Cyril Grislain Karray* écrit – La Tunisie doit oser devenir la Suisse de la Méditerranée et le Singapour de l’Afrique. Mais aussi un membre de la construction de l’Union des démocraties de la Méditerranée.
Si la jeunesse tunisienne a eu raison de la dictature et a pavé le chemin aux autres pays arabes, il ne faut jamais oublier qu’elle s'est avant tout révoltée contre une injustice sociale devenue intolérable. Le tant vanté miracle tunisien lui a tout simplement refusé le droit d’exister. Dans moins de cinq ans, plus de deux millions de Tunisiens seront sans emploi. En France, cela équivaudrait à douze millions de chômeurs au lieu des quatre millions actuels. Imaginez maintenant que ces douze millions soient en majorité des jeunes, mis à l’écart dans des banlieues et des villes insulaires, frustrés... et diplômés. En effet, alors que la Tunisie investit massivement dans l’éducation de sa jeunesse, la moitié de ses 65.000 diplômés annuels se retrouvent au chômage dès la sortie de l’université. Si le pays poursuit sa voie actuelle de déclarations de principes voltairiens, détours intellectuels et procédures laborieuses, le soulèvement récent pourrait bien n’être qu’une vaguelette face au tsunami qui continue de se former, porteur de tous les extrémismes. A un bras de mer de la France.
La guerre contre le chômage
La Tunisie n’a d’autre choix que d’oser mener une véritable guerre contre ces ennemis mortels que sont le chômage et l’exclusion de masse. Une guerre dont l’issue pourrait être de devenir la Suisse de la Méditerranée et le Singapour de l’Afrique. Une guerre visant à transformer son économie pour la focaliser sur les services, essentiellement à l'export (offshoring, tourisme médical, finance internationale, implantation des sièges régionaux des multinationales et des Ong, etc.). La Tunisie doit assainir des pans entiers de son économie, développer le secteur associatif, l’infrastructure verte et l’agro-écologie, revaloriser ses terroirs et son patrimoine, etc. Gagner cette guerre exige aussi qu’elle devienne capable de positionner sa jeunesse comme l’une des plus employables et adaptables du monde, de placer ses femmes en première ligne, de redistribuer courageusement des dizaines de milliards d’euros, de s’inspirer de nouveaux modèles, d’affûter son administration, et de se doter d’institutions et de leaders de classe mondiale.
La France, premier partenaire de la Tunisie, doit vigoureusement appuyer cette guerre. Non pas par romantisme ou affection, mais par raison. La raison impérative étant qu’une défaite pourrait signifier la création à ses portes d’une espèce de ‘‘Tunistan’’, dont l’obscurantisme infiltrerait massivement les près de 600.000 habitants de France d’origine tunisienne. Mais retenons surtout la raison positive.
En appliquant à notre époque la logique originelle de Robert Schuman, la France doit saisir cette chance historique de construire l’Union des démocraties de la Méditerranée. Une petite sœur de l’Union européenne (UE), composée de pays de même héritage civilisationnel et qui pourront dorénavant partager les valeurs de modernité et de démocratie, dans l’ouverture et la confiance mutuelle. Une Union dont la complémentarité concrète est aussi évidente que vitale pour les deux rives.
Une alliance gagnant-gagnant
La rive sud a besoin d’emplois, de débouchés, de savoir-faire, d’investissements et de stabilité. De son côté, et même si elle s’acharne vainement à repousser l’échéance, la rive nord sait qu’il lui sera impossible d’assurer à sa population vieillissante le niveau de vie et de protection qu’elle promet sans réussir à sécuriser durablement et sur des bases saines l’accès à deux ressources capitales : une force de travail nombreuse, formée et compétitive, et des ressources énergétiques abondantes (plus encore maintenant qu’elle conteste le nucléaire). Or la rive sud formera bientôt près de 350.000 diplômés à des coûts très attractifs, est encore riche en pétrole et gaz, et surtout, infiniment riche en énergie solaire.
Cette alliance gagnant-gagnant renforcera significativement la capacité de cette nouvelle Euro-Méditerranée à résister tant aux extrémismes qu’aux nouvelles puissances montantes.
Les jeunes tunisiens ont eu le courage du premier pas, en rendant possible le préalable démocratique. C'est au tour de chaque Français, de chaque Européen, de changer son regard et d’agir pour que la Tunisie devienne «l’Europe d’en face», plutôt qu’un territoire répressif et sous l’emprise d’influences dangereuses pour tout le monde.
* Consultant international chez McKinsey.