Karim Jaffel écrit – Petite histoire d’un grand mythe, le made in Tunisia, qui est passé par diverses mutations, avant de se perdre dans les méandres de la bureaucratie et de la mondialisation économique.


Quand j’avais 10 ans, j’ai découvert pour la première fois une étiquette Made in Tunisia sur un jeans Levis ! Un jeans de marque américaine, vendu à Paris, qui m’avait été offert par un parent de retour de son voyage. C'était dans les années 80.

La preuve par le jeans A l’époque, je m’étais posé la question de savoir si c’était un vrai ou un faux. Mon jeans ne pouvait pas être un faux, puisqu’il a été acheté à Paris et ne pouvait pas être un vrai puis qu'il n’était pas ... Made in France ! Vite devenu inséparables, mon jeans m’accompagnait partout où j’allais ! A la Médina pour voir mes cousins, à Sidi Bou Said pour un bambalouni de folie, ou encore à La Goulette pour une brik à la main !

Aujourd’hui, qu’en est-il de notre fabriqué en Tunisie ? Les Levis ne sont plus Made in Tunisia. Les vêtements vendus à l’étranger sont beaucoup... Made in Turkey, Made in China, Made in India. Nos commerces étalent beaucoup du Made In ... mais pas grand-chose dans le Made in Tunisia.

A Sidi Bou Said s’étale un artisanat multiculturel, mêlant des statuettes de résine africaines, des bijoux de pacotille marocaine et, paraît-il, des cages de Sidi Bou Said... Made in China !

A la Goulette, la brik à la main est toujours d’actualité, mais j’aurais tellement souhaité que le service qui l’accompagne soit sur un standard de cordialité, d’accueil et d’empathie bien de chez nous. Quant à la Médina, les colliers de corail qui ornaient les boutiques d’artisanat ont disparu avec l’odeur d’encens !

Dire avec un soupir «eeeeenfin!» et passer sur le sujet serait fataliste... Ce serait, à la limite, de l’irresponsabilité citoyenne. D’abord, parce que la Tunisie a bien son cachet, son originalité, ses diversités... La mondialisation est un fait, mais cette question du Made in Tunisia mérite à mon avis qu’on en parle.

Tunisair à la recherche du temps perdu

Pour comprendre comment se fabrique le made in Tunisia, il faut aller au cœur d'une entreprise tunisienne qui a ses locaux en Tunisie et à l’étranger. Le Made in Tunisia by Tunisair, la compagnie aérienne national !

La gazelle ailée ! Tout le monde connaît Tunisair. Moncef Abbes est une de ses icones. Il était dans le noyau de production en qualité de chef du personnel naviguant commercial chargé de la formation. Avec un peu de recul, il évoque les années 80, l’époque où la compagnie figurait parmi les meilleures au monde. Des appareils neufs, une cabine parfumée, un service catering avec des produits frais, une porcelaine au design raffiné, un personnel courtois, souriant et bien habillé, des annonces à bord accompagnées de malouf, une assistance avec empathie et un décollage et un atterrissage comme sur du coton !

Trente ans après, Tunisair n’a plus le même visage. Beaucoup de dits et d’écrits blâment le management de la compagnie. Et si nous résumions, ce serait une bouillie de très mauvais, avec une épice sans saveur de quelques tentatives de bon. Et pourtant... Tunisair n'a pas arrêté de travailler. Ses services ne se sont jamais reposés. C’est un sans répit, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 !

A travers les affichages électroniques de la bourse de Tunis, la compagnie apparaît aujourd’hui sous une image affaiblie, dans une architecture économique et sociale à l’image d’un rubicube multicolore qui tourne sans que les faces ne puissent refléter le made in Tunisia espéré.

Les causes sont diverses, et après le 14 janvier, la situation s’est un peu plus altérée : des marchés réguliers impactés dans les pays du printemps arabe, des marchés charters d’Europe en perte de vitesse, un fret dans une tendance mitigée et une réintégration des filiales qui ajoute au rubicube plus de complexité !

