Nydhal Elmahfoudhi écrit – Il est du devoir des candidats, indépendants et encartés, de réinstaurer un débat responsable sur le fond… pour faire avancer le Schmilblick de la Constituante.
Cette expression culte est venue à la langue française par un sketch de Coluche. En effet, il y parodiait une émission très populaire de la télévision française où le commun des mortels s’amusait à deviner le nom d’un objet à partir d’une photo en posant des questions plus ou moins incongrues au présentateur.
Le plus hilarant dans l’histoire était le décalage qui naissait de la rencontre de la simplicité parfois naïve de la «France d’en bas» et de l’air dédaigneux souvent grincheux du présentateur dans son studio parisien. Il ne manquait plus que le sens de la caricature et de l’emphase de Coluche pour envoyer ce sketch au Panthéon de l’humour français.
Non, je ne fais pas une chronique pour télévores nostalgiques. Mes connexions mentales sont peut-être déficientes mais je me suis rappelé au souvenir de ce chef d’œuvre en regardant un débat politique à la télévision tunisienne !
A chacun son Schmilblick. L’Assemblée constituante me semble être le nôtre. Comment me diriez-vous ?
Le temps des interrogations
Rappelez-vous ! Il y a quelques mois, l’euphorie des premières heures et la peur des premiers jours étaient passées. Les Tunisiens se posaient alors des questions : Quelle sera la prochaine étape ? Doit-on se contenter du départ du tortionnaire ? Là, un mot surgit de la foule, une solution, la panacée : l’Assemblée constituante. Elle nettoiera le pays des restes de l’ancien régime, nous garantira les bonnes bases pour bâtir une nouvelle démocratie et, accessoirement, elle trouvera des emplois à nos enfants et nous fera oublier les fins de mois difficiles. C’est là que le bât blesse, nous avons juxtaposé toutes les vertus possibles et imaginables à cette institution sans s’évertuer à la définir.
Attention, mon propos ici ne discute pas le pour ou le contre. La décision étant prise, je préfère me poser la question du quoi, et celle du comment.
Quand certains arguent que la concomitance entre le vide politique et la déliquescence économique et sociale appelle à une Constituante aux pouvoirs de gouvernement. Je ne peux qu’abonder dans leur sens. Mais, je me demande où étaient ce bon sens et ce pragmatisme quand ils appelaient à cette Constituante. Etaient-ils enivrés par le parfum révolutionnaire ou avaient-ils prévu leur coup ? La question du rôle de cette assemblée ne devait-elle pas être posée avant ?
Une autre frange, consciente à la fois du problème de fond et du risque de dérive, proposait le référendum comme la transcription de la volonté populaire. A mon sens, une idée, aussi bonne soit-elle, tire sa réussite du timing de son éclosion. J’aurais pu discuter de celle-là il y a quelques mois. Aujourd’hui, elle arrive en retard. Pourquoi ? Il est facile de dire qu’un référendum est l’expression de la volonté du peuple mais techniquement ce n’est que la réponse à une question fermée. Sa réussite tient donc à la pertinence et à la formulation de cette même question. Aujourd’hui, nous n’avons plus le temps du débat pour définir où éclaircir la question à poser. Je doute même que nous puissions résumer l’interrogation sur les prérogatives de la Constituante dans une question fermée.
Là, je fais appel à l’histoire. A la naissance de la IVe République française, le chaos politique, économique et social était similaire au nôtre. Le Comité français de la libération nationale a appelé à l’élection d’une assemblée nationale aux pouvoirs de gouvernement et en a profité pour poser aux électeurs la question suivante : «Voulez-vous que l’assemblée élue ce jour soit Constituante ?».
Pendant ce temps-là…
Je ne prétends pas que ce soit un meilleur choix. Pire, je ne crois même pas qu’une solution idoine existe. Cependant, nous devons tirer les exemples de l’Histoire pour trouver l’équilibre optimum au microcosme tunisien. La force de l’exemple ci-dessus est que le mandat donné aux élus par le peuple était clairement défini.
Plus près de nous, en droit tunisien, un mandat donné par un mandataire à un mandant sans que l’objet en soit clairement défini est nul et non avenu. En l’absence de cette définition, la compétition électorale se vide de son sens. Imaginez-vous : une jolie enceinte olympique, une belle foule, une course s’annonce avec des marathoniens, des sprinteurs et des lanceurs alignés sur une même ligne de départ. Il est clair que le grand perdant sera le public.
Comme le Schmilblick, il y a autant de Constituantes que de révolutions, de peuples ou de momentum. Notre erreur était de croire que le slogan se suffisait à lui-même. Dans les faits, on se retrouve avec une campagne sans débat de fond étant donné que les candidats ne concourent pas pour le même objectif. Certains partis piqués par la rhétorique de leur absence de programmes nous matraquent de projets de gouvernement aussi farfelus qu’indigestes. D’autres, indépendants, parlent d’élection de proximité, mettent en valeur leur personne et leur combat ou encore nous parlent de leur compétence en droit constitutionnel. Pendant ce temps-là, nous, «Tunisiens d’en bas», sommes perdus et à la limite du dégoût politique.
Alors, n’y a-t-il pas d’espoir ? En raisonnant en moindre mal, la charte esquissant le rôle de la Constituante et son fonctionnement me semble être un bon compromis. Même si elle n’a pas force de loi, elle définirait un mandat moral. Elle devrait même être élargie aux indépendants parce que c’est avec eux que le chiisme sur le rôle de la Constituante est le plus profond. Il est vrai qu’une telle démarche peut être vaine dans une scène politique où règnent la suspicion et la défiance. Pour ce, il est du devoir des candidats, indépendants et encartés, de réinstaurer un débat responsable sur le fond.
Ayons de l’esprit. Jouons au Schmilblick !!!