Seyfeddine Ben Mansour* écrit – Programmer un film comme ‘‘Persepolis’’ à deux semaines des premières élections libres du pays ne saurait être anodin, et d’autant moins qu’il était doublé en dialecte tunisien.


Comme si l’on voulait forcer l’identification du téléspectateur avec ces Iraniens dépossédés de leur révolution par des intégristes religieux (comprenez : Ennahdha) pires encore que le shah (comprenez : Ben Ali). Seulement voilà, dans une séquence de ce film, par ailleurs excellent, on voit une petite fille dire en arabe à Dieu – représenté sous les traits d’un vieil homme – «Tais-toi ! Tais-toi ! Je ne veux plus te voir ! Va-t-en !»

La faute à la «cellule de visionnage»

Les réactions les plus violentes ont pu être le fait d’une poignée de salafistes, mais pas uniquement, contrairement à ce qu’ont pu affirmer les médias occidentaux, et notamment français. Parmi les gens venus protester sous les fenêtres de Nessma, beaucoup de «monsieur-tout-le-monde», dont des jeunes avec des piercings et des hommes sortis des bars pour crier leur indignation.

Nabil Karoui, le directeur de Nessma TV, a d’ailleurs présenté ses excuses «au peuple tunisien» dans son ensemble, car lui aussi «respecte la sacralité religieuse et […] ne se permet pas de regarder une séquence pareille avec sa famille»…

Volontiers sarcastique, le Tunisien a fait le parallèle avec la volte-face de Ben Ali la veille de sa chute : «On m’a induit en erreur.» Karoui a en effet rejeté la faute sur la «cellule de visionnage».

Les annonceurs refroidis

Il semble, entre autres, que le retrait de Tunisiana (voir note de la rédaction en bas), premier opérateur privé de téléphonie mobile, de la liste des annonceurs de la chaîne, soit pour quelque chose dans ces humbles excuses. Mais surtout, plusieurs éléments semblent indiquer qu’il s’agissait d’une tentative maladroite de manipulation de l’opinion. Le monde de l’argent, auquel appartient Nabil Karoui, était évidemment lié au régime de Ben Ali, que Karoui appelait «notre père.»

Comme Hannibal TV, l’autre chaîne qui a obtenu son agrément sous la dictature, Nessma a accordé plus de temps d’antenne aux formations politiques qui agitent l’épouvantail islamiste. Comme par le passé, l’Occident soutient la défense de la «laïcité» et de la «modernité» conçues comme indissociables. En face, un parti Ennahdha annoncé gagnant, et qui assurément ne sera pas complaisant avec les corrompus de l’ancien régime dont certains, libres encore, continuent de pérorer.

* Universitaire franco-tunisien, responsable des pages culturelles de ‘‘Zaman France’’ (hebdomadaire franco-turc proche de l’Akp), membre de la cellule nabeulienne du Poct.

 

* Note de la rédaction:

Vérification faite auprès de l'opérateur de téléphonie, Tunisiana a maintenu son programme d'insertion  publicitaire avec Nessma TV. Dont acte.