien résident à Padoue, en Italie.