Rachid Merdassi écrit de Londres – Les Tunisiens doivent puiser dans leur tradition réformiste et moderniste la foi nécessaire pour la réalisation de leur transition démocratique.
A l’approche de la date fatidique du 23 octobre, la Tunisie va-t-elle encore une fois surprendre en relevant avec brio le défi de la transition ? Saura-t-elle négocier avec sagesse ce virage délicat de son histoire en puisant, une fois de plus, dans ses références et traditions réformistes spécifiques pour la réussite d’une transition intelligente et sans heurt vers un modèle politique qui lui fera honneur et renforcera son prestige et sa notoriété parmi les nations ? Saura-t-elle encore une fois être au rendez-vous de l’histoire en balisant la voie aux autres révolutions en cours ou en gestation et dont le parachèvement et le succès dépendront largement de sa capacité à gagner le pari de la transition ?
Le réformiste, un élément constitutif de l’identité
Ce devoir de réussite est une obligation morale du fait de la responsabilité de notre révolution et de son rôle pionnier dans l’avènement du printemps arabe. Elle n’a pas le droit de décevoir nos espérances, ni celles du monde entier qui attend avec ferveur cet accouchement.
Voici ce qu’on a écrit sur la spécificité du mouvement réformiste tunisien à travers les siècles et que les électeurs et partis politiques doivent se rappeler et garder en mémoire pour éviter tout dérapage :
«Le réformisme fait partie de l’identité tunisienne et caractérise son comportement dans le monde. Il est l’héritier d’une longue tradition où la référence à Hannibal, à Ibn Khaldoun et surtout aux réformistes du 19ème siècle et à leur tête Khaïreddine sont immédiates et, depuis lors, permanentes grâce à l’avènement du pacte fondamental de 1857*, devenu la référence et l’inspirateur des réformes de la Tunisie post-indépendante.
Ce réformisme se caractérise par l’ouverture sur l’Occident sans reniement de la religion et de la culture musulmanes, c’est la primauté des textes, des lois, de la constitution ; c’est la priorité donnée à l’ordre et à la stabilité, à la modération et au juste milieu ; c’est l’expression d’un exercice rationnel du pouvoir ; c’est la modernité et l’intégrité, c’est les élites dirigeantes qui partagent une vision essentialiste et normative de la réforme et du réformisme.
Modéré par nature, le réformisme tunisien est un processus de modernisation maitrisée, soucieux de préserver les acquis du passé, il est assimilation des apports de l’Occident dans le respect de l’islam et de la souveraineté nationale. Il est progrès, avancées économiques et politiques, avantages sociaux ; il représente la sage voie de l’adaptation à la mondialisation ; il entend restaurer le prestige de l’Etat et le respect de l’Etat de droit ; il lutte contre la compromission, la corruption, le laxisme...»
Fidélité aux idéaux des pères fondateurs
Aussi, nos élites et partis politiques doivent-ils faire preuve de fidélité à ces idéaux des pères fondateurs et prouver leurs courage et sens politique en évitant les querelles idéologiques stériles et calculs politiciens étroits et mesquins au profit d’un idéal plus noble et à portée universelle.
Historiens, sociologues et psychologues épilogueront longtemps sur les secrets du modus operandi de la révolution tunisienne qui l’a rendue si singulière et spécifique par opposition aux autres révolutions arabes et dans le monde, plus violentes et plus dramatiques.
Ils détermineront également les causes culturelles, sociologiques et psychologiques inhérentes à son caractère relativement pacifique et quasi chirurgical ainsi que le paradoxe entre l’attitude républicaine et désintéressée de notre armée et celle d’autres juntes militaires avides de pouvoir et instrumentalisées par des dictateurs piteux et caricaturaux pour la répression et le massacre de leurs peuples.
L’exemple de la Libye, de la Syrie, du Yémen et d’autres à venir, a montré combien la révolution tunisienne doit son salut à cette spécificité de notre armée qui reste encore, dans cette phase de transition qui risquerait de mener à une démocratie autoritaire, voire une théocratie, notre seul recours et rempart contre toute déviation et transgression des principes fondateurs. Et ce n’est point un hasard si nos partis islamistes s’efforcent de se défaire de leur radicalisme et de présenter une image plus avenante et plus politiquement correcte car Big Brother veille au grain.
*Le Pacte Fondamental (Âhd El Amen) a été promulgué par le décret beylical du 10 septembre 1857, proclamant l’égalité devant la loi, la liberté de culte, la garantie de la liberté de commerce. Il établissait un partage du pouvoir entre le Bey et ses ministres et accordait de larges prérogatives au Grand Conseil, formé de soixante conseillers d’Etat, gardiens de la Constitution. Il pouvait déposer le Bey en cas d’actes inconstitutionnels. Il accordait le droit de propriété aux étrangers, une sécurité pour tous, une égalité devant l’impôt et devant la loi et consacrait en outre le principe de l’organisation du service militaire.