Les salafistes ont réussi dans leurs manœuvres populistes de mobilisation et les musulmans modernistes sont restés sur leurs positions de spectateurs impuissants, insouciants ou indifférents.

Par Mongi Karrit*


 

Le film ‘‘Persépolis’’ a fait couler beaucoup d’encre, en particulier sur le réseau Facebook. Annoncé quelques jours à l’avance et projeté dans un dialecte plutôt cru, il a servi comme point de départ au débat sur un thème d’actualité : le danger potentiel de l’arrivée au pouvoir d’un parti religieux. Quel sort serait réservé à la Tunisie ? Serait-ce le même sort que celui de l’Iran après la révolution ? Que pourrait-on faire pour concilier démocratie et religion ?

Les menaces potentielles des islamistes

Tout au long de ce film, il est décrit chronologiquement les différentes péripéties que la jeune fille Marjane a vécues dès son enfance, qui a coïncidé avec la chute du régime du Shah et l’installation du pouvoir de Khomeiny. On a pu constater le désarroi et le malheur de cette fille. Très fragile, son voyage si jeune en Autriche pour continuer ses études lui a été très douloureux. Elle qui n’avait probablement pas l’habitude de quitter ses parents. A un certain moment du film on a remarqué la vision de la petite fille de Dieu sous une forme personnifiée avec une longue barbe. La réalisatrice du film l’a certainement incorporée dans ce film pour refléter un état d’âme bien particulier. Mais, cette séquence, qui a été diffusée par la chaîne Nessma, a malheureusement causé un tollé parmi les spectateurs. Beaucoup de musulmans se sont indignés. Des protestations ont été vues sur les pages de Facebook et dans des manifestations organisées dans quelques villes. Le directeur de ladite chaîne a déclaré que la diffusion de la séquence en question n’était pas délibérée.

Cependant, une partie des spectateurs qui ont suivi le film et le débat n’en ont retenu que cette partie, alors qu’il fallait saisir la comparaison entre les révolutions iranienne et tunisienne et appréhender les menaces et les dangers potentiels des islamistes sur le devenir de la Tunisie si jamais les partis religieux venaient à prendre le pouvoir. Comment pourrait-on assoir les bases de démocratie, de liberté et d’égalité dans un environnement idéologique statique et ne réagissant qu’au nom du sacré ? Telle était une des questions du film et du débat.

Indignation du peuple et mobilisation des salafistes

L’analogie entre les deux révolutions, à mon avis, a porté un coup dur aux courants politiques religieux dans le sens où elle a montré que leur arrivée au pouvoir avorterait tout effort de démocratie et de liberté. Ce qui a immédiatement conduit à la mobilisation des salafistes pour tenter de violer les établissements de ladite chaîne et de menacer le personnel y exerçant.

En outre et afin de confirmer l’indignation du peuple tunisien, les groupes politiques ont rassemblé leurs supporters dans quelques villes dans des marches de protestation. Il s’en est suivi des appels au boycottage de cette chaîne, des fatwas à son encontre, etc. De nouveau, les avocats s’y sont mêlés pour la défense du divin et du sacré.

Devrait-on juger la chaîne pour la diffusion de cette séquence choquante ou pour son courage à éclairer ses spectateurs sur les dangers des régimes islamistes pour la démocratie ?

Malheureusement, on omet toujours d’analyser les choses dans leur contexte global. Les fanatiques parmi nous ne retiennent que le(s) détail(s) qui les intéresse(nt) pour faire valoir leur(s) cause(s).

Un film au contenu historique et sociologique prisé mondialement mais rejeté localement par des gens dont la plupart ne l’ont pas vu, et un débat intellectuel de niveau, précurseur de dangers et de menaces à la démocratie et d’atteintes à la liberté d’expression. Ceci nous rappelle la réaction vis-à-vis du film de la réalisatrice Nadia El Fani dont le titre provocateur a suffi à créer la polémique et de la violence.

Ces réactions basées sur le détail et prises à la hâte servent à endoctriner les masses mais sont susceptibles de faire bâtir un mur de béton face à la liberté d’expression.

Quels impacts sur la constitution ?

De nouveau les islamistes ont réussi dans leurs manœuvres populistes de mobilisation et les musulmans modernistes demeurent dans leurs positions de spectateurs impuissants, insouciants, indifférents adoptant la conduite «Let’s wait and see». Peu de partis politiques et d’Ong, comme d’habitude, ont pris parti. Les candidats indépendants à l’assemblée constituante se sont tus. Pourquoi devraient-ils réagir au risque de compromettre leurs chances dans les élections ? Je me demande qui défendrait le droit à la liberté d’expression et de croyance et à l’égalité entre les sexes, à part les rares députés de sexe féminin qui auraient, profitant de la parité, franchi le cap des élections.

Un consensus devrait se faire sur la définition du concept «démocratie». L’avenir devient de plus en plus obscur et incertain. Notre constitution ne sera pas le reflet des aspirations de tous les Tunisiens. Notre démocratie sera probablement une pseudo-démocratie limitée, renfermée et aliénante favorisant le retour à la dictature, à l’oppression et à l’interdiction des droits et des libertés.

* Citoyen de la masse silencieuse.