Chedly Abdessalem écrit – Un homme ne recevra jamais honneurs ni hommages. Mais son nom traîné dans la boue, ses mérites oubliés et sa carrière détruite et ravagée.


 

La révolution du 14 janvier, ce grand moment de l’histoire, a eu ses grands martyrs et ses héros ; soit tombés ou blessés sous les coups des sbires de Ben Ali, soit emprisonnés et torturés par l’appareil sécuritaire. Leurs noms figurent sur des pages Facebook, sur des murs ou des plaques en bois là où ils sont tombés et parions que bientôt fleuriront ici et là en Tunisie des monuments en leur honneur. Mais, il y a d’autres héros et martyrs inconnus et obscures. Nous ne connaîtrons jamais leurs noms et leurs histoires. Nous ne pourrons pas leur rendre les hommages qui leur sont dus aujourd’hui.

Toutefois, je vais vous parler de l’un d’eux, car cet homme ne recevra jamais honneurs ni hommages. Mais, au contraire, son nom traîné dans la boue, ses mérites oubliés, effacés d’une signature officielle, et sa carrière détruite et ravagée. Cet homme, c’est Lasaad Kalii jusqu’à récemment directeur du lycée Ibn Abi Dhief de Marsa Essaâda.

La chute d’un homme d’honneur

Mais d’abord l’histoire et le portait (brefs !) de ce monsieur tout le monde devenu le symbole de l’injustice postrévolutionnaire. M. Kalii ou M. Lasaâd comme l’appelaient ses élèves est un homme d’une quarantaine d’années, l’œil vif, la moustache en brosse et toujours un bon mot ou un encouragement pour ses élèves. Cet ancien professeur de français devint par la sueur de son front directeur, ce qui est plutôt peu courant dans l’administration tunisienne où bien trop souvent les postes à responsabilité étaient distribués à des membres du parti au pouvoir, le Rcd. Il aura en moins de deux ans marqué le lycée de son empreinte : amélioration du cadre de travail, achat de matériels informatiques et instauration d’un climat serein et de confiance, chose rare dans les lycées tunisiens où souvent les élèves ont des relations tendues avec leur administration.

Mais, son chef-d’œuvre, son Austerlitz restera son comportement lors des manifestations lycéennes du début du mois de janvier 2011, remarquable à tout point de vue. Contrairement à certains de ses collègues, qui ont essayé de réprimer la manifestation ou bien encore se sont réfugiés comme des pleutres dans leurs bureaux. Lasaad Kalii, de l’avis de tous, a bien réagi. Il a confiné les manifestations dans la cour du lycée évitant de livrer les lycéens en pâtures aux policiers de Ben Ali et empêchant que la colère légitime des élèves ne se transforme en furie destructrice qui aurait dévasté le lycée. Rappelons que beaucoup de directeurs ont mal géré la situation provoquant par la même le saccage de leurs établissements.

La récompense de son dévouement ? L’expression de la gratitude de l’Etat envers un fonctionnaire intègre et efficace ? Un renvoi sans préavis, une humiliation publique, une vie détruite, la misère et la pauvreté ! Pourquoi ? Sans doute, le seigneur du ministère de l’Education nationale son altesse Taieb Baccouche a-t-il décidé que tous les directeurs d’écoles, de collèges et de lycées sont des Rcdistes (partisan de Ben Ali) en puissance et des contrerévolutionnaires incompétents ! Sans examen, sans études des cas ! Sans demander leurs avis aux principaux intéressés que sont les élèves, les professeurs et les administrateurs ! Rien ! Sans doute M. Baccouche nous dira-t-il : «Quand les forêts tombent les copeaux volent», le vieux dicton de Nikolai Lejov, le responsable des purges sous Staline et responsable à lui tout seul de plusieurs millions de morts.

Une campagne de soutien

On se demande même si les directeurs ne devraient pas s’estimer heureux de ne pas être envoyés dans un goulag (camp de concentration soviétique en pleine Sibérie où l’espérance de vie moyenne était de six mois) mais finalement y a-t-il une différence ? M. Kalii que fera-t-il ? Qui voudra employer un homme qui porte sur lui la trace infamante du Rcdisme ? Jeter comme un va-nu- pied ? M. Kalii a trouvé dans le corps enseignant, parmi les élèves et le personnel du lycée, des alliés sûrs et fidèles. Mais, est-ce que ça sera suffisant ? Espérons que oui, car dans la situation actuelle du pays, renvoyer de cette manière M. Kalii revient à signer l’arrêt de mort du malheureux !

Pour le soutenir, une manifestation est prévue pour le 15 septembre ainsi qu’un rendez-vous avec M. Baccouche pour essayer de réparer les torts causés à M. Kalii qui ne demande d’ailleurs rien d’autre que de réintégrer son poste comme avant en toute simplicité.
Deux questions se posent alors. Premièrement, est-ce que M. Baccouche fera preuve de responsabilité et de dignité en accédant à la requête des étudiants ou bien démontrera-t-il que, comme d’autres membres du gouvernement, il est atteint de surdité et d’autisme sélectifs ?
Deuxièmement, si le gouvernement décide d’engager un bras de fer avec des étudiants à la veille de la rentrée scolaire et de l’échéance électorale du 23 octobre, tout en sachant que déjà le groupe anarchiste Takriz a promis l’enfer à l’occasion de ladite échéance, ne risque-t-on pas d’assister à l’anéantissement du peu de sécurité que nous avons réussi à grappiller ?