S. El-Ayoubi écrit – Les citoyens tunisiens ont des questions et des interrogations qui leur serviront à départager les candidats aux élections du 23 octobre, ou du moins à commencer par alléger la liste des 100 partis en lice.

Chers 100 partis, vous êtes nombreux, vos noms sonnent comme des slogans. Comme Tunisien, je ne sais pas réellement ce que vous valez, ni ce que vous allez apporter à notre chère Tunisie.

Certains d’entre vous étaient déjà là sous Ben Ali, avec plus ou moins de connivence avec son régime. D’autres germaient à l’étranger avec je ne sais quelles fréquentations et influences. D’autres ont poussé comme des champignons au lendemain du 14 Janvier 2011, se contentant de coller deux ou trois termes (liberté, développement…) pour se définir. Les plus historiques semblent émerger des réminiscences des débats idéologiques des campus tunisiens des années 70. D’autres sont même nés des cendres du Rcd. Entre-nous, le Rcd est-il vraiment mort ? Je pose cette question car j’ai souvent l’impression de le voir encore partout !

On vous accuse tous de n’avoir qu’une seule obsession : la guerre politique pour arracher le maximum de sièges à l’assemblée constituante. Depuis des mois, nos préoccupations réelles semblent passer au dessus de vos têtes. Et mon sort de Tunisien dans tout ça ? Mon avenir ? Celui de ma famille et de mes proches ? Mon emploi ? Ma sécurité ? Etc.

En même temps, nous sommes – nous Tunisiens – obligés de faire avec ce que nous avons, y compris vous les 100 partis politiques (il faut que je fasse gaffe, car ce chiffre a certainement augmenté depuis que j’ai entamé cette lettre). J’admets que nous avons la classe politique que nous méritons, qui est le reflet d’une médiocrité entretenue par une cinquantaine d’années d’aliénation des Tunisiens.

Bref, nous sommes obligés de faire avec ce qu’il y a comme offre. En même temps, nous ne laisserons jamais s’opérer un retour en arrière : vous avez des comptes à nous rendre comme citoyens. C’est pourquoi j’exige des réponses claires avant de donner mon vote à l’un de vous (ça vous rappelle quelque chose cette expression : «Achaab Yourid» (Le peuple exige). Le temps du vote par aliénation est fini ou est en train de finir. Donc, il vaut mieux ne pas trop compter dessus pour votre avenir de partis politiques.

Revenons à nos moutons (l’Aïd El Kebir est encore loin, heureusement pour ces pauvres bêtes… pas si bête que ça !) : comme citoyen tunisien, j’ai des questions et des interrogations qui me serviront à vous départager lors du vote du 23 octobre, ou du moins à commencer par alléger cette liste de 100 partis. En effet, je compte faire mon choix en 2 temps : d’abord par élimination pour ne laisser que quelques partis ou blocs capables d’apporter des réponses à TOUTES mes interrogations, puis choisir celui qui apporte les réponses qui me convainquent et me conviennent.

Avant de lister ces questions de fond, je précise une règle simple de notation : la non-réponse équivaut à une très mauvaise réponse et est éliminatoire. Ainsi, les réponses sont obligatoires pour toutes les questions pour passer la première phase d’éliminatoires («disqualifications»). Allons-y !

1- Qu’adviendra-t-il de la gestion du pays au lendemain du vote de la constituante et comment garantir la stabilité lors de cette nouvelle phase transitoire ?

Pour cette question, vous êtes obligés de vous mettre en groupe pour répondre. Autrement, votre réponse individuelle non partagée avec les autres veut dire que vous n’êtes pas en mesure de vous rassembler et former un consensus pour gérer à la fois l’élaboration de la nouvelle constitution, les affaires courantes du pays (économie, sécurité, etc.) et la préparation de l’après-constituante (la mise en place du nouveau régime, avec des nouvelles modalités). Egalement, qu’adviendra-t-il du gouvernement et de la présidence intérimaires de BCE/Mebazza ?

Arriverez-vous à vous entendre pour un nouveau gouvernement de transition et d’union nationale ? Laisserez-vous se poursuivre le changement dans l’absolue continuité, pour ancrer encore plus le non-changement et faire sombrer plus profondément le pays par la division ? Cette interrogation, relativement court-termiste, me tourmente comme tous les Tunisiens car, jusqu’à cette date, vous avez montré une incapacité à vous entendre entre vous.

Alors que dire avec une assemblée fragmentée entre une centaine de partis politiques. Pour être clair : nous ne voulons pas d’une phase de constituante qui s’éternise au-delà de quelques mois.

Si vous n’êtes pas en mesure de me répondre collectivement à cette question au plus tôt, bien avant le 23 octobre, je pense que je vais commencer à creuser une grotte pour m’y cacher quelques années !

2 - Quelle est votre vision pour la Tunisie en 2020 (chiffre rond pour faire simple) ?

Je suis du genre à demander la destination avant de m’embarquer dans un voyage et de confier ma route à un conducteur. Il en est de même pour nous tous, avec celui qui va nous construire une maison, tisser une «jebba», etc. Alors que dire de la reconstruction de notre pays.

