Dr Nebil Lahouel écrit – Tournons la page pour aller de l’avant et confrontons notre passé pour nous projeter dans l’avenir, faute de quoi le passé ne cessera de hanter notre présent.


L’Afrique du Sud est connue par son histoire douloureuse et sa réussite à éviter le pire dans sa transition démocratique. Elle est passée d’un modèle de racisme à un modèle de réconciliation et de pardon comme dans un conte de fée. Ce passage pacifique a valu le prix Nobel de la paix à 2 hommes, Nelson Mandela et Frederik Willem de Klerk en 1993.

Un petit aperçu de l’histoire récente de l’Afrique du Sud permet de mieux comprendre la profondeur et l’importance de cette réconciliation.

La suprématie de l’homme blanc

Depuis 1652 ou le hollandais Jan van Riebeeck a installé la première colonie, l’Afrique du Sud a été dominée par l’homme blanc venu d’Europe. Différents Etats s’y sont créés, différentes guerres s’y sont déroulées, mais la domination de l’homme blanc sur les populations indigènes et émigré (noir et non blanche) était toujours là, quoique ces indigènes étaient peu nombreux, de différentes ethnies et éparpillés sur différentes régions.

La notion de suprématie de l’homme blanc était la mentalité régnante. En 1948, le Parti national arrive au pouvoir et légifère la suprématie de l’homme blanc par rapport aux autres races en instaurant l’Apartheid (traduction de l’Afrikaans «séparation») qui divise la population en 4 groupes ethniques devant vivre séparés. Mais cette séparation donne toute les faveurs aux blancs et met les noirs en bas de l’échelle. Entre autres, le droit de vote était accordé exclusivement aux blancs.

Plusieurs mouvements de libération, qui défendaient la cause noire se sont créés dont l’African National Congress en 1912 et l’Inkatha National Cultural Liberation Movement) 1920 devenu Inkhata Freedom Party en 1975.
Le régime de l’apartheid s’est défendu dents et ongles pour maintenir sa politique et tenant le pays d’une main de fer.

Le régime a perpétué des abus et des crimes de droits de l’homme à l’encontre de ses opposants, noirs en majorité.
Le changement de la politique du régime en 1990 avec la reconnaissance de l’Anc et la libération de Nelson Mandela et puis après l’avènement des premières élections multiethniques qui s’est soldé par la fin de la domination blanche sur l’Afrique du sud. Ce changement, après tant d’années d’oppression d’une minorité blanche sur une majorité noire et non blanche, aurait pu diriger le pays vers un bain de sang et un nettoyage ethnique ou une guerre civile.

L’Afrique du Sud a bien évité ce scénario grâce à la sagesse de Nelson Mandela mais aussi a FW De Klerk qui a guidé la transition avant les élections. La commission de vérité et de réconciliation insaturée en 1995 a joué, dans cette transition, un rôle de soupape, qui a absorbé toute la colère et la haine qui prévalaient dans la société.

Cette commission de réconciliation sud-africaine était présidée par l’archevêque Desmond Tutu (lui aussi prix Nobel de la paix). Elle avait comme tâche plutôt la réconciliation et la préservation de l’unité nationale… que la justice.

La commission offrait l’amnistie totale aux tortionnaires, à condition qu’ils racontent la vérité totale et que les crimes commis n’aient eu que des motifs politiques (pas de motif personnel).

Diffusion publique des procès

Cette spécificité sud-africaine, par rapport à d’autres commissions comme celle de Nuremberg, ouvrait la porte aux tortionnaires pour se confesser en public en racontant la vérité de se qui se passait en espérant une amnistie. Sans de telles mesures, faire sortir la vérité de la bouche des tortionnaires serait une tâche beaucoup plus difficile, surtout pour les crimes dont les victimes sont décédées. Faire sortir la vérité est une étape essentielle du processus de réconciliation dans une société.

Le fait de diffuser quelques procès en public faisait participer toute la société dans le processus de réconciliation, ce qui était le principal objectif de cette commission. Quoique cette médiatisation ne fût possible qu’après la pression de plusieurs Ong pour que le public, via les médias, puisse avoir accès à ces procès.

Parmi 7.112 demandes d’amnistie, 849 cas uniquement ont pu être accordés, ce qui a pu éviter à la commission le rôle de blanchiment des criminels.

Dans une étude réalisée en 1998 par The South Africa’s Centre for the Study of Violence and Reconciliation & the Khulumani Support Group, la bonne majorité des victimes des abus trouvait que cette commission était un échec et que la justice est primordiale pour la réconciliation.

Seize ans après la formation de cette commission, certes le pire a été évité en Afrique du Sud, mais un long chemin reste à parcourir pour retrouver une réconciliation réelle et définitive dans la société sud-africaine, où plusieurs incidents viennent raviver une tension ethnique difficile a effacer, dont le dernier en date est l’assassinat du président du parti nationaliste blanc Awb, Eugene Terreblanche.

Pour que le passé cesse de hanter le présent

L’histoire dictatoriale de la Tunisie est certes beaucoup moins pénible que celle de l’Afrique du Sud, mais cela n’empêche que, depuis l’indépendance, beaucoup d’abus des droits de l’homme ont été commis par des Tunisiens aux dépens d’autres Tunisiens.

Une commission semblable à celle de la commission sud-africaine aidera certainement la vérité à faire surface, ce qui est déjà une forme de justice ; et à réconcilier la société avec elle-même. Mais vu le passé moins douloureux de la Tunisie, une commission focalisée sur la justice pourrait aider la réconciliation, sans avoir besoin d’une amnistie totale mais plutôt d’un allègement de peine contre la confession afin d’éviter d’avoir une commission de blanchiment de tortionnaires.

Plusieurs parents l’ont dit à maintes reprises : «Je sais que rien ne peut me ramener mon fils, mais je veux que la vérité soit reconnue».

Nous avons besoin de tourner la page pour aller de l’avant, en même temps nous avons besoin de confronter notre passé pour pouvoir se projeter dans l’avenir, faute de quoi le passé ne cessera de hanter notre présent.