Jamel Heni est heureux de partager avec les lecteurs ce brillant réquisitoire de Néjib Mahfoudh contre le double discours. De ce texte paru en 1984 sous le titre ‘‘Vers un combat sincère’’, on ne retirerait pas, aujourd’hui, un seul mot.

Nous avions hérité de longs siècles d’oppression la fâcheuse habitude du double discours à tout propos. Un discours pour avoir la paix et un autre discours interne, chuchoté en petits comités et qui exprime nos idées et penchants véritables.

Nous avions traité les questions les plus graves de la vie et de l’autodétermination : la guerre et la paix, le socialisme, le rôle de la religion ici-bas, l’Arabité... avec la même ambiguïté déroutante !

Lors-même que la vie avait changé, que la loi enfin prévalait, que la paix et la sécurité étaient acquises, l’on n’arrivait pas à nous arracher tout-à-fait à notre mauvaise vieille duplicité. Pis, l’esprit d’émulation et la volonté de gagner le combat électoral réveillèrent cette habitude qui reprit de plus belle et de nombreux masques couvrent désormais les visages...

Jusqu’à quand laisserions-nous les questions essentielles sans réponses claires et tranchées ?!

J’exhorte les politiques de toutes obédiences à oublier leur combat électoral et à réunir leur courage dans un même combat national. Qu’ils en fassent une lutte de vérité et de clarté, quoi qu’il advienne des élections ! Que les partis expriment clairement et franchement ce qu’ils croient «bon» sans trop se soucier des conséquences.

Certains d’entre-nous pourraient choisir le pouvoir absolu ; qu'ils le disent clairement, mieux vaut un absolutiste honnête qu’un faux démocrate. D’autres croiraient au capitalisme libre ; qu’ils s’affichent, mieux vaut un capitaliste loyal qu’un faux socialiste ! D’autres encore laisseraient la religion pour Dieu et ouvriraient la Nation à tous ; qu’ils l’annoncent, mieux vaut un laïc intègre qu’un religieux imitateur.

Ainsi, tendrions-nous vers la vérité et la clarté. Il ne vaut rien gagner une bataille et y perdre soi-même. Tôt ou tard la victoire du mensonge s’écroulera devant les faits.

Heureux celui qui livre un combat d’honneur et non quelque guéguerre politique opportuniste.

‘‘Al Ahram’’, 22 février 1984

Traduit de l’arabe par Jamel Heni