Ma question est simple et doit avoir une réponse simple, compréhensible pour moi et mes concitoyens : où voulez-vous emmener notre pays dans 10, 20 ans ? Quels sont votre modèle et projet de société ?

Une précision pour vous aider : les réponses démagogiques vides de concret et de pragmatisme ne permettent pas de réussir cette partie, tout comme celles qui aboutissent à nous diviser, au lieu de nous unir vers un destin et une visée commune. Il faut nous faire rêver d’un avenir meilleur, de réussites comme celles de certains pays émergents, montrez-nous la lune ! Je bifurque pour dire : «Quand le sage montre la lune, le fou regarde le petit doigt» (proverbe chinois). A ce jour, vous ne faites que pointer des petits doigts vers les autres… à moins que nous soyons trop fous ?!

Par contre, si vous répondez correctement à cette question, votre tâche devrait être plus facile pour les suivantes, qui en découlent.

3 - Quelle est votre modèle de développement économique ?

Nous savons tous que la fameuse «réussite économique» tunisienne sous Ben Ali était juste de la poudre aux yeux : faux chiffres, inégalités criantes, une minorité mafieuse qui profite aux dépens des autres, etc. Bref, le tigre tunisien n’était qu’un chat de gouttière sale, malade et affaibli.

Quelles seront alors vos orientations économiques pour relancer le pays, créer de la richesse pour tous, combler les inégalités, en particulier dans les régions délaissées jusqu'à maintenant ? Quels secteurs pour ce développement après l’échec du modèle basé sur le tourisme de masse ? Comment comptez-vous vous attaquer au problème du chômage, avec toutes ses variantes (jeunes et moins jeunes, diplômés et non-diplômés, etc.) ? Comment créer des emplois pérennes ? Quelle place sera accordée à l’endettement extérieur ? Comment attirer les investisseurs et à quel prix ? Quel dosage entre l’intervention de l’Etat et les lois du marché, surtout lorsque ces lois échappent au contrôle même des grandes puissances ? Comment garantir la place de la Tunisie dans la jungle économique mondiale ?

Quels engagements, résultats chiffrés et données factuelles vous fournissez pour étayer votre plan de relance et de développement économique ?…

Pour cette question, ne vous dites surtout pas que le jury (les citoyens Tunisiens) est composé de cons, pour répondre n’importe quoi : le Jury est plus qu’intelligent… s’il le veut bien.

4 - Quels seront vos remèdes pour les maux de notre société et pour un développement humain au profit de tous ?

Dans ce volet, le chantier est loin d’être simple, mais l’ignorer en ciblant uniquement une vision économique des choses ne vous aidera pas à réussir l’épreuve du vote, mais surtout celle de la réalité des années à venir. Pour vous aider à affiner votre réponse, je vais juste lister quelques volets à couvrir obligatoirement dans votre réponse.

En effet, il ne fait aucun doute qu’au-delà des injustices et inégalités criantes, nous avons vu des piliers essentiels se détériorer au fil des années au lieu de s’améliorer, tels que la santé avec des moyens en chute libre, l’éducation avec une qualité de plus en plus médiocre et la couverture sociale (ou la non-couverture sociale pour un grand nombre).

Nous avons aussi des régions entières délaissées depuis des décennies dans la misère. Egalement, nous étouffons sous le tapis des maux tels que l’inégalité homme-femme, la maltraitance, le régionalisme et le tribalisme primaires qui ont ressurgi en surface ces derniers mois, etc.

Alors, quel est votre plan pour promouvoir le développement social et humain en Tunisie ? Offrir à tous les Tunisiens un cadre de vie juste, solidaire et durable ? Comment allez-vous vous y prendre alors que les moyens sont limités ? Comment allez-vous développer le système social, la santé et l’éducation ? Comment allez-vous effacer les tiraillements post-14 Janvier, pour une société unie, solidaire et apaisée ?

5 - Quels système et gouvernance politiques nous proposez-vous et avec qui l’avez-vous élaboré ?

Si vous attendez le lendemain du 23 octobre pour réfléchir à cette question, autant dire que c’est mal parti pour vous et pour nous. Dans ce cas, je relancerai le creusement de la grotte pour m’y terrer.

En effet, sachez que nous, citoyens tunisiens, aurons peu de patience et envie de vous voir tergiverser des mois et des mois sur la nouvelle constitution, alors que le pays tangue, l’économie et la société sombrent de plus en plus… Comme pour la première question, celle-ci requiert un travail de groupe, donc un consensus entre vous et d’autres partis politiques est nécessaire pour nous faire une proposition collective : quel rôle aura le président et comment éviter son hégémonie comme par le passé ? Comment faire que les députés défendent les intérêts de la nation et des citoyens, plutôt que leur voiture de fonction ? Quels pouvoirs pour quelles institutions ? Comment contrôler et sanctionner les dérives du pouvoir et des hommes politiques ? Quels garde-fous et contre-pouvoirs (nous ne nous laisserons plus piéger comme durant les 50 années passées) ? Comment séparer les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ? Quel rôle pour l’armée ? Comment garantir toute sa place à la société civile ?…

A suivre