Je reviens sur une discussion tenue avec M. Abbes à propos des causes de ce fléchissement, et je retiens une conclusion, celle qui a porté le plus de préjudice à Tunisair et au made in Tunisia aérien... Au terme d’un débat passionné, nous sommes arrivés à identifier le mal le plus profond, comme étant celui d’avoir perdu la verve de travailler ensemble !

Travailler ensemble, sans rupture de charge, avec enthousiasme, avec une synchronisation des tâches, avec une communication parfaite entre les services et une aspiration pour le meilleur... c'est ce qui a fait la Gazelle ailée des années 80 !

Tunisair retrouvera-t-elle son élixir de jeunesse ? Personnellement, j'ai espoir et je pense que c’est possible. Après tout, Tunisair maintient une  prestation de qualité pour certains vols, la chape de plomb décisionnelle n’est plus d’actualité après le 14 janvier et le poids de Tunisair dans l’économie nationale pèse pour près de 2% dans le PIB ; ce qui en fait à la limite une responsabilité citoyenne !

Le mythe de la qualité

A la fin des années 90, une mode a habillé la majorité des entreprises tunisiennes. Une mode économique qui se nomme «mise à niveau». Le podium du défilé était décoré par le Gatt, les Accords de libre échange, l’Union Européenne...

Je parlerai ici de la mise à niveau sans en faire un bilan. Je jetterai seulement un regard sur les accessoires des entreprises ayant participé au défilé et en particulier à un accessoire accroché à leur mur : la certification ISO !

ISO 9000, ISO 9001, ISO 9004, ISO 14 000, HACCP… une panoplie de normes internationales accrochées comme des trophées, en gage de qualité. A ce sujet, je me rappelle avoir accompagné un parent dans une clinique. Les lieux semblaient corrects, les chambres propres, les plateaux des petits déjeuner agrémentés et l’entrée principale bien éclairée et décorée par le fameux cadre ISO.
Sauf que... j’aurais préféré une meilleure empathie du personnel paramédicale, une meilleure clarté lors de la facturation et une meilleure cordialité à l’égard du parent malade à sa sortie de clinique. J’en demande trop ? Peut être, mais j’ai bien lu, à côté du trophée qualité, une lettre d’engagement signée par la direction qui se résume à garantir toute la diligence aux patients et à leurs accompagnateurs.

A vrai dire, la clinique est un exemple d’entreprise qui a relativement bien réussi sa sortie sur le podium. J’ai bien envie de parler des hôtels étoilés, ou des services après vente de l’électroménager, ou d’une entreprise de peinture... tous  certifiés et ‘ISOtés’. J’ai envie d’en parler non pas pour les blâmer, mais pour féliciter leurs services commerciaux !

Franchement, imaginez un peu la force mentale de ces commerciaux, qui se lèvent tous les matins en espérant vendre un produit ou un service à la limite du «durablement vendable» ! Et là, je reviens au Certif’ ISO accroché, au programme de mise à niveau déployé et au made in Tunisia produit ! J’entends déjà certains me dire : «Il ne faut pas généraliser !» Oui, c’est vrai, sauf que, statistiquement, la publicité du mauvais bat celle du bon à 10 contre 3 (quand on prend deux produits d’une même famille, l’un réputé être un bon et l’autre mauvais, seulement 3 personnes parlent du bon et 10 personnes harponnent inlassablement le mauvais !).

Conséquence directe pour notre made in Tunisia : une mise en péril, bien que certaines enseignes tunisiennes fassent l’effort d’un produit de qualité.

Avant de conclure, je voudrais revenir sur l’ISO et sur le label «Qualité» né au Japon. J’ai suivi comme beaucoup de cadres des formations sur l’ISO. Les cours commençaient par la norme, la découverte de la roue de Deming et du fameux Pdca, plan, do, check, act, et finissaient par la maîtrise des exigences. A mon avis, les Japonais font autre chose pour donner au made in Japan un branding ayant plus de notoriété que tous les certificats de qualité réunis !