Dr Salem Benammar écrit – Une société dominée par la religion prohibe toute innovation politique. Aussi faut-il définir un statut pour la religion...


Le croyant vit par définition quelque chose qu’il ne pense pas, qu’il ne conçoit pas et qu’il subit et contre laquelle il ne doit pas se révolter, à la différence de l’intellectuel qui, lui, pense, conçoit, innove et définit.

Le premier est embourbé dans les méandres de la croyance et engoncé dans son armure, qui paralyse et contrarie sa marche en avant ; ce qui le rend réfractaire et intolérant vis-à-vis du progrès. Le deuxième, comme le définit Raymond Aron, est un créateur d’idées et un spectateur engagé. L’un est sujet ou plutôt objet, un pion qu’on déplace sur un échiquier et l’autre est acteur et maître de ses choix et de ses orientations nourris et éclairés par sa propre réflexion. L'intellectuel dans une société bigote est comme un miroir dans lequel elle n’aime pas se regarder de peur qu’il lui renvoie cette laideur enfouie dans son esprit dont elle a peur qu’elle se dévoile à la lumière du jour. Cette société préfère l’obscurité à la lumière dont l’intellectuel peut l’illuminer.

La haine des intellectuels

Vu sous cet angle, il est somme toute logique et naturel que le système de croyances qui, telle une araignée, n’a de cesse de tisser sa toile, emprisonnant les hommes tels des mouches dans ses filets, se veut le seul guide de la vie des hommes dans la cité rendant illicite à ses croyants toute forme de prospection, de recherche de voie alternative à la sienne sous peine de commettre un sacrilège, à l’exemple de Galilée condamné par le Saint Office pour s’être attaqué aux dogmes de l’église. Ou encore, plus près de nous, de Naguib Mahfoudh, pour ne citer que lui, parce que c’est le cas le plus illustre qui fut l’objet d’une fatwa de mort, un décret de droit canon autorisant n’importe quel croyant à en être l’exécutant.

Dans un contexte de haine, de détestation et de violence licite à l’égard de l’intellectuel, tel qu’on a pu aussi l’observer en Algérie pendant les années de braise intégriste, les bigots fanatisés et dogmatiques sont surtout guidés par des motivations irrationnelles qui les font accomplir des actes irréfléchis et inconscients. Tel le cas du penseur égyptien Farag Fouda, tué en 1992 par des intégristes égyptiens totalement analphabètes ne connaissant pas un traitre mot de son œuvre.

Les croyants endoctrinés et embrigadés baignent dans cet environnement qui fait de l’hostilité à l’intellectuel son véritable credo politique prospérant sur l’ignorance et le fanatisme, vouant une haine viscérale à tous ceux qui présenteraient une supposée menace à l’ordre établi et qui, par leurs œuvres et leurs réflexions risqueraient d’écorner la pensée unique, de la démystifier ou la rendre plus intelligible, qui est dans le cas d’espèce de caractère divin.

Les intellectuels qui ont fait de la rationalité leur combat contre l’obscurantisme sont perçus comme étant un facteur de désordre et donc les ennemis potentiels contre l’ordre tel qu’il a été établi par Dieu. Ils sont considérés même par certains livres sacrés comme étant des insolents au même titre que les mécréants promus aux pires châtiments divins.

Ainsi, une société dominée par un système totalitaire théocratique ne saurait se résoudre à accepter en son sein et tolérer l’existence d’un contre-pouvoir dont les intellectuels sont les représentants naturels. C’est pourquoi, ils sont diabolisés, haïs, honnis et persécutés de peur qu’ils soient cet antidote tant redouté par tout système d’asservissement et d’avilissement de l’homme dans la mesure où ils voient en eux ces stimuli susceptibles d’aiguillonner les masses apathiques et réveiller les consciences populaires, les rendre moins malléables et plus réfléchies.

L’homme dominé

La pérennité de tout système quel qu'il soit dépend nécessairement de ses facultés à se conserver, à se prémunir contre ce qu’il appelle les agressions extérieures, en jouant sur les mécanismes de renforcement de la castration et de l’aliénation mentale des masses embrigadées, faisant de leur culpabilisation un moyen de gouvernance politique avec des promesses d’un monde meilleur dans l’au-delà. La peur de l’Autre, qui est en l’occurrence l’intellectuel, le rend agressif et le fait enfermer dans une logique réactionnaire voire réactionnelle pour ne pas perdre le contrôle de son pouvoir sur l’organisation politique de ses masses indolentes et incapables de discernement.

Par voie de conséquence, un environnement fortement soumis au fait religieux ne peut favoriser l’émergence de modèle de société conçu et dessiné par l’homme pour incompatibilité avec le modèle d’organisation sociétale imposée par Dieu aux croyants. Dans un contexte où la force reste à Dieu le Grand Architecte de Tout, l’homme doit accepter sa condition de dominé comme étant l’expression majeure de la volonté divine.

Toute tentative d’inversion de cette hiérarchie immuable entre Dieu et l’homme et la recherche à l’instauration d’un rapport de force entre l’homme et Dieu n’est qu’illusoire et une vue de l’esprit.