Rafik Souidi écrit – Depuis le déclenchement de la révolution tunisienne, le 17 décembre 2010, il est un silence qui fait mal, c’est celui des cheikhs de la Zitouna. Où sont-ils passés ?
Il est vrai que la prestigieuse Université de la Zitouna avait été démantelée depuis belle lurette et remplacée plus récemment par une discrète université d’études théologiques située à Montfleury. Alors que l’université millénaire – la plus ancienne dans le monde – rassemblait près de 10.000 étudiants au cœur de la Médina de Tunis dans l’enceinte de la magnifique Mosquée de l’Olivier, celle qui lui a succédé n’en compte que quelques centaines. Dix mille étudiants qui bénéficiaient des trésors que recelait la fameuse bibliothèque qui lui était rattachée et qui contribuaient à l’animation et à la prospérité de la Médina de Tunis qui n’en finit plus depuis de se paupériser voire de se criminaliser. En tuant l’université de la Zitouna on a achevé la Médina de Tunis qui était pourtant une des plus belles du bassin méditerranéen et profondément désorienté la société tunisienne.
L’antagonisme Thaalbi - Bourguiba
Alors, certes, l’enseignement dans la célèbre Université s’y était sclérosé au fil des siècles et, d’ailleurs, le général réformateur Kheiredine en avait déjà dressé un diagnostic pertinent en son temps. Les cheikhs de la Zitouna étaient alors malheureusement récalcitrants à un profond aggiornamento. Face à un mur de conservatisme et de traditionalisme, il s'était alors résolu à créer l’école Sadiki pour y entreprendre de nouvelles méthodes pédagogiques et y enseigner de nouvelles matières. Il s’en est suivi une lutte fratricide et stupide entre les deux institutions qui s'est traduite politiquement par la confrontation larvée entre le parti du Destour de Abdelaziz Thaalbi et le parti du Néo-Destour de Habib Bourguiba.
Pourtant c’était bien le brûlot intitulé ‘‘la Tunisie Martyre’’ du cheikh de la Zitouna Abdelaziz Thaalbi, traduit par A. Sakka, qui avait déclenché la marche vers l’indépendance en mettant le feu aux poudres et non pas les articles du journaliste et avocat Habib Bourguiba à ‘‘L’Action Tunisienne’’. Il est regrettable de constater que tant l'ouvrage de Thaalbi que les articles de Bourguiba sont introuvables en librairie et qu’ils ne sont pas enseignés, ce qui en dit long sur l’étroitesse de vues des dirigeants qui ont eu en charge le pays.
Que Bourguiba ait été meilleur tacticien et plus visionnaire par la suite ne doit pas diminuer le rôle essentiel joué par la Zitouna et la plupart de ses cheikhs et étudiants pour mobiliser la population tout au long de la lutte pour l’indépendance.
Réparer cette erreur historique
Au lendemain de l’indépendance, après des débats byzantins et improductifs, il fut purement et simplement décidé de démanteler la fonction universitaire de la célèbre mosquée dans l’indifférence quasi générale. La responsabilité de cet acte de lèse-civilisation est donc collective car Bourguiba ne trouva pas une opposition sérieuse et constructive pour l’empêcher de commettre cette erreur historique ou l’inciter à réviser un jugement trop hâtif non dénué d’esprit partisan voire idéologique.
En effet, fort du même diagnostic de sclérose que son prédécesseur Kheiredine, Bourguiba aurait été mieux inspiré de réformer et transformer la célèbre Université en un Centre international d’études et de recherches de la civilisation islamique et surtout lui donner les moyens matériels de s’étendre au sein de la Médina et de continuer à y rayonner. Une grande partie de l’élite du pays n’aurait pas été ainsi marginalisée et réduite à l’extinction sans avoir la possibilité de se renouveler et la Médina aurait été par la même occasion revitalisée.
Il conviendrait donc de réparer cette erreur historique et d’y apporter une réponse civilisationnelle éclairée, tant universitaire qu’urbanistique.