Akram Belkaïd* écrit – Le fils de Kadhafi était, jusqu’à peu, bien mieux considéré que son père en Occident. Mais lorsque les Libyens se sont soulevés, Seif a tombé le masque. Mais où est-il ? Et que fait-il ?


Avec son père, Guide suprême déchu de la Libye, Seif El Islam Kadhafi est désormais l’un des fugitifs les plus célèbres du monde. Comme Ben Laden ou Saddam Hussein hier, on ne cesse de se demander où il a bien pu passer et si l’on va finir par apprendre sa capture par les nouveaux maîtres du pays.
Relevons au passage que ces derniers ne se sont toujours pas expliqués sur la «fuite» de Mohamed Kadhafi, frère aîné de Seif, dont des millions de téléspectateurs d’Al Jazira ont pu entendre qu’il avait été fait prisonnier par des hommes du Conseil national de transition (Cnt) mais que l’on a retrouvé une semaine plus tard en Algérie…

Fugitif ou résistant?

Revenons à Seif. Ses partisans – ou du moins ceux qui n’admettent toujours pas la chute de la maison Kadhafi -, n’aiment pas qu’on le qualifie de «fugitif». Ils disent que la lutte continue, que le plus engagé politiquement des rejetons de Mouammar prépare une contre-offensive sur Tripoli en exhortant les tribus à prendre ou à retourner leurs armes contre le Cnt et ses protecteurs étrangers.

Alors, fugitif ou résistant ? En réalité, dans les deux cas, son sort semble scellé. En effet, on a du mal à le voir renverser la donne qu’elle soit politique, militaire ou judiciaire (il est recherché par la Cour pénale internationale). L’alliance scellée entre l’Occident et le Cnt, aussi instable soit ce dernier, n’est pas près de se briser. Et même, à imaginer une longue guerre d’usure – rappelons tout de même qu’une grande partie du sud libyen échappe encore au contrôle du Cnt – il  est peu probable que Seif El Islam (et encore moins son ex-tyran de père) redevienne un personnage jugé fréquentable par l’Occident.

Mais sait-on jamais... Peut-être que lui et son père parient – ou espèrent – que des événements imprévus (comme une grave crise mondiale, une catastrophe d’ampleur planétaire ou de gros désordres sociaux en Occident) vont leur offrir non seulement un répit, mais aussi l’occasion de revenir au premier plan…

L’ami de l’Occident

Quoiqu’il en soit, il est certain que Seif El Islam a raté le coche. Jusqu’en janvier 2011, ce diplômé d’architecture, (mauvais) peintre à ses heures, incarnait l’avenir de la Libye. A l’époque, n’importe quel diplomate ou expert aurait posé les termes de la problématique libyenne comme suit : la vieille garde du pouvoir libyen acceptera-t-elle ou non que le fils de Mouammar Kadhafi lui succède ?

Il faut dire que c’est dès le milieu des années 1990 que le jeune homme a commencé à se fabriquer une image de réformateur, un peu à l’image de ce que fut Gamal Moubarak en Égypte. A Tripoli, les chancelleries occidentales avaient pour objectif de se rapprocher de l’intéressé et d’être dans ses petits papiers pour préparer l’avenir, tout en informant leurs capitales respectives de son statut à la cour.

Était-il en grâce auprès de son père, ou bien ce dernier l’avait-il éloigné de Tripoli pour le punir d’avoir demandé avec trop d’insistance des réformes économiques, comme ce fut le cas en 2008 ?

A partir du début des années 2000, une intense activité de communication institutionnelle a permis à Seif El Islam Kadhafi de rencontrer une bonne partie du gotha mondial de l’économie et de la finance (on ajoutera à cela ses liens avec la jet-set internationale, qu’il a conviée à de multiples reprises et en de multiples endroits à des fêtes somptueuses).

