Nydhal Elmahfoudhi écrit – La révolution tunisienne a choisi la date de son premier mot. Ce sera le 23 octobre 2011, à l’âge de 11 mois et 9 jours. Un exploit, non?


Certains s’étonnent qu’on puisse écrire ses mémoires avant la cinquantaine. A ceux là je dis que certains jours durent vos mois, que certaines heures vaillent vos décennies et que certaines minutes équivaillent à vos siècles. C’est après avoir cumulé ces jours, ces heures et ces minutes que j’ai décidé d’écrire mes mémoires à l’âge de 7 mois et 11 jours.

Un enfant non désiré ?
Oui, je suis né un certain 14 janviers 2011 à 17 heures 45 minutes du signe du Capricorne, ascendant Cancer.
Dès la première seconde, rien ne s’est passé comme prévu. Après le premier rayon de lumière, j’ai été pris en main par un jeune interne maladroit qui au lieu de m’accueillir par la tape convenue sur les fesses me fait rougir les joues. Cela ne lui suffit pas. Il s’étonne que j’éclate en sanglots. Monsieur veut que je parle!!! T’attendais-tu à mettre au monde le petit Jésus? Un peu de patience s’il te plait. Déjà que j’arrive au monde sans le moindre yoyo!!!
En effet, j’ai oublié de vous parler de l’ambiance morose qui a entouré ma naissance: la nuit noire, le silence absolu et la stupeur dans tous les yeux que j’ai croisés. Pas le moindre signe de joie. Pas le moindre sourire. Suis-je un enfant non désiré? Vous-ai-je pris par surprise? Un travail prénatal de 28 jours n’a pas suffit à vous alerter?
J’appris par la suite que j’étais le visiteur qu’on n’attendait plus, le fruit de 23 ans d’infertilité pendant lesquels  mes parents ont couru les hôpitaux et les marabouts, ont multiplié les injections d’hormones et les potions magiques pour se perdre dans leur désespoir.

Le ballet des géniteurs
D’ailleurs, dès le lendemain s’est installé le ballet des courtisans. Mais qui sont ces gens? A première vue, ils n’ont rien en commun: certains sont des vieux routiers de la gynécologie, d’autres sont des médecins en herbe, des marabouts renommés ou encore de simples gens qui se sont découvert des dons insoupçonnés de «fertilisants». Chacun réclame le mérite de ma naissance. Ils parlent tous en mon nom. N’est-ce pas grâce à leurs potions ou à leurs traitements que je suis enfin là? Ils ont oublié les fausses couches, mes frères mort-nés et les atermoiements des mes parent balayés entre espoirs et désillusion. Certains exigent même que je les appelle papa, que je prononce leurs prénoms en premier. D’autres développent des théories sur l’infertilité chronique de mes parents ou croient savoir que je ne suis que le fruit de manipulations sataniques.
D’ailleurs, si ma naissance a une vertu, c’est qu’elle a crée des vocations. Et oui, grâce à moi la gynécologie est devenu le premier sujet de discussion sur les terrasses de café, le premier choix des jeunes médecins à l’examen de résidanat.
Tous des experts et chacun sa méthode. On préconise le retour aux méthodes traditionnelles et la primauté du divin ou l’importation des techniques occidentales basées sur l’ingéniosité de l’homme et le libre arbitre. Plus loin encore, certains apprentis sorciers prônent le clonage comme solutions ultime.
Ne leur déplaise, je suis né de la volonté des mes parents, de leur larmes et du désespoir de tous les couples infertiles de cette terre. Non, je ne suis pas né d’une césarienne. J’ai pris mon temps et les infirmiers ne sont succédés au chevet de ma mère pour que je voie le jour. Ils ont été patients et m’ont laissé le temps de faire mon chemin. Ce chemin est loin d’être fini. Alors ne me brusquez pas!!!
J’ai choisi la date de mon premier mot. Ce sera le 23 octobre 2011 à l’âge de 11 mois et 9 jours. Un exploit, non?
Faites que ça réussisse, venez nombreux. J’ai tellement envie d’avoir la fête que je mérite. Celle qu’on m’a volé.

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