S. El-Ayoubi écrit – Les citoyens tunisiens ont des questions et des interrogations qui leur serviront à départager les candidats aux élections du 23 octobre, ou du moins à commencer par alléger la liste des 100 partis en lice.
6 - Quelle sera votre traitement du passé ? ChasseAuxSorcierium 500mg ? SousLeTapirial 250mg ? CarteSurTabliol ?
Nous savons tous que tous les pays qui n’ont par pris soin de tourner la page de la dictature correctement ont soit fait un retour en arrière soit se sont entre-déchirés pendant des décennies. Comptez-vous opter pour ces 2 voies ?
Comme vous êtes des partis candidats «sérieux», vous avez certainement une autre proposition pour ce volet. Quelle est votre lecture de la période pré-14 janvier 2011 : un petit groupe de coupables (les boucs…-émissaires de Ben-Ali) ou un système pyramidal généralisé ? Comment réconcilier coupables et victimes ? Les lignes coupables/victimes sont-elles si claires ? Comment garantir leur clarification ? Comment éviter le populisme (quelques annonces, images télé…) et ne pas oublier le fond ? Que faire des archives et détails innombrables qui semblent impliquer un grand nombre de personnes, organismes et niveaux hiérarchiques sans lancer le pays dans des dangereux tiraillements ? Comment rétablir la justice sans casser l’unité nationale et la paix sociale ?…
Les derniers mois prouvent que la réponse à cette question est essentielle pour l’avenir du pays. Pour cette épreuve, vous êtes autorisés à vous inspirer des leçons de pays de votre choix ayant connu des expériences similaires (pays ex-communistes, Afrique du Sud, Espagne, etc.).
7 - Allez-vous reformer la police ? Si oui, comment ?
Nous mesurons tous la place cruciale et grandissante prise par la police et le ministère de l’Intérieur durant les 5 dernières décennies. Les archives de la police, les quantités de dinars soutirés aux citoyens aux croisements de rue, les traces de tortures, la mémoire des martyrs, etc., en témoignent. D’ailleurs, ce serait le premier employeur en Tunisie, entre policiers en bon et dû uniforme, ceux en civil et les indics (mon voisin, mon collègue, mon coiffeur – avant que je ne perde mes cheveux –, mes chauffeurs de taxis, etc.). En plus, la collaboration avec la pyramide du Rcd était très étroite et productive !
Tout ceci ne peut pas changer du jour au lendemain. Donc, que comptez-vous faire pour réformer la police, la ramener à son rôle au service des citoyens et en bons termes avec eux ? Comment tourner la page du passé policier ? Comment offrir aux agents de la police des conditions dignes ? Comment souder la rupture existante entre les Tunisiens et leur police ? Comment éviter que la police ne reste un obstacle à la transition démocratique du pays ? Comment ramener la sécurité dans le pays, condition nécessaire mais insuffisante pour son redémarrage économique et social ?…
8 - Quand et comment mettriez-vous en place une vraie justice équitable et indépendante ?
Là aussi, la justice tunisienne avait pris l’habitude d’être au service du pouvoir. Au travers des épisodes caricaturaux depuis le 14 Janvier, nous voyons qu’elle se cherche encore entre les «instructions» gouvernementales, le populisme primaire et l’improvisation théâtrale pour se racheter. Autant dire que le chantier pour mettre en place une vraie justice sera laborieux. Alors, mesdames et messieurs, dites-moi ce que vous allez faire au juste dans ce domaine ! Surtout, il ne faut pas oublier que les dossiers à traiter (cf. question 6) sont multiples : corruption, répression, fonctionnement mafieux, etc., et qu’ils sont loin de se tarir. Aussi, vous avez dû le remarquer : nous commençons à nous impatienter, donc il nous faut au moins avoir une vision claire sur ce que vous comptez faire dans ce domaine, sans se hâter.
PS : sur tous les volets, même si nous montrons des signes d’impatience, nous sommes prêts à patienter et à procéder par étapes, quand le parcours et les visées sont clairs. Vous voyez ? Je vous disais qu’une bonne réponse claire à la 2e question vous aiderait pour toutes les autres.
Revenons encore à nos «allouchs» avant qu’ils ne s’égarent, soient arrêtés par la police et enrôlés dans l’armée, fassent l’objet d’un sit-in pour les dégager (j’en soupçonne quelques-uns d’être des anciens du Rcd !), prennent une embarcation pour Lampedusa, ou se laissent pousser des barbes (en laine), ou deviennent des laïcs acharnés (pour faire interdire l’Aïd El Kabir !).