Et pour bien être admis par ce que la militante altermondialiste Susan George appelle «le club de Davos», il a même obtenu en 2008 un PhD (l’équivalent d’un doctorat) à la prestigieuse London School of Economics (LSE). Un sésame précieux pour être pris au sérieux par les grands argentiers de ce monde et pour espérer un jour dîner à la table des dirigeants des pays les plus puissants du monde. États-Unis, Grande-Bretagne, France, Allemagne mais aussi Brésil, Inde et Chine : Seif a, à chaque fois, été reçu à haut niveau quand il n’était pas directement sollicité à Tripoli par le biais de sa fondation philanthropique, créée en 1997.

Ainsi, jusqu’à la mi-janvier 2011, Seif est l’«ami» de l’Occident. N’est-il pas pro-marché ? Ne parle-t-il pas régulièrement de la nécessité de doter son pays d’institutions stables (chose dont son père n’a jamais voulu entendre parler) ? N’a-t-il pas esquissé une (timide) critique de la situation des droits de l’homme dans son pays en 2003 ? N’a-t-il pas convaincu son père d’entamer une libéralisation de l’économie avec des privatisations (et, au passage, le rappel de Mahmoud Jibril, l’une des figures actuelles du Cnt, pour aider à réformer l’économie libyenne) ? Ne le dit-on pas proche de Tony Blair ? De la branche britannique des Rothschild – voire même de Buckingham ?

Le côté obscur de Seif

Mais la donne va s’inverser en quelques semaines. Certes, contrairement à son père Seif ne critique pas la chute de Ben Ali, mais il n’en dit pas du bien non plus. De même reste-t-il muet durant la révolution égyptienne et ne fait pas de commentaire après la démission d’Hosni Moubarak. A l’époque, il cherche tout de même à se faire entendre en Occident par le biais d’un «op-ed» qu’il tente de faire publier dans la presse américaine et anglaise.
Dans ce texte, il plaide pour la mise en place de réformes en Libye, pour une adaptation progressive de la Jamahiriya aux principes d’un État moderne et ose même avancer l’idée d’élections pluralistes. Mais il est déjà trop tard. Le texte est refusé par les grands médias. Plus grave encore, le discours radiotélévisé du 20 février 2011 où Seif promet «des rivières de sang» aux émeutiers de son pays, notamment ceux de Benghazi, sonne comme une douche froide pour ses soutiens en Occident.

Du coup, la parole se libère et Seif est désormais un «méchant». Il aura ainsi fallu attendre début mars 2011 pour apprendre, entre autres, que sa thèse de PhD sur «le rôle des sociétés civiles dans la gouvernance mondiale des institutions» souffrait de nombreux emprunts à d’autres travaux et que la décision du jury de lui accorder son diplôme avait peut-être quelque chose à voir avec le fait que sa fondation créée en 1997 avait versé près d’un demi-million de dollars à la LSE et, enfin, que Tony Blair se serait activé dans les coulisses pour que son travail ne soit pas reconnu à sa juste valeur mais à bien plus…

Seif El Islam a-t-il tombé le masque en devenant l’un des fers de lance de la répression et du jusqu’au-boutisme du régime Kadhafi ? Avait-il simplement un autre choix, sachant qu’aucun membre de la famille Kadhafi n’a fait défection ? Nombreux sont ceux qui pensent qu’il a raté le coche en ne convainquant pas son père de se retirer pendant qu’il était encore temps, c’est-à-dire entre mi-janvier et fin février.

Mais il ne s’agit là que de conjectures. Dans les faits, Seif El Islam Kadhafi n’a été que la version moderniste d’un régime implacable qui, en réalité, n’a jamais évolué sur la question fondamentale des libertés individuelles, pas plus qu’il n’a vraiment changé en matière de politique économique. De même, l’homme disposait d’une fortune importante, ne serait-ce que via sa fondation, dont il faudra qu’il explique l’origine. Celles et ceux qui le portaient aux nues en Occident ne pouvaient ignorer sa nature réelle. Mais il leur semblait tout simplement plus acceptable que son père.

Source : ‘‘Slate Afrique’’.