Mohamed Sadok Lejri* – Les Tunisiens seraient bien inspirés de rompre avec la tradition de l’ingratitude mise en place et cultivée par l’ex-président.
Ce qui s’est passé à Sousse, au lendemain du déboulonnement de Ben Ali et qui persiste à l’heure où je vous écris, est scandaleux ! Le «Jardin Hassan Ben Saïd» sis à Khézama-est a été rebaptisé «Jardin du 14 janvier 2011». Autant vous dire, d’emblée, que la municipalité de la ville de Sousse n’y est pour rien. C’est un ex-Rcdiste notoire, célèbre par sa couardise et sa bassesse, qui, pour se racheter, s’est livré à ce triste manège. Et cela est tout bonnement scandaleux.
Qu’on ne vienne pas me faire un procès d’intention, car je fais partie de ces Tunisiens qui présentent les garanties nécessaires à l’admission au «cénacle» qui regroupe les personnes animées par les idées révolutionnaires et progressistes.
En effet, j’ai toujours refusé de me soumettre à quelque hégémonie que ce soit et j’espère que mes propos ne seront guère exposés aux interprétations calomnieuses.
Un acte désobligeant pour les Soussiens
Faire disparaître le nom d’Hassan Ben Saïd de ce lieu s’avère désobligeant pour les Soussiens qui l’ont connu. Cet éminent enseignant était patriote et a formé plusieurs générations de cadres. Des cadres qui, en l’occurrence, ont participé au mouvement qui a permis à la Tunisie d’adhérer au progrès malgré ses moyens limités.
Hassan Ben Saïd a enseigné la langue arabe au lycée de garçons de Sousse. Celui-ci accordait la primauté à l’instruction. Il a exhorté, inlassablement, les jeunes à étudier et à orienter leur énergie vers l’enrichissement de leur esprit. Car, pour lui, l’esprit des jeunes primait sur tout le reste et se devait d’être cultivé pour préparer pleinement les générations futures au «métier d’homme» (dixit Georges Simenon).
Hassan Ben Saïd s’attachait à allier la conscience morale à l’enseignement. Il voulait que ses enfants – biologiques et spirituels – aient un comportement qui suscite le respect par sa majesté. Il voulait que ces derniers soient, de surcroît, dotés de connaissances étendues dans de divers domaines et pourvus d’une conscience morale. Pour Habib Ben Saïd, science et conscience allaient de pair.
Ensuite, en travaillant à la municipalité de Sousse, il s’est attelé à servir la commune avec abnégation. Il voulait remplir les habitants de sa ville d’enthousiasme. Cet enthousiasme capable de produire la vitalité susceptible de créer cette munificence de nature à restaurer la splendeur de la perle du sahel. Si Hassan voulait que le jugement des habitants de Sousse porté sur eux-mêmes soit imprégné de fierté et de dignité.
Sur les traces de leur père
Aussi, on ne pourra jamais reprocher à cet honorable monsieur une descendance ingrate. Les rejetons marchent derrière les traces de leur père. Ces derniers essayent de sauvegarder les principes qui consacrent le progrès sur le plan intellectuel, et ce, en les accordant aux valeurs morales prônées par leur père. Les fils de Hassan Ben Saïd se sont voués au savoir et jouissent à Sousse d’une excellente réputation : il y a le brillant professeur qui enseigne à la faculté de médecine de Sousse et qui, au surplus, est féru de philosophie. Il y a le pédiatre qui, d’une serviabilité à toute épreuve, a été pendant des années le directeur du Festival international de Sousse. Un directeur de festival qui a fait fi des avantages matériels. Ce dernier, par ailleurs, prend part à l’entreprise qui vise à porter vers le haut le goût du public soussien. Ce qui n’est guère évident à l’heure où le «mezoued» et la chanson «chababia» battent leur plein. Il y a le juge dont l’intégrité et la droiture sont notoires. Il y a le francisant qui fait partie de ces Tunisiens en voie d’extinction, de ces Tunisiens qui maîtrisent parfaitement la langue de Molière, de ces Tunisiens qui manient l’imparfait du subjonctif comme un Voltaire manierait l’ironie.
Bien évidemment, je suis pour la célébration du 14 janvier 2011. D’ailleurs, ce jour-ci, comme diraient d’aucuns, j’y étais ! Et sur l’avenue Habib Bourguiba et sur les artères qui avoisinent celle-ci (Av. de la liberté, Jean Jaurès, la Médina…). J’y étais durant les derniers jours qui ont précédé le départ de Ben Ali. Et, croyez-moi, ces jours-ci furent plus sanglants que le 14/01/2011. J’ai entendu, comme tous ceux qui étaient présents, les balles siffler. J’ai vu des Tunisiens malmenés et des enseignes lumineuses éclatées soudainement par des balles.
La révolution tunisienne : de l’euphorie à l’arbitraire
Il faut éviter que cette euphorie révolutionnaire ne se transforme en arbitraire révolutionnaire. Et, qu’on efface une partie de notre mémoire, au nom de la légitimité révolutionnaire, et ce, en reléguant aux oubliettes un nom aussi honorable que celui de Hassan Ben Saïd.
Les places, avenues et rues qui doivent être rebaptisées sont légion à Sousse. Entre les «7 novembre 1987» par-ci, les je-ne-sais-quoi de l’«environnement» par-là et les machins-chouettes «ère nouvelle», les habitants de la ville de Sousse ont désormais l’embarras du choix. Pourquoi avoir choisi le jardin «Hassan Ben Saïd» ? Bon sang ! De plus, dénommer ce lieu agréablement aménagé (mais, malheureusement, laissé à l’abandon depuis quelque temps) «Jardin de la révolution du 14 janvier 2011» et qui, de surcroît, se situe juste en face d’une célèbre boîte de nuit qui porte le nom d’une île polynésienne, me paraît inadéquat.
Ben Ali voulait développer une tradition d’ingratitude et de dénigrement à l’égard de Bourguiba et d’autres illustres personnages de la Tunisie. Ne soyons pas aussi vils que lui.
Ce que je crains le plus, c’est que tout cela provienne d’un désir de revanche. Le fait de débaptiser le jardin «Hassan Ben Mohamed Ben Saïd» est peut-être dû (et je dis bien peut-être) à une attitude malsaine inspirée par le désir de léser les anciennes familles de la ville de Sousse. Ce n’est qu’une hypothèse et j’espère qu’elle est le fruit de mes élucubrations. J’espère me tromper d’un bout à l’autre.
Je répète, je persiste et signe : ce qui s’est passé à Sousse est tout bonnement scandaleux !
* Etudiant.