Nasreddine Montasser – Et si c’était la peur de l’effondrement de son système idéologique et de propagande qui est la base du refus d’Ennahdha de la tenue d’un référendum à cette phase transitoire…
Tout a commencé par une demande faite par plus d’une cinquantaine de partis politiques, des personnalités indépendantes et par des associations de la société civile pour la tenue d’un référendum en même temps que les élections de l’assemblée constituante.
Ce référendum devrait proposer au peuple tunisien, le détenteur de la souveraineté, de se prononcer sur des questions en relation avec la mise en place de cette assemblée constituante. Il met sur la table deux questions : devrait-on limiter la durée des travaux de l’assemblée et faut-il donner à celle-ci des prérogatives illimitées.
D’abord, un référendum est un vote direct de l’ensemble des électeurs d’un Etat qui se déterminent sur une proposition de nature législative ou constitutionnelle à l’initiative du pouvoir exécutif ou des citoyens, selon les modalités définies par la loi. Les choix possibles étant oui ou non : le projet soumis au vote est soit accepté, soit rejeté. Le référendum permet d’obtenir l’aval du peuple sur les grandes questions de société ou institutionnelles.
Un certain nombre de partis ont déjà refusé cette proposition, parmi eux figure le parti Ennahdha qui s’est érigé en porte-drapeau du front de refus. Il soutient l’idée que ce référendum est de nature à contourner la volonté du peuple et que la proposition n’a été faite que pour être un prétexte à un nouveau report des élections. Ce refus du principe du référendum par ce parti suggère trois niveaux d’analyse.
Les difficultés surmontables si la volonté existe
La motivation de base d’Ennahdha est étayée par un certain nombre d’arguments qui, de prime abord, semblent valables. En effet, ce parti prétend que la tenue d’un référendum est techniquement, juridiquement et politiquement impossible. Les experts comme MM Ben Achour, Saïed, Belaïd et autres donnent raison à ce parti sur les points suivants :
- Les prérogatives du président par intérim ne lui permettent pas actuellement, selon les textes en vigueur organisant la phase transitoire, d’appeler à la tenue d’un référendum.
- Le décret appelant aux élections de la constituante ne prévoit pas la tenue d’un référendum limitant sa durée et ses compétences.
- Le principe même d’une assemblée constituante fait qu’elle soit une «autorité fondatrice», supérieure à toute autre autorité, et donc souveraine et illimitée.
Toutefois ces experts ainsi que des membres de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) admettent que la tenue d’un référendum est techniquement possible dans le temps restant jusqu’aux élections de la constituante (soit plus de 40 jours) et que les obstacles dus à la non-adaptation des textes sont surmontables, si une volonté politique existe. Cela veut dire que s’il y a un consensus politique entre les parties en compétition, le référendum pourrait être organisé sans report de la date des élections prévues pour le 23 octobre.
Mais en grattant un peu, nous pouvons deviner qu’Ennahdha n’est pas fondamentalement contre la limitation de la durée de l’activité de l’assemblée constituante puisqu’il avance deux arguments. 1- Le décret invitant à la tenue des élections d’une assemblée constituante est presque explicite sur la fixation de la durée de cette assemblée à une année. 2 - Rien empêche les élus, lors de l’établissement du règlement intérieur de l’assemblée constituante, de fixer la durée et les prérogatives de celle-ci consensuellement lors des premières réunions de cette assemblée.
Le refus de la tenue d’un référendum n’est donc qu’une question de refus de la forme puisque tout le monde ou presque est d’accord sur le fond. La question est donc pourquoi cette peur bleue et ce rejet systématique par Ennahdha de la tenue du référendum ?
Une consultation sans garantie de résultat
La réponse à la question précédente peut paraître surprenante. Ennahdha refuse tout simplement le principe de la tenue d’un référendum en même temps que l’assemblée constituante, même si celui-ci portera sur une question qui n’a rien à voir avec la politique.
C’est qu’Ennahdha, durant toute la période écoulée, a crée une sorte de buzz autour de sa popularité et de son taux de pénétration dans la société tunisienne. Il a toujours prétendu qu’il représente la plus grande force politique du pays. La preuve, ses meetings sont suivis par des milliers de personnes et ses adhérents avoisineraient le million. Cette pub efficacement entretenue n’a jamais été confrontée à la réalité du terrain. Le système de propagande de ce parti fonctionne merveilleusement bien dans cette zone de pénombre savamment maintenue qu’est l’ambiguïté politique.
Supposons maintenant qu’un référendum ait lieu concomitamment à la tenue des élections pour la constituante. Ennahdha serait obligé de prendre parti pour un choix particulier, soit le oui, soit le non (c’est plutôt le non dans notre cas) et de confronter ce choix à l’avis de tous les électeurs. Nous aurions donc, pour la première fois, l’avis du peuple tunisien sur une question simple et précise dont l’un des choix possibles est soutenu par un parti politique ou un autre. Ce référendum aura donc une force monumentale. Celle d’un baromètre des choix réels du peuple et du degré d’influence des partis sur ses choix. De plus, le résultat de ce référendum conditionnera la composition des alliances au sein de l’assemblée constituante. Il donnera une force importante au clan qui a fait valoir ses choix lors du référendum.
Plus explicitement, après les élections de la constituante, ce parti aura tendance à prétendre que le système électoral (proportionnel sur liste) déforme l’avis du peuple et qu’il est, de fait, la formation politique la plus importante et autour de laquelle devrait se construire tout gouvernement. Il sera désarmé face à un vote contraire à ses consignes de campagne lors du référendum. Le système de propagande d’Ennahdha s’effondrerait alors définitivement.
Ennahdha sait qu’il perdrait le référendum et c’est pour ça qu’il le refuse. Il dévoilerait ses capacités réelles d’influence et de mobilisation. Mais pourquoi ne choisit-il pas le clan du oui et pourquoi ne s’alignerait-il pas sur la position qui a le plus de chance de remporter le vote référendaire ?
Le principe de l’opposition
La réponse à cette question paraîtra encore plus surprenante. En effet, le non-alignement d’Ennahdha sur la position la plus commune et la plus rationnelle, celle qui peut être largement partagée, est motivé par les principes des fondements idéologiques de ce parti. L’islamisme prôné par ce parti est basé sur le principe de l’offre alternative. Il prétend qu’il y a une alternative à tout concept politique importé de l’Occident. Il fonctionne toujours par opposition et non par identification. Il oppose par exemple «la choura» à la démocratie. Il oppose le concept de la famille à celui des droits de la femme… et ainsi de suite. La littérature est pleine d’exemples de ce type, nous y reviendrons.
Donc le système idéologique d’Ennahdha fonctionne par opposition. Or s’aligner sur la position des autres lui ôterait toute différenciation et le viderait de l’essence de ses fondements doctrinaux et causerait l’effondrement de son système de pensée bâti à coups de distorsion des principes politiques largement partagés par les systèmes politiques civils existants.
En conclusion, c’est la peur de l’effondrement de son système idéologique et de propagande qui est la base du refus d’Ennahdha de la tenue de n’importe quel type de référendum à ce moment du processus transitoire en cours actuellement.