Abderrazak Lejri* - Trois grandes réformes doivent être lancées dans l’urgence: rétablissement de la sous-traitance, révision de la fiscalité et refonte totale de l’éducation.


Ni le gouvernement provisoire, qui s’exonère par l’illégitimité de sa position, ni les 105 partis créés après la révolution n’ont élaboré un programme consistant et chiffré des réformes économiques si ce n’est une feuille de route par-ci ou des propositions fantaisistes par-là avec des chiffres tirés du chapeau.
Peu de partis – ces derniers étant davantage accaparés par des querelles d’ego et des considérations électoralistes – ont présenté des programmes de réformes économiques, et quand ils l’ont fait ils les ont élaborés sur la base d’hypothèses caduques ou sans chiffrage argumenté.

Le rétablissement de la sous-traitance
Dans la précipitation des contestations après la révolution du 14 Janvier, d’énormes erreurs ont été commises notamment d’ordre économique, telle que la suppression du recours à la sous-traitance par l’Etat (imposée sous la pression du syndicat Ugtt), ce qui est un non-sens absolu!
Ceci a occasionné, entre autres, le blocage de l’entité chargée du catering de Tunisair et occasionne toujours le blocage du transport des phosphates sans parler du démantèlement de tout le réseau d’entreprises de services (gardiennage, maintenance, aménagement municipal, etc.)
Quid des grands travaux envisagés pour insuffler une dynamique régionale si, par décret-loi et sous la pression populaire, le recours à la sous-traitance est prohibé empêchant l’éclosion de dizaines de Pme sous prétexte que le clan mafieux Ben Ali-Trabelsi en a dénaturé l’objet pour en faire un mode de prédation par simple intermédiation?
Les partis politiques – occupés à caresser dans le sens du poil l’électorat potentiel – n’ont pas eu le courage de formuler un avis dissonant pour réclamer le rétablissement de la sous-traitance qui est une source d’essaimage de centaines de Pme (en exigeant certes un cahier des charges précis et la transparence des transactions).

Les réformes fiscale et sociale attendues
En matière de réforme fiscale, quel est le parti qui a présenté un programme de réforme détaillé et chiffré de la Tva notamment dans un contexte de transfert régional et de l’impôt sur le revenu quand on sait que pour ce qui concerne ce dernier, les tranches tablent pour la première d’entre elles sur un Smig dépassé depuis longtemps et sur une tranche supérieure caduque?
Au moment où le milliardaire Buffet – dans le haut lieu du capitalisme sauvage qu’est l’Amérique – affirme qu’il ne trouve pas normal de payer seulement 6 millions d’euros d’impôts, on s’attend à ce que les partis loin de tout calcul populiste proposent la création d’une nouvelle tranche d’impôts sur les revenus dépassant les 50.000 dinars annuels.
Qui a soulevé l’indigence de l’impôt municipal (dont la refonte peut générer les ressources suffisantes pour créer des milliers d’emplois de proximité) par rapport à l’impôt sur les revenus? Est-il normal – loin de toute démagogie socialisante – qu’une villa sur un terrain de 700 m2 à El Menzah ou à El Kantaoui ne s’acquitte annuellement que de 189 dinars d’impôt municipal?
En matière de réforme sociale, quid de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) qui traite les deux régimes (fonctionnaires et non) pour des organismes différents et dont la mise en place du système d’information a été rafistolé et bâclé sur la base d’un cahier des charges d’une sous-qualité inqualifiable alors qu’il est internationalement admis que les fraudes et malversations sont souvent la cause de la faillite du système?
Quid de la fusion de la Cnss et la Cnrps qui chacune traite séparément son régime et où pour ne prendre qu’un détail, les allocations familiales sont toujours valorisées sur la base d’une composition caduque de la famille, alors que la grappe familiale s’est réduite à près de deux enfants par couple?
Qui a réclamé la nécessaire révision du seuil de pauvreté qui a été à la base de la constitution il y a plus de dix ans (sous l’égide du ministère des Affaires sociales) de la base de données servant à identifier l’extrême pauvreté de certaines franges de populations pour en planifier l’éradication?

