Fathi B’chir écrit – Veillons à ne pas tomber dans le travers, sous prétexte de percevoir des manœuvres de l’ennemi sioniste et ses alliées derrière les révoltes arabes, de nier l’ampleur de ce sursaut historique.


Devons-nous, comme le font couramment les observateurs, surtout les journalistes, européens, recourir au schéma classique et, bon gré, mal gré réducteur, du «cow boy et de l’Indien» : un gentil, un méchant ? C’est une vision binaire en on/off qui me semble peu adaptée à l’analyse politique.

Entre le gentil et le méchant, il y a une large palette d’attitudes sur lesquelles il ne faut pas jeter le voile, sciemment ou non, ni appliquer des formules simplificatrices.

Ne sommes-nous pas un peu coupables ?

Dans ce qui se trame aujourd’hui dans le monde arabe, il y a certes des manœuvres, des calculs, des comptes plus ou moins grands qu’il faut tenir à l’œil, des faux-semblants et une flopée de faux-culs, surtout du côté arabe. Mais lorsqu’on se fait avoir par un escroc, ne sommes-nous pas un peu coupables de lui avoir permis de nous avoir, d’entrer dans nos lieux pour en profiter et nous dévaliser, détourner nos biens ?

Si autant de manœuvres autour du monde arabe sont permises à Sarkozy, Cameron, Blair, etc., j’en passe et des meilleures, c’est que parce que nous l’avons permis et le permettons encore. La corruption pécuniaire, la corruption des esprits sont notre réalité et nous nous efforçons toujours de ressembler à la caricature que dressent de nous les autres.

Les plus illustres tenants de cette pratique de mise en valeur de la caricature sont les islamistes qui n’ont aucun lien avec nos réalités, ni leurs croyances anachroniques, ni leurs tenues de guerriers afghans ne sont nôtres, de l’Atlantique jusqu’à la mer rouge. Au-delà, c’est encore le règne de la «jahilya». Ils paraissent n’exister (ou n’avoir été créés) que pour nous déprimer davantage, nous couper de tous ceux qui pourraient nous comprendre avec un sens de la nuance qui fait parfois, souvent, défaut.

L’empire de l’indignité humaine

Ces caricatures nous affaiblissent mais ce n’est pas le seul facteur, la négation de l’humain à laquelle concourent tous les régimes arabes sans exception en est un autre, sans doute un des plus forts. Nous sommes, dans le monde arabe, l’empire de l’indignité humaine. Et nous sommes parfois nos propres dictateurs surtout quand nous adulons nos despotes et les applaudissons et louons leurs faux génies valorisés à coup de communication.

Lutter pour la dignité arabe, c’est combattre aussi bien la caricature extérieure qu’intérieure. Et les jeunes qui se sont soulevés avenue Habib Bourguiba, place Tahrir, Sahat El-lo’olo’a, et ailleurs, ne sont pas des agents de l’ennemi extérieur mais entendent pratiquer non pas un «Or» (le bon cow boy OU le méchant indien) mais dans le «And» comme on le dit dans la langue informatique. ET le pourri intérieur ET le pourri extérieur.

Veillons donc, à mon humble avis, à ne pas tomber dans le travers, sous prétexte de percevoir des manœuvres de l’ennemi sioniste et ses alliés derrière l’acte de révolte et de dignité de chaque citoyen arabe, de nier l’ampleur de ce sursaut historique.

* Journaliste tunisien basé à Bruxelles, directeur de MedAfrique.