9 - Quels partenaires régionaux et internationaux et quels types de relations ?
Lorsque l’on revient sur la diplomatie tunisienne des dernières années, le soutien dont a bénéficié le régime de Ben Ali par-ci et par-là jusqu’à ses derniers jours, le rôle de l’Amérique d’Obama dans son éviction, la valse des visiteurs étrangers depuis le 14 Janvier, la situation actuelle en Libye et ses implications sur la Tunisie, les interrogations sur la position algérienne, les bouleversements du monde arabe dans son ensemble, les courants de la globalisation avec sa reconfiguration multipolaire, votre valse chez les ambassades étrangères, les interrogations sur le financement extérieur de certains d’entre vous… bref, en revenant sur tout ça, il devient évident que la Tunisie doit repenser ses partenariats et relations étrangères. C’est pourquoi je voudrais savoir quelle est votre vision pour ce point essentiel : quels partenaires et selon quels termes ? Quelles intégrations régionale et internationale, économique, culturelle et géopolitique ? Quelles relations avec nos voisins arabes, africains et méditerranéens ? La France ? L’Europe ? Les Etats-Unis ? La Chine, la Turquie et autres pays émergents ?…
10- Quelle place à la culture, sports et loisirs et selon quelle politique ?
Nous savons que nous avons du mal à porter notre identité ou même la définir, partagés entre mimétisme de l’Occident, traditions arabo-musulmanes et autres strates de notre riche histoire. Les créatifs et les stimulateurs des idées ont été brimés pendant des décennies, censurés ou réduits à des amuseurs de la galerie. Les activités sportives réduites à l’hégémonie du football. Comme nous le répétaient Ben Ali et ses sbires : regardez le foot, trainez dans les cafés, débauchez-vous, mais fermez vos gueules.
Après tout ça, comment comptez-vous éveiller la création et l’épanouissement des Tunisiens, à moins que votre plan soit de les endoctriner dans de nouveaux moules ? Je vous avoue que je n’ai plus envie de me voir avec mes concitoyens scotché aux écrans de télé, à Facebook, ou aux terrasses des cafés. Nous aspirons à mieux et notre pays est plein de richesses humaines pour y parvenir. Tout dépendra de votre créativité pour faire foisonner et encourager cette richesse.
Avant de rendre vos copies …
J’espère que cette série de questions ne vous a posé aucune difficulté… Ce sera le cas si vous avez déjà préparé tout ça depuis un moment (ça s’appelle un «Programme Sérieux»). Autrement, je me demande bien pourquoi former un parti politique et présenter des candidats a l’assemblée constituante.
Je renouvelle aussi les recommandations pour réussir cette épreuve, ainsi que quelques rappels :
• Le travail sérieux de groupe est essentiel pour vous tous, car vous êtes trop nombreux et peu audibles individuellement. Puis le jury a autre chose à faire que passer une éternité à vous discerner les uns des autres.
• Toutes les réponses sont obligatoires : omettre de répondre ou esquiver une réponse vous disqualifie.
• Il ne faut pas prendre les membres du jury (nous les citoyens Tunisiens) pour des cons et il vaudra mieux miser sur l’intelligence collective des Tunisiens et leurs aspirations pour un avenir meilleur que sur notre aliénation.
• Les idéologies creuses, la démagogie, le populisme, le blabla à outrance ne nous conviennent pas : nous voulons du concret, pour développer nos conditions et vivre sereinement dans un pays uni, prospère et solidaire.
• Nous serons 11 millions à vous juger, mais aussi pour vous appuyer si vous nous montrez la bonne voie. Le jury continue à jouer ce rôle même après le vote, car vous continuerez à avoir des comptes à nous rendre, individuellement et collectivement !
• Le retour en arrière est impossible et contre le cours de l’histoire : personne ne doit compter dessus, sauf les perdants.
En tout cas, je serais ravi d’avoir quelques belles copies entre lesquelles je pourrais choisir, car complètes et sérieuses. Entre-nous, je ne m’attends pas à voir plus de 5 à 7 partis candidats dépasser le cap des «disqualifications», mais on peut toujours rêver, comme me le dit souvent l’un des mes moutons. D’ailleurs, je devrais lui demander de quelle Tunisie il rêve lui aussi, en espérant qu’il ne me réponde pas avec son cynisme et pessimisme habituels : avant ou après le 14 Janvier, pour les moutons, les Aïds finissent toujours pareil !
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