La nécessaire réforme de l’enseignement
Quel est le parti qui a proposé une refondation de l’éducation nationale pour que les élèves et étudiants renouent avec l’effort après la déliquescence des valeurs imprégnant en profondeur la société tunisienne durant 20 ans (thèses plagiées, notes majorées, concours truqués, diplômes achetés selon une mercuriale organisée, et le mérite mis de côté) pour que, dès le jeune âge, la tricherie, la débrouillardise, la couardise, l’impolitesse, le mensonge et les égoïsmes ne soient plus érigés en système?
Sans considération pour le classement de Shanghai, la baisse du niveau de l’enseignement et le déficit en la matière sont tels que beaucoup d’ingénieurs diplômés produits par les écoles tunisiennes n’ont aucune idée de la gestion des projets (qu’ils sont censés faire durant toute leur carrière) et ne maîtrisent pas la documentation de leurs travaux (un ingénieur est d’abord un technicien de haut niveau qui a le recul conceptuel pour rédiger des consignes et des modes opératoires exécutables par la maîtrise).
Ainsi, peu de personnes se sont inquiétées du fait que l’Ecole nationale d’architecture et d’urbanisme (Enau) produit beaucoup d’architectes qui ne maitrisent pas le b.a.-ba des normes conventionnelles de représentation et les notions basiques (échelle, coupe, élévation, etc.), et où l’on monnaye l’obtention de son diplôme.
La dégradation déontologique de cette profession sinistrée où le conseil de l’ordre corrompu n’a pas brillé par son indépendance et où la majorité des concours sont truqués pour être attribués en tant que situation de rente à quelques affidés du palais, expliquent la laideur de nos paysages urbains et l’existence d’une faillite urbanistique dont un des exemples patents est le quartier Ennasr de Tunis.
Il est vrai que la mondialisation de l’éclosion des nouveaux médias (qui n’est pas propre à la Tunisie) a petit-à-petit rogné la civilisation de l’écrit (un enseignant du supérieur a effectué un sondage personnel qui a fait ressortir que 80% des étudiants n’ont lu aucun livre en dehors des supports de cours, une année durant), les étudiants croyant qu’il suffit pour élaborer leurs mémoires et thèses de recourir au plagiat autorisé par l’accès à Internet et au copier-coller ce qui en fait des illettrés en puissance.
Et surtout que l’on s’abstienne autant que possible de prendre modèle sur les exigences de l’Ocde et sur ses «évaluations Pisa»: une toute autre voie qui nous est propre et qui doit renouer avec l’effort tout en adossant les filières universitaires et professionnelles au marché du travail reste à trouver. Nous en sommes capables.

* Pdg du Groupement Informatique, membre de la Ligue tunisienne pour la citoyenneté (Ltc).

Source : Blog de l’auteur.

Tunisie. L’indigence des programmes économiques des partis

Abderrazak Lejri* - Trois grandes réformes doivent être lancées dans l’urgence: rétablissement de la sous-traitance, révision de la fiscalité et refonte totale de l’éducation.

Ni le gouvernement provisoire, qui s’exonère par l’illégitimité de sa position, ni les 105 partis créés après la révolution n’ont élaboré un programme consistant et chiffré des réformes économiques si ce n’est une feuille de route par-ci ou des propositions fantaisistes par-là avec des chiffres tirés du chapeau.

Peu de partis – ces derniers étant davantage accaparés par des querelles d’ego et des considérations électoralistes – ont présenté des programmes de réformes économiques, et quand ils l’ont fait ils les ont élaborés sur la base d’hypothèses caduques ou sans chiffrage argumenté.

Le rétablissement de la sous-traitance

Dans la précipitation des contestations après la révolution du 14 Janvier, d’énormes erreurs ont été commises notamment d’ordre économique, telle que la suppression du recours à la sous-traitance par l’Etat (imposée sous la pression du syndicat Ugtt), ce qui est un non-sens absolu!

Ceci a occasionné, entre autres, le blocage de l’entité chargée du catering de Tunisair et occasionne toujours le blocage du transport des phosphates sans parler du démantèlement de tout le réseau d’entreprises de services (gardiennage, maintenance, aménagement municipal, etc.)

Quid des grands travaux envisagés pour insuffler une dynamique régionale si, par décret-loi et sous la pression populaire, le recours à la sous-traitance est prohibé empêchant l’éclosion de dizaines de Pme sous prétexte que le clan mafieux Ben Ali-Trabelsi en a dénaturé l’objet pour en faire un mode de prédation par simple intermédiation?

Les partis politiques – occupés à caresser dans le sens du poil l’électorat potentiel – n’ont pas eu le courage de formuler un avis dissonant pour réclamer le rétablissement de la sous-traitance qui est une source d’essaimage de centaines de Pme (en exigeant certes un cahier des charges précis et la transparence des transactions).

Les réformes fiscale et sociale attendues

En matière de réforme fiscale, quel est le parti qui a présenté un programme de réforme détaillé et chiffré de la Tva notamment dans un contexte de transfert régional et de l’impôt sur le revenu quand on sait que pour ce qui concerne ce dernier, les tranches tablent pour la première d’entre elles sur un Smig dépassé depuis longtemps et sur une tranche supérieure caduque?

Au moment où le milliardaire Buffet – dans le haut lieu du capitalisme sauvage qu’est l’Amérique – affirme qu’il ne trouve pas normal de payer seulement 6 millions d’euros d’impôts, on s’attend à ce que les partis loin de tout calcul populiste proposent la création d’une nouvelle tranche d’impôts sur les revenus dépassant les 50.000 dinars annuels.

Qui a soulevé l’indigence de l’impôt municipal (dont la refonte peut générer les ressources suffisantes pour créer des milliers d’emplois de proximité) par rapport à l’impôt sur les revenus? Est-il normal – loin de toute démagogie socialisante – qu’une villa sur un terrain de 700 m2 à El Menzah ou à El Kantaoui ne s’acquitte annuellement que de 189 dinars d’impôt municipal?

En matière de réforme sociale, quid de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) qui traite les deux régimes (fonctionnaires et non) pour des organismes différents et dont la mise en place du système d’information a été rafistolé et bâclé sur la base d’un cahier des charges d’une sous-qualité inqualifiable alors qu’il est internationalement admis que les fraudes et malversations sont souvent la cause de la faillite du système?

Quid de la fusion de la Cnss et la Cnrps qui chacune traite séparément son régime et où pour ne prendre qu’un détail, les allocations familiales sont toujours valorisées sur la base d’une composition caduque de la famille, alors que la grappe familiale s’est réduite à près de deux enfants par couple?

Qui a réclamé la nécessaire révision du seuil de pauvreté qui a été à la base de la constitution il y a plus de dix ans (sous l’égide du ministère des Affaires sociales) de la base de données servant à identifier l’extrême pauvreté de certaines franges de populations pour en planifier l’éradication?

La nécessaire réforme de l’enseignement

Quel est le parti qui a proposé une refondation de l’éducation nationale pour que les élèves et étudiants renouent avec l’effort après la déliquescence des valeurs imprégnant en profondeur la société tunisienne durant 20 ans (thèses plagiées, notes majorées, concours truqués, diplômes achetés selon une mercuriale organisée, et le mérite mis de côté) pour que, dès le jeune âge, la tricherie, la débrouillardise, la couardise, l’impolitesse, le mensonge et les égoïsmes ne soient plus érigés en système?

Sans considération pour le classement de Shanghai, la baisse du niveau de l’enseignement et le déficit en la matière sont tels que beaucoup d’ingénieurs diplômés produits par les écoles tunisiennes n’ont aucune idée de la gestion des projets (qu’ils sont censés faire durant toute leur carrière) et ne maîtrisent pas la documentation de leurs travaux (un ingénieur est d’abord un technicien de haut niveau qui a le recul conceptuel pour rédiger des consignes et des modes opératoires exécutables par la maîtrise).

Ainsi, peu de personnes se sont inquiétées du fait que l’Ecole nationale d’architecture et d’urbanisme (Enau) produit beaucoup d’architectes qui ne maitrisent pas le b.a.-ba des normes conventionnelles de représentation et les notions basiques (échelle, coupe, élévation, etc.), et où l’on monnaye l’obtention de son diplôme.

La dégradation déontologique de cette profession sinistrée où le conseil de l’ordre corrompu n’a pas brillé par son indépendance et où la majorité des concours sont truqués pour être attribués en tant que situation de rente à quelques affidés du palais, expliquent la laideur de nos paysages urbains et l’existence d’une faillite urbanistique dont un des exemples patents est le quartier Ennasr de Tunis.

Il est vrai que la mondialisation de l’éclosion des nouveaux médias (qui n’est pas propre à la Tunisie) a petit-à-petit rogné la civilisation de l’écrit (un enseignant du supérieur a effectué un sondage personnel qui a fait ressortir que 80% des étudiants n’ont lu aucun livre en dehors des supports de cours, une année durant), les étudiants croyant qu’il suffit pour élaborer leurs mémoires et thèses de recourir au plagiat autorisé par l’accès à Internet et au copier-coller ce qui en fait des illettrés en puissance.

Et surtout que l’on s’abstienne autant que possible de prendre modèle sur les exigences de l’Ocde et sur ses «évaluations Pisa»: une toute autre voie qui nous est propre et qui doit renouer avec l’effort tout en adossant les filières universitaires et professionnelles au marché du travail reste à trouver. Nous en sommes capables.

* Pdg du Groupement Informatique, membre de la Ligue tunisienne pour la citoyenneté (Ltc).

Source : Blog de l’auteur http://blogs.mediapart.fr/blog/abderrazak-lejri